Nous
avions décidé la veille de contre-manifester. Nous avons préparé nos armes
soigneusement, fiévreusement. Nous avons trouvé d’anciens parapluies ou des
parapluies neufs, mais bon marché. Nous avons acheté des feutres. Le petit-fils
a été mis à contribution, il a inscrit les chiffres 829 au feutre noir et a
signé : YG. La nuit a été courte, nous étions excités comme des mômes à la
veille d’un départ en vacances. Tout était prêt. Le co-voiturage est organisé. Nous
partons en avance pour trouver une place. Nous trouvons une place. La pluie se
calme un peu. Les circonstances idéales seraient suffisamment de pluie pour
justifier les parapluies, car un beau soleil rendrait notre batterie de
parapluies suspecte. Mais pas trop de pluie et pas trop de vent. Les dieux sont
avec nous. Nous nous nous déployons, chacun séparément, chacun avec son
parapluie, Brigitte avec un tee-shirt blanc marqué « 829 ». Nous
approchons de l’esplanade Roland Barthes. La statue se dresse dans toute son
horreur. Pour représenter l’ETA, ils ont choisi la hache. C'est à dire la
violence. Ils auraient pu choisir le serpent, (la ruse) mais ils ont préféré la
hache. L’artiste justifiera son choix en comparant son œuvre à Guernica de
Picasso. Manque pas d’air. Je n’ai pas souvenir que la population de Guernica
ait protesté contre le tableau alors que les associations de victimes de l’autre
côté sont en ébullition contre cette hache. Les seuls qui sont contents sont
les etarras et leurs soutiens. Otegi est ravi. David Pla (dirigeant de l’ETA emprisonné »)
nous le dit : « ce qui se passe au Pays Basque Nord est exemplaire ».
Bru, Brisson, Etchegarray sont au garde-à-vous.
Écoutez
bien la suite. Nous ouvrons les parapluies. Et miracle. Les dizaines de
journalistes derrière leur caméra, leur appareil photo, leur enregistreur, se
précipitent, photographient, filment. Les médias nous sortent de la
clandestinité. Depuis des mois et des mois que nous nous battons contre l’entreprise
de blanchiment de la terreur, sans être guère écoutés, voilà, on commence à
nous entendre.
Nous étions six, ils étaient deux cents. Voyez
comme le rapport de force commence à s’inverser. L’an dernier, ils étaient dix
mille dans les rues de Bayonne. Nous étions zéro. Aujourd’hui, ils sont deux
cents et nous sommes six.
Aux
dernières nouvelles, la statue va être démontée et remontée jusqu’au jour où l’ETA
va officiellement se dissoudre. Cette pantalonnade peut être interprétée de
deux manières. Ou bien les artisans de la paix désormais transformés en « amis
de l’ETA » veulent saluer la sortie de l’organisation terroriste par une
dernière fête, celle de l’artiste vieillissant qui a du mal à quitter la scène.
Ou
bien, ce que nous disons sur le sens de cette monstrueuse statue est vrai :
elle est célébration de l’horreur et il vaut mieux attendre que le sang ait
bien séché avant d’applaudir l’assassin.
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