Sans profession
Dans
les salles de mariage, dans les prétoires de justice, dans les commissariats,
dans les amphithéâtres, devant les jurys d’examen et les conseils en
recrutement, devant les guichets des élections, dans les bureaux de déclaration
de vie ou de mort, dans les demandes de prêt pour acheter une maison, dans les
formulaires d’inscription pour un concours administratif, dans les biographies
officielles ou dans les personnages de roman, l’état-civil occupe une place
centrale. Né le xxx, à xxx, France,
marié, divorcé, veuf, ingénieur, médecin généraliste, domicilié à xxx. Et puis
au milieu de ces renseignements précieux pour un état qui soigne ou qui
réprime, qui éduque ou exclut, tout à coup claque une expression qui néantise
la vie d’une personne.
Sans profession.
Rien. Comme on efface une personne qui a écrit des
poèmes, qui répare les voitures, qui fait le tour du monde, par deux mots :
« sans diplôme ».
Comme on abolit une personne qui tient commerce de vêtements,
qui dirige une chorale, qui entretient une forêt, qui fonde une famille, qui
rénove des appartements, qui élève des enfants, par deux mots : « sans
papier ».
Donc dans cette salle de mariage, dans ce tribunal, la
personne est sans profession. Elle a suivi des études, acquis un diplôme de
haut niveau, l’a exercé pendant plusieurs années, puis elle a arrêté ses
activités salariées pour se consacrer à deux ou trois enfants. Quand les enfants
ont grandi, elle est devenue bénévole d’une association caritative, elle a aidé
des scolaires en perdition et l’ensemble de cette vie d’une grande diversité et
d’une grande richesse est englouti dans deux mots : « sans
profession ».
Dans la grande majorité évidemment, ce sont des femmes.
Si des situations similaires étiquetaient majoritairement des hommes, soyons
assurés qu’on aurait trouvé depuis longtemps une expression plus valorisante
que « sans profession ».
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