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Plus le temps
passe, plus il est difficile de voyager
parce que voyager c'est changer les paramètres de l'environnement alors que
vous au centre de cet environnement, vos capacités d'adaptation sont moindres.
Il y aurait des livres entiers à écrire sur la douche des hôtels, le pommeau hors d’atteinte, la poignée s'échappe des doigts quand le flot est trop
puissant, qui glisse quand le flot est trop faible, qui inonde le sol d'une
salle de bains étroite et sans surface de rangement, qui se relève quand l’écoulement
est trop fort, qui retombe quand le filet d’eau est trop mince. Les prises pour
les nombreux appareils à recharger : téléphone, tablette, prothèses
auditives, assistance respiratoire, batterie de la trottinette, pompe cardiaque…sont toujours en nombre
insuffisant et elles meurent quand vous ôtez la carte-clé de son étui. L'escalier
descend abrupt à la porte de la chambre, le micro-onde est absent, le lit trop
bas d'où il est malaisé de se hisser à la posture verticale, la chaise grince
sous votre poids et vous pensez avec mélancolie au fauteuil de bureau coquille
qui vous maintient le dos fragile, qui se lève pour vous projeter debout, qui
se plie à vos courbes, qui obéit au doigt et à l'œil. Les marches et les
escaliers sont partout dans les anciens châteaux reconvertis en hôtel,
avec des armures et des baignoires aux murailles infranchissables. Le matelas lymphatique
vous déplace les vertèbres, le train se partage avec des dizaines d'autres
passagers qui téléphonent. Les salades sans vinaigrette, tous les restaurants
sauf l'Entrecôte à Bordeaux offrent des menus imprévisibles et si vous levez le
doigt pour demander du sel, le serveur regarde le temps qui passe.
Dans la
colonne crédit, naturellement, il y a des immeubles dignes de figurer dans des
musées, le long de la Garonne ou de la Seine. Il y a les lieux que vous
regardez à la télé qui se déroulent en 3D dans les autobus, l'Assemblée
nationale, la Place de la Concorde, les Champs Élysées, les Grands Boulevards,
la Bastille et la Nation, la place de la République, la Cité du Vin et surtout
les amis et la famille en chair et en os qui vous entourent au restaurant. Mais
désormais on se dit qu'il vaudrait mieux qu'ils viennent à vous, parce que les
rencontres en 3D sont irremplaçables, si l'on rajoute la chaleur du sang qui
coule sous la peau et des paroles douces comme le miel.
Il est vrai
aussi que les moyens modernes de déplacement et de communication permettent de
continuer d'écrire, même sur une chaise inconfortable, dans la pénombre et le
froid. L'éther maîtrisé transmet les courriers électroniques, les mels reçus ou
envoyés, les photos de profil sur Facebook. Votre tablette se transforme en
ordinateur, votre téléphone en kit de bureau. Mais aucun de ces artifices ne
remplacera jamais la trousse en cuir et la plume sergent major.
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