Noir
sur noir, blanc sur blanc
Sur
l’identité, je suis intarissable. Ma situation de déraciné compulsif, d’exilé
permanent, d’étranger intransigeant, me permet d’intervenir sur cette question
et à chaque fois, de recevoir en retour un soufflet en incompatibilité. Je ne
peux parler de rien puisque je ne suis de nulle part.
Le
film de Kathryn Bigelow, Detroit, sur
les émeutes de 1967, est condamné par des organisations noires parce que la réalisatrice
est blanche. Ma compétence s’allume,
clignote, mobilise mes expériences multiples. Consacrant une partie de mon
temps à l’histoire irlandaise, des gardiens du temple national m’ont demandé de
quel droit j’intervenais sur des sujets sensibles, puisque j’étais complétement
étranger. Il m’est arrivé d’intervenir aussi sur des sujets concernant les
Juifs, et en boomerang, j’ai reçu des baffes qui me punissaient d’intervenir
dans un champ qui devrait m’être interdit étant donné une judéité chancelante,
ni religieuse, ni politique, tout juste imposée par une vacance prépucière et
effleuré par une étoile fugace. Ensuite, j’ai cru pouvoir intervenir sur le
nationalisme basque et on m’a fait comprendre que de passer quelques années
dans les Pyrénées atlantiques même en résidence principale, n’efface nullement
ma qualité d’étranger disqualifié par son étrangéité.
Quand
je partage cette expérience avec des auditeurs situés à gauche de l’échiquier
politique, je suscite une certaine sympathie. Ils me donnent raison d’envahir
des territoires sensibles. L’humanité est une et indivisible et rien de ce qui
est humain ne devrait m’être étranger.
Je
vaquais donc tranquillement, le cuir tanné par les coups, mais allégés par une
doxa protectrice. Et voilà que depuis un certain temps, la protection se
fissure. Des associations noires prétendent interdire aux non-noirs de
s’occuper de leur histoire. Et je sens parfois une certaine acceptation, sinon
tendresse, pour cette interdiction, dans les rangs d’une partie de la gauche.
Je
persiste à refuser la dérive identitaire. La couleur ne change pas la donne. La réaction
des nationalismes quelle que soit la couleur de l’arc-en-ciel ne vise pas à
protéger une communauté contre les intrusions étrangères, mais d’abord à
assurer le contrôle d’une partie de la communauté sur l’ensemble. La partie la
plus « radicale » veut s’arroger le droit de nommer qui en fait
partie ou pas. Quand on me refusait le droit d’intervenir dans la situation
irlandaise, cet interdit faisait partie d’un interdit plus général sur
les Irlandais eux-mêmes. Parmi les Irlandais, il y avait les vrais et les faux,
les authentiques et les frelatés, ceux qu’on appelait les « West
Britons », les Britanniques de l’Ouest, attirés par l’ennemi héréditaire,
par sa culture. Qui avaient abandonné la religion nationale. Et les purs et
durs qui parlaient gaélique ou faisaient semblant, qui s’affirmaient prêts à
mourir pour la patrie. De même, on m’accusait depuis longtemps d’être un Juif
défraîchi, qui avait abandonné depuis longtemps l’authentique tradition, sans
religion, sans langue. Il n’est pas inconditionnel de l’État d’Israël, et même
pour Kippour il ne jeune pas. Quand à ma basquitude, je n’en ai ni les gênes,
ni la langue et je n’en ai pas partagé l’histoire. Je constate que ce rejet de
ma personne est utile pour distinguer les patriotes des faux Basques, ceux qui
acceptaient de me parler et de discuter avec moi, ou encore pire, ceux qui
trouvent quelques grains de vérité dans mes descriptions du paysage.
Pour
les indigènes de la République ou les héritiers des Black Panthers, la
mécanique est identique. Ils sont juges de la couleur de la peau. Ceux qui ne
partagent pas leurs exclusions ont perdu un peu de leur ébène. Des oncles Tom,
des esclaves mal affranchis, des traîtres à la cause, des passés à l’ennemi.
Des blanchis.
Cette
mécanique ne s’arrête jamais, elle a pour moteur son existence même. Les plus
purs des plus purs trouvent toujours des moins purs parmi les purs. Un homosexuel
ne peut pas être un vrai Irlandais, un bourgeois intégré ne peut pas être un vrai
Noir. Il se prétend basque et a critiqué l’ETA.
Malheur
aux peuples qui délèguent à une fraction du peuple le droit de décider qui
appartient au peuple et qui ne lui appartient pas.
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