lundi 28 novembre 2016

sombre dimanche


Walter Benjamin, Stefan Zweig, se sont suicidés devant ce qui leur apparaissait comme l’irrésistible ascension d’une vague meurtrière. Maïakovski s’est suicidé incapable désormais d’affronter les évolutions staliniennes d’un régime qu’il avait soutenu. Beaucoup d’anonymes se sont suicidés pour les mêmes raisons. Beaucoup de suicides dans le Cuba castriste, dans l’Allemagne nazie, dans l’Italie mussolinienne, dans le Chili de Pinochet. Beaucoup de suicides et beaucoup d’assassinats et d’exécutions.

Tant que l’exil reste possible, on se suicide moins. De l’Irlande pauvre et intégriste, les artistes, les poètes, les femmes, les militants ouvriers, s’exilaient avant d’être dévorés par leur patrie. Les poètes, les intellectuels, les femmes, les artistes, les journalistes, les chanteurs, ont quitté ou vont quitter l’Algérie, le Venezuela, la Turquie, la Hongrie, la Pologne, Béziers et Fréjus…

Le travail intellectuel ne peut se développer que dans la liberté de découvrir l’inconnu, de détruire les préjugés, d’affronter les paresses. Il a aussi besoin d’un minimum de reconnaissance sociale, ne serait-ce tout simplement que pour survivre.

Le terrain commun à tous ces lieux cités est l’insulte à l’intelligence et le culte de la paresse. Il suffit d’être né au bon endroit pour faire partie d’une caste, d’une communauté, d’une race, d’une classe supérieure. Cette naissance privilégiée est inlassablement célébrée. L’histoire joue un rôle central dans cette célébration : vous êtes les meilleurs, oh, vous, sombres crétins, parce que vos ancêtres l’étaient déjà. Il vous suffit de naître pour faire partie de l’élite.

Vous connaissez Marguerite ? Cette pièce de théâtre dont l’héroïne, Marguerite, est persuadée d’être une grande cantatrice parce que née au bon endroit, elle est entourée de sycophantes qui l’applaudissent. Jusqu’au jour où…

Même si je n’écoute pas, je suis bien obligé d’entendre les responsables politiques de droite ou de gauche révolutionnaire et j’ai le même sentiment qu’en écoutant Marguerite chanter. Ils chantent tous faux mais ils chantent pour des auditeurs qui chantent aussi faux, et leur disent : comme vous chantez bien, comme vous chantez juste. Comme vous avez raison de ne pas réfléchir, de ne pas chercher à comprendre. Comme vous avez raison d’être incultes, comme vous avez raison d’être des imbéciles obtus ?

Un intellectuel est une personne persuadée qu’il suffit de chanter juste pour que tout le monde l’écoute. Bercée par cette illusion, elle continue de chanter même si personne ne l’écoute.

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