lundi 21 octobre 2019

l'histoire les rattrape


La fin du consensus (La semaine du Pays Basque. vendredi 18 octobre 2019).


Maïté Pagazaurtundua, députée européenne, a rencontré Jean-René Etchegaray le 11 octobre 2019. Elle a dénoncé la campagne des « artisans de la paix » qui contredit la ligne défendue par le parlement européen ». En effet, la commission des libertés civiles, dont elle est vice-présidente, demande la protection des victimes du terrorisme contre les agressions et les humiliations qu’elles subissent de la part des soutiens des criminels. Maïté Pagazaurtundua fait ici allusion aux insultes et aux menaces qui l’accompagnent quand elle défend le droit des victimes. Elle s’oppose à ce qu’on nomme « conflit » l’agression du terrorisme contre un état démocratique, elle critique qu’on place sur le même plan ceux ont tué et leurs victimes. Les victimes du terrorisme et leurs familles ont droit à la justice et aux réparations. Ceux qui se proclament pour la justice devraient exiger des enquêtes pour les quatre cents meurtres de l’ETA non résolus.

Toutes ces failles ont en commun de reprendre les thèses des séparatistes qui justifient le terrorisme, qui justifient les meurtres. La vérité est que l’ETA s’est attaquée à un état démocratique, qu’elle a été battue par un état de droit et par la démocratie. L’important est la condamnation du terrorisme afin que la réconciliation repose sur des bases saines.

Les prisonniers sont-ils soumis à un régime d’exception ? Non. En Espagne, les prisonniers qui le souhaitaient ont été réintégrés dans la société. En demandant pardon aux victimes, en renonçant à la lutte armée, des centaines de prisonniers ont été libérés. Pendant des décennies, l’ETA les a condamnés et considérés comme des traîtres. 

Il n’est pas difficile de comprendre qu’un condamné qui refuse de demander pardon à ses victimes, qui persiste à penser qu’il a eu raison de les massacrer, qui attend la libération pour faire la fête et célébrer son « héroïsme » rend les mesures de clémence difficiles.

En mettant ainsi la question des victimes au cœur des débats, la rencontre du 11 octobre rompt avec le consensus local sur le « processus de paix ».

            C’est cette rupture qui est pointée par La semaine du Pays Basque dans les éditoriaux d’Edmond Dantès et de Stéphane Micoud . « Maïté Pagazaurtundua est venue à Bayonne et a brisé son consensus ».

Les réactions :

Pako Arizmendi, président régional  EAJ-PNB (parti nationaliste basque en France) reconnaît que le discours de Jean-René Etchegaray sur les victimes du terrorisme est contraire à la ligne du parlement européen. Jean-René Etchegaray a « souvent montré une forme de compréhension envers certains membres de l’ETA ». C’est que les élus du Nord n’ont pas vécu la souffrance dans leur chair. Pour eux, c’était un conflit « étranger » dont il ne fallait pas se mêler. Mais « l’histoire nous a rattrapés ».

Pako Arizmendi comprend la colère de Maïté Pagazaurtundua. Elle a souffert de la violence etarra. Elle est venue rappeler au maire de Bayonne que ses positions heurtent une partie de la société basque au sud. Mais il comprend aussi la main tendue par Jean-René Etchegaray. Justement parce qu’ils n’ont pas souffert, ils peuvent œuvrer pour trouver une solution. La méconnaissance de ce qui s’est passé au sud est une chance pour l’ensemble du Pays Basque. Elle a permis à l’ETA de déposer les armes. Cette méconnaissance a permis  de construire un Pays Basque en paix. Il est temps aujourd’hui de s’ouvrir à la connaissance de notre passé. C’est que Maïté Pagazaurtundua a voulu rappeler au maire de Bayonne et Pako Arizmendi peut la comprendre.

Dans le même dossier, Gaby Mouesca donne un exemple de cette « méconnaissance ». Jugé et condamné pour activités terroristes en bande armée (il a été « impliqué avec Iparretarrak »),  il n’a jamais demandé pardon, jamais regretté. Aujourd’hui, la nouvelle étape « est bien évidemment la libération des personnes en détention ». Dans son interview il affirme que l’essentiel pour lui est de ne jamais attenter à la dignité de la personne humaine. Attenter n’est pas un mot qu’il devrait utiliser. Pour lui, un attentat n’attente pas à la dignité de l’homme.

