Crise
grave
Pas la peine
de se voiler la face. Nous traversons une crise de régime. Nous ne sommes pas
les seuls. La démocratie britannique est secouée. L’Italie, la Belgique, la
Hongrie, l’Autriche, se disloquent. Tous les pays d’Europe, au lieu de s’unir
pour affronter les puissances égoïstes (Russie, Chine, Etats-Unis), se chamaillent.
Le
capitalisme est devenu fou, rendu tout puissant par les égoïsmes nationaux et
par le recul des organisations de
défense des salariés. Les utopies expirent. Il reste des révoltes sporadiques,
impuissantes, réduites à la négociation par l’émeute, c’est-à-dire un recul
historique vers les origines du capitalisme. Entre les deux, une société
intellectuelle, enseignante, soignante, réfléchissante, compétente, accueillante,
qui permet à tous de tenir debout. Cette part intellectuelle et compétente de
la société, qui invente, qui innove, qui assure l’interface entre les exclus,
les malades, les galériens, les migrants et l’appareil d’état, je la voyais
représentée par la République marchante. Elle allait être respectée, écoutée.
Le capitalisme fou allait être bridé et ses ressources mises au service de l’intelligence.
Les galériens allaient être pris en charge et remis à flot. Nous allions éviter
les dérives qui ont mené Trump et Bolsonaro au pouvoir par l’effacement des
catégories intermédiaires et le face à face terrifiant entre les puissants les
plus conservateurs et les couches sociales mues par la peur et la haine de leur
propre histoire.
Nous
pensions que la victoire d’Emmanuel Macron nous permettrait d’affronter cette
période de tous les dangers. Nous sommes-nous trompés ?
Il
n’y eut guère de négociation avec le capitalisme financier. Plutôt une certaine
prévenance, une satisfaction des demandes avant même qu’elles s’expriment. A l’égard
des corps intermédiaires, syndicats, associations, ONG, chercheurs dans tous
les domaines de la vie sociale, un désintérêt sinon un mépris. Les discours
célébrant la richesse et la réussite étaient flamboyants. Les discours
célébrant l’intelligence étaient pauvres et parfois franchement conservateurs. Les
ministres de la culture, le ministre de l’éducation n’avaient que condescendance
pour les recherches et les inventions dans ce domaine. Le patrimoine devint une
valeur l’emportant sur l’invention. La dictée, la blouse, Stéphane Bern, Jean d’Ormesson
et Johnny Halliday célébrés comme icônes.
La
réaction aux gilets jaunes s’inscrit dans cette régression. Elle exprime la
fascination méprisante pour la partie du peuple qui répugne à se hisser aux
compétences et aux énergies que nécessite l’accès au pouvoir. Je me répète :
plutôt Gavroche sur une barricade qu’un syndicaliste à l’ENA.
Et
maintenant le lancement d’une grande discussion pour obtenir des résultats qu’une
lecture attentive des recherches et des réflexions nous aurait épargné. Une
petite satisfaction : identité et migration ont été retirées des ordres du
jour. Mais rien que de l’avoir proposé… On a oublié les débordements des débats
lancés par Nicolas Sarkozy sur l’identité.
Au
lieu d’une remise à plat politique, on recourt à des gadgets. Le référendum
comme outil démocratique. Je ne vais pas répéter ici toutes les critiques. Les
maires célébrés comme responsables politiques modèles. On a oublié le nombre de
maires (la majorité ?) qui ont supprimé la réforme des rythmes scolaires
alors que les spécialistes, les chercheurs, les sociologues, les médecins, avaient
tous célébré sa mise en place comme favorable aux élèves. On a oublié le nombre
de maires (pas la majorité), qui préfèrent payer une indemnité plutôt que de construire
des logements sociaux.
Va-t-on
s’en sortir par le haut ? Si l’échec s’approfondit, nous savons qui est à
l’affût pour la relève.
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