David et Goliath.
Les vagues de l’histoire et du hasard, du collectif et
de l’individuel, en se retirant, m’ont abandonné sur une plage du Pays Basque. Dans
un pays où la crue du nationalisme monte irrésistiblement. C’est un pays fort
agréable, la mer, le soleil et la pluie, les festivals et la musique, les
couchers de soleil. Il fait bon y vivre et s’y promener à condition de rester
touriste. Étranger. Je ne supporte pas d’être touriste et d’être étranger. Je n’aime
pas les vacances à cause de ce sentiment de vacuité extrême. Les hommes et
habitations réduits à la situation de décor pour photos souvenirs.
Donc j’interviens. J’écris, je parle, j’organise des
réunions, je lève le bras dans des meetings, et quand on me répond que je suis
un étranger, je répète que je suis basque parce que telle est ma décision et
que ceux qui me désignent comme non-basque révèlent par leur insulte leur
soutien à un nationalisme d’exclusion.
Je ne fais qu’appliquer ici une prise de position qui
m’est chère, qui m’est indispensable pour vivre. Le minoritaire éclairé. Le
bonze qui s’immole parce que les flammes
de l’essence sont le dernier argument. Le suicide de Walter Benjamin ou de
Stefan Zweig, mais quand ils se sont suicidés, ils étaient des écrivains
connus, si je me suicidais, et je ne vous cache pas que l’idée m’a effleuré, un
suicide comme arme contre les intégristes religieux ou nationaliste, étant
donné ma notoriété limité, les effets seraient minimes. Une autre solution
serait l’exil, comme James Joyce contre les crispations irlandaises, ou Romain
Rolland contre la folie guerrière. Mais je me retrouve alors dans la même
difficulté. D’une part, si je m’exilais, à Dublin ou à Trieste, je n’ai pas l’impression
que la nouvelle frapperait beaucoup d’esprits. Et puis, déménager à mon âge…
J’ai souvent regretté les situations extrêmes. Un mot
de travers, une parole interdite et l’auteur se retrouvait en prison ou parfois
même fusillé. Souvent même pour rien du tout. Là, j’aurais été dans la liste
des victimes du nazisme ou du stalinisme. Tout ça c’est terminé. Les œuvres sont
censurés, les auteurs hurlent, mais le
sang ne coule pas. J’aurais rêvé rétrospectivement d’avoir été abattu par un
commando de l’IRA quand j’écrivais des livres sur l’Irlande, ou par un
commando de l’ETA quand j’écrivais sur la terreur basque. Malheureusement,
comme je suis athée, que je ne crois pas à la survie après la mort, je ne n’aurais
pas pu assister à ma gloire éphémère, aux discours éplorés. Quant à recevoir
une balle dans le genou pour quelques exemplaires vendus de plus, j’hésite.
De là à jouir de ma solitude politique, il n’y a qu’un
pas. Vite franchi. Il faut être logique. Il faut être conséquent. Je ne peux
pas à la fois jouir de ma solitude politique et reprocher aux autres de ne pas
s’engager. Certains, dont je ne suis pas, dénoncent la passivité des masses, le
renoncement. Si j’arrivais à entraîner trop de gens dans mon combat, je ne
serais plus seul et ce serait une catastrophe.
Quand on m’applaudit dans une réunion, je me demande
quelle bêtise j’ai pu dire. Quand on me siffle, je retrouve mon calme. Ce
plaisir que j’ai d’être minoritaire, par définition, ne peut pas être partagé. Si trop de personnes me soutiennent, je perds le
plaisir de l’ermite. J’oubliais, mon second prénom est David.
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