Les
vraies catastrophes ne vous quittent jamais. Prenez les médocs que vous voulez,
elles ne disparaîtront pas. Elles sont là pour toujours. Elles se reconnaissent
à ce que jamais vous ne pourrez les raconter sans que la gorge se serre, que
les yeux se mouillent, sans que vous soyez obligés de vous interrompre
avant d’en terminer le récit. Deux d’entre
elles me possèdent. La première date de Paris 1942. J’avais volé des illustrés
chez la marchande de journaux qui vendaient ses marchandises, ses bonbons, ses
illustrés, dans le couloir d’un immeuble. J’ai ramené les journaux dans la
chambre d’hôtel et j’ai pris l’engueulade de ma vie. Ma mère me disait, avec
son accent, je ne me rendais pas compte que pour un illustré, je risquais la vie
de ma famille. C’est une histoire que je ne peux jamais raconter jusqu’au bout,
ma gorge se serre, les larmes coulent et même maintenant, en l’écrivant, mes
yeux sont mouillés. La gorge ne se serre pas parce que je ne parle pas, mais
les larmes coulent sur le clavier.
La
seconde catastrophe qui ne me quitte jamais est un accident. J’allais faire une
conférence sur les États-Unis en banlieue, j’étais perdu comme d’habitude hors
périphérique. J’ai vu un tabac ouvert, j’ai demandé à ma fille d’aller se renseigner.
Elle descend, elle avait quinze ans, elle est vivante, rassurez-vous, elle met
le pied sur le passage clouté, une voiture passe à toute vitesse et l’envoie en
l’air quinze mètres plus loin. Pour moi, elle était morte. Elle n’était pas morte,
mais je la vois sauter en l’air, et quand je raconte cette histoire, j’ai la
gorge qui se serre, et les larmes qui coulent.
Voilà
de vraies catastrophes. Si la gorge ne se serre pas, si les yeux ne coulent
pas, ce ne sont pas de vraies catastrophes. La gorge serrée et les larmes sur
les joues, ce sont des vraies qui jamais ne disparaîtront. Il faut juste
apprendre à vivre avec.
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