Mieux
vaut être minoritaire que mort.
Si
au premier obstacle, tu mets pied à terre, si à la première réfutation tu
baisses les bras, si au premier échec, tu te décourages, si tu regardes
derrière toi et que personne ne suit, si tu te demandes est-ce qu’on peut avoir
raison contre tous, si tu dis dans ces conditions j’abandonne, qu’ils aillent
se faire foutre, si tu cherches des soutiens et que tu trouves des
découragements, si tu te dis à quoi bon, si tu penses que c’est fatigant, si
les regards se détournent, si les fenêtres se ferment et que tu ne trouves pas
le chemin des cœurs et des raisons, si tu fais le point et que tu te demandes
si tu ne vas pas abandonner, alors c’est que ça n’en valait pas la peine.
Mais
si tu penses que ça en vaut la peine, alors tu poursuis ton chemin, pas après
pas, sans te soucier des essoufflements, des surdités, des indifférences,
simplement parce que tu es convaincu que ça en vaut la peine.
C’est
une expérience inédite. Jamais je n’aurais cru me trouver dans un pays où tout
le monde est patriote, on dit abertzale
au Pays Basque, où l’amour du territoire remplace la pensée. Je sais qu’il y a
énormément d’endroits ou la passion nationale éteint les lumières, mais il y a
peu d’endroits où le débat entre les chercheurs de racines et les cosmopolites
a disparu. Partout ça discute, ça s’affronte, ça s’écharpe. Pas ici. Ici au Pays
Basque français règnent les patriotes et se taisent les républicains. Pendant
tout un temps, les patriotes réclamaient un département, l’autonomie, la
réunification du Pays Basque, l’officialisation de la langue basque, l’amnistie
pour les prisonniers qu’ils appellent politiques comme est rouge le sang versé.
Ils se heurtaient aux partis républicains, aux laïques, aux adversaires de la
terreur. Puis, tout le monde s’est converti. Les élus républicains de droite et
de gauche se sont unis aux abertzale pour demander une communauté basque, un petit
bout de territoire qui n’existe que dans les chansons et dans sa relation avec
le Pays Basque espagnol. Et le gouvernement socialiste leur a accordé une
communauté d’agglomération comme cadeau de nouvel an. Le préfet a quitté son
écharpe jacobine pour devenir un marchand d’illusions nationalistes, le gouvernement
a laissé faire. Et depuis, tout se passe comme si la République a abandonné le Pays
Basque français aux patriotes. Vous voulez négocier avec les terroristes la
remise des pétoires rouillées, mais je vous en prie, négociez, manifestez, la
police française vous offrira le café. Vous voulez des classes de la langue
basque à la demande de quatre familles, mais je vous en prie, on va ouvrir une
classe. Vous voulez qu’on rapproche les prisonniers qui sont politiques puisque
vous les déclarez tels, mais on va les rapprocher, ces tueurs patriotes, en
attendant l’amnistie. On entend murmurer ici et là des critiques, mais elles
sont étouffées, mystérieuses, ne viennent jamais à la surface puisque les
patriotes ont gagné, qu’ils règnent en maîtres, qu’ils imposent leur ordre du
jour. C’est fatigant de dire qu’il vaudrait mieux ouvrir une classe d’espagnol,
pour l’avenir des enfants. Mais si vous demandez une classe d’espagnol ou d’anglais,
vous devenez des traîtres, des ennemis de la patrie basque, vous n’avez rien à
faire ici, dehors. On ne vous parle plus, on ne vous salue plus.
Dans
la cour de récréation d’une école à Bruxelles, les élèves de rangent par camp :
d’un côté, les Wallons, de l’autre les Flamands. Au milieu de trouve deux
écoliers qui restent sur place. Samuel et Ahmed. Le maître leur demande, et vous,
où vous allez ? Les môme répondent,
on ne sait pas, nous sommes belges.
Un pays
libre est un pays où être Basque est possible mais pas obligatoire. Je commence
à me demander si je vis dans un pays libre.
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