Si tous mes
manuscrits se publiaient, si toutes mes douleurs s’apaisaient, si tous ceux que
j’aime m’aimaient, si les passants sur les trottoirs demandaient pardon de m’avoir
bousculé, si la température oscillait
entre 18 degrés la nuit et 25 degrés la journée, si mes oreilles percevaient le
bruit d’une limace digérant une feuille de salade, si mes yeux voyaient depuis
l’Arc de Triomphe le slogan accroché à l’Arche de la Défense, si Aube dorée,
Ligue du Nord et Rassemblement national s’effondraient aux élections, si les
grandes entreprises construisaient des logements sociaux et des Palais de la
Culture, si les migrants trouvaient des raisons de ne pas migrer, si les
trottoirs où je me déplace étaient plats et antidérapants, si les voitures
s’arrêtaient aux passages piétons, si l’ordinateur ne traînait pas tant à
s’ouvrir, si je pouvais remonter le temps, si je pouvais arrêter les aiguilles,
si le travail était une fête et les jours de repos une corvée, si les mouettes
me laissaient dormir, si les voitures étaient électriques, si les autoroutes
devenaient des pistes cyclables, si les banques rouvraient leurs guichets, si
le site d’aide en cas de panne informatique répondait après cinq sonneries pas
plus, si le message important parvenait à destination même s’il manquait un
trait d’union, si le rendez-vous chez le médecin s’offrait dans l’après-midi
même, si tous les enfants de la famille proche ou recomposée obtenaient le
baccalauréat avec la mention très bien, si l’on pouvait transférer tous les
morceaux de musique de l’ordinateur jusqu’au baladeur sans transpirer, si les
oreillettes pour malentendants étaient autonettoyantes, comme les fours à
pyrolyse, si l’on pouvait manger du Maroilles sans cholestérol et boire du
champagne sans cristaux d’acide urique,
si le bébé dans le train s’arrêtait de hurler, si le vent n’arrachait
pas les feuilles du journal que vous vous prépariez à lire devant une tasse de
café, si la tasse de café ne se renversait pas sur le pantalon immaculé…
Ce serait une
catastrophe. En effet, cette longue
liste de malheurs explique la boule dans l’estomac, la pression dans la
poitrine, le léger vertige au lever du matin. Or, je sais bien que la boule
dans l’estomac, la pression dans la poitrine, le léger vertige du matin, ne
disparaîtront pas avec tous ces malheurs que l’on croit explicatifs. Avec leur disparition
ne resteront que d’étranges symptômes qu’il était si confortable d’expliquer.
Ne resteront alors que des angoisses transparentes, des angoisses pures,
détachées du monde réel, des angoisses sans rime ni raison.
Remercions les
malheurs du monde de ne jamais nous laisser seuls devant nos fantômes.
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