Ayant poussé son rocher jusqu’au sommet de la Rhune,
constaté que ce rocher roulait vers la vallée et qu’il fallait recommencer,
Sisyphe sortit sa carte d’identité d’un portefeuille patiné et remarqua que
l’heure de la retraite avait sonné.
Que signifie la retraite pour un homme condamné à
perpétuité à hisser un rocher au sommet de la Rhune, à l’observer roulant vers
la vallée et à recommencer ? Cela signifie, pour qui ne croit pas à
l’éternité d’un être humain, cela signifie déposer le rocher dans la vallée et
ne plus le pousser vers le haut, ou bien, quand le rocher est en haut de la
Rhune, le caler soigneusement pour qu’il ne puisse plus rebedouler.
C’est impossible, comme l’a si bien démontré Albert
Camus, Sisyphe ne peut pas prendre sa retraite, il a été condamné aux travaux
forcés à perpétuité, sans droit de grâce. Comme il est immortel, il est bon à
rouler son rocher le long des rails du petit train de la Rhune jusqu’à la nuit
des temps.
S’il est un être humain, il ne s’arrêtera qu’avec un
AVC, un cancer terminal ou un accident mortel. En attendant, il lui faut
pousser. S’il est un être humain, ses forces déclineront, ses muscles
s’affaibliront, son souffle deviendra court, ses yeux distingueront mal
l’horizon. Pour continuer à pousser son rocher, il lui faudra d’abord arrêter
de fumer. Ensuite porter des lunettes. Ensuite diminuer régulièrement le poids
du rocher. Pour réduire la charge, il peut tailler la pierre et en diminuer la
masse. Ou bien remplacer le rocher par une imitation de même taille, mais en
mousse de polystyrène qui ne pèse pas grand-chose. Pour sa réputation, la
deuxième solution est la meilleure, car la première aboutit à une grimpée de la
Rhune avec un petit caillou dans la poche.
Infatigables,
les militants de gauche doivent par les temps qui courent choisir entre un modèle
réduit ou une contrefaçon.
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