dimanche 27 octobre 2019

Régis Debray


Régis Debray, le génie français, Gallimard, 2019



Court essai où Régis Debray imagine une recherche d’un écrivain qui pourrait symboliser le « génie français ». Il oppose, dans la dernière sélection, Stendhal et Victor Hugo. Stendhal est le prototype abhorré : ses héros, Fabrice, Julien Sorel, Lucien Leuwen, sont à la recherche de réussite individuelle, amour ou carrière. Les héros de Victor Hugo, Jean Valjean, Gavroche, les familles de marins, sont mus par des sentiments universels, la lutte pour la justice, la solidarité. On comprend vite que Stendhal ne fait pas le poids. D’autant qu’il hait la patrie, s’exile par haine du terroir tandis que Victor Hugo debout sur le rocher de Jersey s’enracine d’autant plus qu’il  est loin.  Le tout dans un style enlevé et fondé sur une érudition exemplaire. 


Cet essai n’est pas critique littéraire. Il est l’occasion pour l’auteur de renouveler une condamnation sans appel de toutes les adaptations au capitalisme et au marché qui ne sont pas étapes vers la révolution. Les Thénardiers sont au pouvoir. Emmanuel Macron est un héros stendhalien et les gilets jaunes sont les héritiers des Misérables et de Gavroche. 


Voici l’exemple de ce qui est acceptable dans notre monde. Surtout pas de rupture, de la fidélité, de la continuité. Rester dans la famille. Voici un homme qui a fait le tour du monde, géographiquement et intellectuellement. Les aventures du Che en Bolivie, les prisons, le conseil des politiques au Chili avec Allende, puis en France avec François Mitterrand. Maintenant, retour à la case départ, celle de la révolution. Gilets jaunes et le Che. Victor Hugo contre Stendhal. 


Rompre, c'est à dire extraire de telles expériences l’idée que les plus grands malheurs du monde se sont déployés dans les régimes fascistes et communistes. Et ainsi d’affronter les mouvements sociaux à partir de cette expérience. Voir dans les émeutiers de tous les pays non pas une masse informe, mais des personnes qui réfléchissent et qui parfois s’engouffrent dans les impasses de l’histoire, le populisme fascisant ou la radicalité meurtrière. Rompre, c’est refuser d’admirer l’émeute quand elle prend ce chemin. Mais pour rester dans la famille, il faut admirer l’émeute et pourfendre ceux qui tentent de réformer sans plonger dans l’horreur.


Dans les années 1980, Claude Allègre était ministre de l’éducation nationale. J’enseignais dans les classes préparatoires du Lycée Saint-Louis, Boulevard Saint-Michel. Entre les heures supplémentaires, les « colles », nous étions les mieux payés de tous les enseignants de France. Les cours s’arrêtaient au printemps, place aux concours. Mais les heures supplémentaires étaient payées toute l’année. Au ministère, ils eurent l’idée folle de ne payer que les heures supplémentaires faites et pas les autres. C’était un avantage acquis. Les enseignants des classes préparatoires, qui forment l’élite de la nation, se mirent en grève, manifestèrent. Place de la Sorbonne. Devant le Lycée Saint-Louis. En sortant de mes cours, je fais face à la manifestation et qui je vois au premier rang ? Régis Debray.  

Il y a plusieurs manières de rester dans la famille.

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