Déménager déchire. Vous participez à la vie politique,
culturelle, affective, familiale, associative, urbaine, par mille fils ténus ou
solides. Certains se tendent mais ne rompent point avec l’éloignement
géographique. D’autres ne tiennent que par la proximité. Un simple changement
de quartier, quelques stations de métro, provoque un bouleversement de vos
cercles et de vos réseaux. Ce n’est pas pareil de toquer à la fenêtre pour une
tasse de café et de téléphoner à un ami qui habite à quatre stations de métro,
une demi-heure à pied, vingt minutes en autobus. La retraite vous arrache au
réseau professionnel et on se revoit et on se téléphone, mais on ne se
téléphone pas et on ne se revoit pas. Les relations les plus fortes résistent.
La toile retisse des rapports disparus, mais il suffit d’une panne de réseau,
d’un incident informatique pour que l’ombre d’une relation perdue et retrouvée
se dissipe.
Si vous restez dans le même pays, les préoccupations proches
disparaîtront, resteront les récits partagés : une élection
présidentielle, un massacre incongru, des migrants et des scandales sexuels.
Une poubelle qui déborde et pue à l’angle de la rue Richomme et de la rue des
Poissonniers ne dérangera guère au-delà d’une cinquantaine de mètres et votre grand-père
qui habite Biarritz qui se plaint d’un trottoir défoncé aura du mal à partager
vos malheurs olfactifs. Les incidents locaux freinent les conversations.
Quand je discutais sécurité, mixité sociale, communautarisme,
prière de rue, zone d’éducation prioritaire, à la Goutte d'Or, j’avais le
sentiment peut-être erroné, d’évoquer des idées, des difficultés, des conflits
qui pouvaient être compris bien au-delà du périmètre. Et aujourd’hui, dans la
ville de Biarritz, dans le Pays Basque, j’ai le sentiment de vivre dans un pays
étranger, où je peine à faire partager mes préoccupations à mes amis qui ne
cohabitent pas et mes inquiétudes à mes amis proches.
Je lis les activités des élus, Vincent Bru, modem et en marche,
Max Brisson, sénateur. Max Brisson, sénateur de la nation, passe beaucoup de
temps et d’énergie pour que la ville de Bayonne puisse utiliser une monnaie
locale l’eusko, un eusko, un euro, une monnaie qui ne s’accepte que par un
millier de Basques sur trois cent mille et qui paraît-il permet d’acheter
local, comme si je n’achetais pas local un fromage de chèvre, du vin des
Pyrénées, des piments d’Espelette, en les payant en euros. Vincent Bru, député
de la nation, visite dans les prisons les prisonniers basques condamnés pour
activités terroristes en bande armée et demandent leur rapprochement de leur
famille, sans dire un mot de leurs victimes. Les deux défendent
l’officialisation de la langue basque alors que son enseignement est déjà
largement subventionné par les fonds publics. Avant eux, les élus socialistes
se comportaient comme des élus cantonaux, jamais un mot sur les problèmes
nationaux ou internationaux, jamais un mot sur l’Europe. Elles se présentaient
comme des «élues du territoire ». Leurs remplaçants suivent leurs traces. En
échange d’un soutien national, accompagnez nos engagements indigènes.
Dans les frontières de l’hexagone, les clivages politiques
portent sur les réformes du droit du travail, les nouvelles mesures éducatives,
l’accueil des migrants, les relations avec l’Europe. Pas au Pays Basque. Ici règne
l’unanimité sur la langue basque, sur l’eusko, sur le rapprochement des
prisonniers et sur un communautarisme bruyant ou silencieux. On ne discute pas
de l’identité, elle est naturelle. Essayez de parler tennis de table dans les
gradins d’une finale de coupe, vous comprendrez. Le Pays Basque se divise en
supporters et en touristes.
De ce fait de nature, de cette essence authentique, de ces
politiques qui s’appuient sur les paysages et sur les troupeaux, on ne discute
pas. Au conseil municipal, les tensions sont vives sur l’aménagement des
plages, sur le stationnement, sur le financement de la cité de l’océan, sur le
statut de palace de l’hôtel de l’impératrice. Mais sur le fait national, sur
l’ancrage par la langue, le territoire, le
nom de famille, sur l’idée qui partout ailleurs serait nauséabonde que
les logements doivent être réservés aux autochtones, on ne discute pas. On ne discute
pas de la couleur du ciel, la beauté des enfants, la basquitude. L’identité coule
dans le sang, n’est pas soumise à
raisonnement. Tu n’es pas basque parce que tu ne comprends ce que c’est d’être
basque. Tu es basque si tu comprends ce que c’est d’être basque. Il ne suffit
pas de parler la langue. Tu peux être chanteur, écrivain ou sculpteur basque,
si tu n’éprouves pas ce sentiment qui monte de la terre basque, tu perds ta
qualité de basque.
Le drapeau basque recouvre le pays comme une chape de plomb.
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