Régis
Debray, le génie français, Gallimard,
2019
Court essai
où Régis Debray imagine une recherche d’un écrivain qui pourrait symboliser le
« génie français ». Il oppose, dans la dernière sélection, Stendhal
et Victor Hugo. Stendhal est le prototype abhorré : ses héros, Fabrice,
Julien Sorel, Lucien Leuwen, sont à la recherche de réussite individuelle,
amour ou carrière. Les héros de Victor Hugo, Jean Valjean, Gavroche, les
familles de marins, sont mus par des sentiments universels, la lutte pour la
justice, la solidarité. On comprend vite que Stendhal ne fait pas le poids. D’autant
qu’il hait la patrie, s’exile par haine du terroir tandis que Victor Hugo
debout sur le rocher de Jersey s’enracine d’autant plus qu’il est loin.
Le tout dans un style enlevé et fondé sur une érudition exemplaire.
Cet essai n’est
pas critique littéraire. Il est l’occasion pour l’auteur de renouveler une
condamnation sans appel de toutes les adaptations au capitalisme et au marché
qui ne sont pas étapes vers la révolution. Les Thénardiers sont au pouvoir.
Emmanuel Macron est un héros stendhalien et les gilets jaunes sont les
héritiers des Misérables et de Gavroche.
Voici
l’exemple de ce qui est acceptable dans notre monde. Surtout pas de rupture, de
la fidélité, de la continuité. Rester dans la famille. Voici un homme qui a
fait le tour du monde, géographiquement et intellectuellement. Les aventures du
Che en Bolivie, les prisons, le conseil des politiques au Chili avec Allende,
puis en France avec François Mitterrand. Maintenant, retour à la case départ,
celle de la révolution. Gilets jaunes et le Che. Victor Hugo contre Stendhal.
Rompre,
c'est à dire extraire de telles expériences l’idée que les plus grands malheurs
du monde se sont déployés dans les régimes fascistes et communistes. Et ainsi d’affronter
les mouvements sociaux à partir de cette expérience. Voir dans les émeutiers de
tous les pays non pas une masse informe, mais des personnes qui réfléchissent
et qui parfois s’engouffrent dans les impasses de l’histoire, le populisme
fascisant ou la radicalité meurtrière. Rompre, c’est refuser d’admirer l’émeute
quand elle prend ce chemin. Mais pour rester dans la famille, il faut admirer l’émeute
et pourfendre ceux qui tentent de réformer sans plonger dans l’horreur.
Dans les
années 1980, Claude Allègre était ministre de l’éducation nationale. J’enseignais
dans les classes préparatoires du Lycée Saint-Louis, Boulevard Saint-Michel. Entre
les heures supplémentaires, les « colles », nous étions les mieux
payés de tous les enseignants de France. Les cours s’arrêtaient au printemps, place
aux concours. Mais les heures supplémentaires étaient payées toute l’année. Au
ministère, ils eurent l’idée folle de ne payer que les heures supplémentaires
faites et pas les autres. C’était un avantage acquis. Les enseignants des
classes préparatoires, qui forment l’élite de la nation, se mirent en grève,
manifestèrent. Place de la Sorbonne. Devant le Lycée Saint-Louis. En sortant de
mes cours, je fais face à la manifestation et qui je vois au premier rang ?
Régis Debray.
Il y a
plusieurs manières de rester dans la famille.
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