Procès en appel de quatre membres d’ETA pour la mort d’un
policier Jean-Serge Nérin en 2010. En début de procès, l’un des accusés a lu
une déclaration au nom d’ETA reconnaissant la douleur provoquée à la famille de
la victime. L’organisation se dit « navrée » et a présenté ses
condoléances aux proches du policier. Elle reconnaît sa responsabilité : le
policier est mort « atteint par des coups de feu tirés par les militants d’ETA ».
« Nous sommes profondément navrés par ce décès » « nous voulons
exprimer nos condoléances à la famille ».
Ce meurtre dit la déclaration a été une faute. « Un
fait de cette nature, survenu après avoir pris la décision d’abandonner les
actions à caractère offensif, pouvait décrédibiliser l’engagement pour la paix
qui venait d’être pris ».
Les militants « reconnaissent la souffrance
engendrée » et en attendent autant de toutes les parties. Les souffrances
de tous doivent être reconnues.
Reconnaissons la difficulté de l’exercice. Quand les
troupes soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie en 1968, la bataille des mots
fit rage au siège du Comité Central du PCF. Fallait-il regretter, fallait-il
réprouver, fallait-il être navré ? Tous les synonymes valsaient dans les
couloirs. L’important était de ne pas « condamner ». Condamner, c’était
vraiment rompre le cordon ombilical avec Moscou. Déjà être navré ou réprouver ou
désapprouver apparaissait comme une audace inouïe. Et franchement, ce n’est pas
ceux qui avaient envahi le Vietnam et le Cambodge qui allaient nous donner des
leçons.
De même les demi-soldes de l’abertzalisme militaire
jonglent avec les mots. Pendant longtemps, ils continuaient la guerre en prison
et au tribunal, chantaient des chants patriotiques, levaient le poing, Gora ETA.
Quand Gaby Mouesca fut arrêté pour le meurtre d’un gendarme, Pierre Pradier le
pria instamment de demander pardon à la famille. Demander pardon était impossible.
Demander pardon, c’était regretter son geste, c’était condamner les actions
militaires de l’organisation et les transformer en actes criminels. Il n’a donc
pas demandé pardon et la sanction fut plus lourde. Aujourd’hui, les prisonniers
qui restent font un grand pas : ils sont navrés, ils reconnaissent la
douleur des familles, ils présentent leurs condoléances. Ils ne demandent pas
pardon, ils n’y arrivent pas, et ils demandent qu’on reconnaisse les
souffrances de tous les côtés.
Je comprends les difficultés à demander pardon, à
regretter des actes regrettables. Mais les souffrances de tous les côtés ?
Reconnaître la souffrance du bourreau qui s’est brûlé la main en allumant le bûcher ?
Je me rappelle à Belfast un ancien prisonnier qui donnait en exemple des
souffrances « de tous les côtés » son genou luxé en sautant du mur de
la prison dont il cherchait à s’évader. Les souffrances de tous les côtés :
un genou luxé et trois mille morts. Les souffrances partagées ? Le violeur
qui a été griffé par sa victime ? Les kapos lynchés à la libération des
camps ? Le rhume attrapé par l’épouse dans la salle d’attente de la prison ?
Quand Stéphane Courtois publia le Livre noir du communisme, le PCF dénonça une campagne
anticommuniste. Quand se publie au Pays Basque espagnol Vidas Rotas, le relevé méticuleux des victimes de l’ETA, les
abertzale militants dénoncent une campagne honteuse contre le peuple basque
parce que toutes les souffrances de tous les côtés ne sont pas reprises dans ce
livre.
Le débat bat son plein dans les prisons et dans les cidreries.
Quand le PCF affirmait le bilan globalement positif du communisme stalinien, il
était à quinze pour cent. Depuis qu’il a renoncé à cette formule, il atteint
péniblement deux pour cent. Cela mérite réflexion. Faut-il cesser de parler du
bilan globalement positif des assassinats de l’ETA ? Regardez, les
nationalistes corses n’ont jamais demandé pardon et ils gouvernent l’île. L’ETA
n’a jamais demandé pardon et ses
héritiers dépassent les dix pour cent.
Il
faut donc admettre dans les « souffrances partagées » les affres de
Raskolnikov si bien décrites dans Crime
et châtiment.
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