Pour
rompre avec son passé, il faut rompre avec les objectifs de ce passé. On ne
peut pas rompre avec le communisme si l’on conserve les objectifs du
communisme. On ne peut pas rompre avec le terrorisme nationaliste si l’on
conserve les objectifs du séparatisme.
Dans
ma vie de communisme, deux grands piliers assuraient l’édifice. Le premier
était l’annonce d’une société de bonheur et d’égalité par l’élimination de la
bourgeoisie capitaliste. Le second était que cet objectif ne pouvait être
atteint que par la détermination, le courage, le sacrifice, d’une avant-garde
composée des meilleurs éléments de la classe ouvrière et d’une partie des
couches intellectuelles qui acceptait de se mettre au service de la révolution.
Pour éliminer la bourgeoisie capitaliste, il fallait une période dite de
dictature du prolétariat qui déblaierait le terrain pour l’éclosion d’une
nouvelle société.
Ces
deux piliers étant absorbés, le monde
s’éclairait d’un avenir lumineux. Tous les matins, les militants se levaient
d’un pied martial, chaque parole, chaque action, chaque manifestation, les
rapprochaient du Grand Soir. Le monde se partageait en adversaires destinés à
disparaître, dont la hargne à notre égard signait l’arrêt de mort. Des ouvriers
aussi, qui n’avaient pas encore acquis
la science prolétarienne et trompés par les sociaux-démocrates, croyaient qu’on pouvait aménager le
capitalisme. Et puis les couches moyennes, commerçants, cadres, intellectuels,
médecins, enseignants, qui s’intègreraient dans la nouvelle société à condition
de reconnaître le rôle dirigeant de la classe ouvrière. A ceux qui émettaient
des doutes sur cette nouvelle société, nous montrions les réalisations, les
succès, des pays où la révolution communiste l’avait emporté. Les ouvriers
étaient musclés, les paysannes roses de joue, les crèches se multipliaient et
le métro de Moscou apportait le Louvre aux masses laborieuses. Bien sûr les
partisans de l’ancien régime résistaient, et la police politique veillait au
grain, emprisonnait, rééduquait. Elle était le bras armé de la dictature du
prolétariat. Comme la révolution française, la révolution bolchevique ne
pouvait éviter la case terreur.
Les
partis qui revendiquent expressément cet héritage ont quasiment disparu de la
scène politique. Mais il reste de fougueux partisans de cet objectif. On les
reconnaît à leur description du système démocratique comme une dictature des
puissants qu’il faut renverser par tous les moyens. Grace à eux, les anciens
partisans de la dictature du prolétariat reprennent des couleurs, ressortent
les vieilles lunes sur la dictature du capital qu’il faut remplacer par la
dictature du peuple. Il leur manque l’équivalent du modèle soviétique, la
Chine, Cuba et le Venezuela présentent moins d’attraits.
Au
Pays Basque espagnol, la lutte armée a été balayée par la société civile et le
débat fait rage sur le récit des années de terreur. Le Goulag d’ETA était-il
justifié ? Le KGB basque était-il héroïque ? Les etarras étaient-ils
une avant-garde léniniste ou des terroristes fascisants ? On discute. Au Pays
Basque français qui n’a pas connu la même terreur, les objectifs séparatistes s’imposent
dans la vie quotidienne avec la douceur de slogans qui n’ont pas été abîmés par
le sang versé. Tous parlent du Pays Basque nord et du Pays Basque sud, les
écoles suppriment la frontière entre France et Espagne, réunifient les sept
provinces. Les partis séparatistes ont du mal à émerger tant leurs objectifs
sont familiers à tous les autres partis. Entre EH Baï et les discours de Jean-René
Etchegaray, l’écart se rétrécit et le séparatisme peine à se faire reconnaitre.
Pour
rompre avec son passé, il faut rompre avec les objectifs de son passé. Au Pays
Basque français, l’histoire se joue à l’envers. En adoptant les objectifs de la
terreur, la classe politique recrée la légitimité des terroristes.
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