La réaction de Jean-René Etchegaray est une explosion de colère. Alors que Pako Arizmendi et Anaiz Funosa gardent un ton mesuré, le maire de Bayonne est furieux de cette atteinte argumentée au consensus local. Tout un monde qui s’écroule.

Il n’imaginait pas que la rencontre avec « cette personne » était destinée à l’exposer à une condamnation sur la place publique. Heureusement que « cette députée européenne » n’exerce aucun pouvoir de police ou de justice ». « Cette personne » n’a aucune légitimité pour juger mes  positions sur le processus de paix. Elle l’a taxé de négationniste. L’accusation est grave. Cette personne lui fait un procès en hérésie au Moyen-Age. Il ne conteste pas les souffrances issues du « conflit » mais sa lecture passionnelle du passé n’aide pas à préparer l’avenir. « Cette personne » est députée européenne.

Le projet de Jean-René Etchegaray est de construire la paix et la réconciliation au Pays Basque. Le fait de demander le rapprochement des prisonniers ne signifie pas indifférence aux souffrances de victimes et de leur famille. Il tente d’initier la réconciliation  de « toutes les composantes » en les invitant à participer aux temps des récits, celui des victimes comme celui des prisonniers. C’est ce qui s’appelle la justice transitionnelle.

Jean-René Etchegaray estime que la sculpture de la hache est « une œuvre d’art léguée par un grand sculpteur Koldobika Jauregui ». Pourquoi cette œuvre d’art pourrit-elle dans un hangar de Bayonne ? Pourquoi le maire de Bayonne ne l’installe-t-il pas dans le hall de sa mairie ? Il ne le dit pas.

Pour Anaiz Funosas présidente de Bake Bidea, il faut rapprocher, libérer, aménager. Avancer sur ces questions, ce n’est pas humilier certaines victimes, c’est une démarche importante dans cet exercice qui est à construire. Car tous ces prisonniers sont sous une procédure d’exception. Aujourd’hui il faut passer à la « justice transitionnelle » avec les « experts internationaux ». C’est le contraire de la vengeance.

Les personnes comme Maïté Pagazaurtundua qui accusent les artisans de la paix de porter le discours d’ETA n’acceptent pas ce chemin. Elles estiment que la seule solution est la répression et la prison.

                         

Quand la terreur faisait rage, les Artisans de la paix ne sont pas intervenus. Quand l’ETA n’était pas encore défaite, jamais les Artisans de la Paix ne lui ont demandé de se dissoudre. En fait, les  Artisans de la Paix et Jean-René Etchegaray demandent tout aux gouvernements français et espagnol, rien aux anciens terroristes. Ils ne demandent pas la cessation des libations et des liesses qui insultent les victimes. Ils ne demandent rien. Ils ne vont pas les voir. Ils trouvent le chemin des prisons, le chemin des clandestins. Le chemin des victimes leur est inconnu. Il se confirme que les Artisans de la Paix reprennent le vocabulaire de la guerre menée par ETA. Jean-René Etchegaray est furieux : il est accusé par Maïté Pagazaurtundua d’être complice des etarras. Il a raison. Le blanchisseur qui efface les taches de sang n’est pas complice des assassins.

Les Artisans de la Paix, Bake Bidea et Jean-René Etchegaray parlent de « justice transitionnelle. Ils ne savent pas ou ne veulent pas savoir que dans tous les cas, Afrique du Sud, Irlande du Nord, Colombie, les terroristes et les bourreaux doivent demander pardon pour que la discussion s’engage.

            Grâce à Maïté Pagazaurtundua et à l’Observatoire du Pays Basque, le consensus est brisé. Il a été brisé quand la sculpture de la hache fut envoyée au rebut. Brisé quand l’Observatoire a été reçu par le Préfet. Brisée quand les Artisans de la Paix et Jean-René Etchegaray protestaient contre l’arrestation de Josu Ternera et qu’une tribune de Libération apportait le soutien à ses victimes. La réflexion a commencé. Elle se poursuivra. Elle ne sera pas tranquille, mais elle est nécessaire.   Comme dit Pako Arizmendi, « l’histoire les a rattrapés ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire