Excusez-moi.
Ils étaient
douze ou quinze autour de la table, la section socialiste de Biarritz devait voter mon renvoi devant une commission
de discipline parce que je dénonçais publiquement l’appui des élues aux prisonniers
basques condamnés pour activités terroristes en bande armée. Ils ont voté et depuis leur candidat a recueilli six pour cent des voix aux
présidentielles et Macron a été élu. Imaginez
l’inverse : une majorité de socialistes biarrots refuse de me sanctionner
et Macron battu par Fillon. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Ils m’avaient
renvoyé devant une commission disciplinaire et cette décision m’a beaucoup blessé.
Je n’ai pas oublié. Les votants ont oublié. Ils n’ont jamais dit, je regrette,
c’était une bêtise, ils font comme si rien ne s’était passé. Biarritz est un village. Je les rencontre dans
la rue, au café, à une réception, sur une terrasse, le long de la promenade des
plages. Quand je suis avec d’autres personnes, je les présente : « je
te présente M…, qui m’a envoyé devant une commission de discipline parce que je
protestais contre l’appui des élus socialistes aux prisonniers basques
condamnés pour activités terroristes en bande armée ». M… bafouille.
J’ai été
exclu du PCF. Parmi les gens qui m’ont exclu, certains m’ont présenté leurs
excuses. Ils regrettaient. Je les remerciais. Ne vous en faites pas, nous n’étions
pas au pouvoir, donc il n’y a pas mort d’homme. D’autres continuent à me dire
bonjour, à me parler, à me dire, les temps étaient durs (pour les exclus comme
pour les exclueurs, il y avait des responsabilités partagées), mais sans jamais
dire : excuse-moi, je n’aurais pas dû t’exclure. Ceux-là ne se remettent
pas en cause. Ils refusent de dire, de penser surtout, qu’ils ont été complices
d’un système de massacre des peuples. Ils se rendent bien compte que s’excuser,
c’est mettre le doigt dans l’engrenage, c’est commencer à penser que tout leur
engagement était d’une historique nocivité. C’est difficile.
Quand il y
accident de voiture et blessés ou pire, l’avocat dit à son client, surtout n’allez
pas vous excuser auprès de la victime ou de la famille, parce que si vous vous
excusez, ça veut dire que vous êtes coupable, et pour l’indemnisation, c’est
catastrophique.
Comme
responsable du PCF, j’ai exclu des gens. Quand je les rencontre, je m’excuse. Je
leur dis, je te prie d’accepter mes excuses. C’est difficile, mais pas
impossible. J’ai eu la force de
présenter des excuses parce que je sais que j’été complice de Staline et
de Pol Pot. Comme prof de fac, j’ai
harcelé des collègues ou des étudiantes. Quand j’ai rencontré certaines de mes
victimes, je leur ai présenté des excuses. Ce fut difficile. J’en ai eu la
force parce que je pouvais replacer mes comportements inadmissibles comme
partie d’un système de domination et de pouvoir. Si mes comportements étaient
compris comme de simples badineries, je ne me serais jamais excusé.
Les excuses
sont importantes, elles s’intègrent dans des combats politiques. Elles sont
reconnaissance d’une responsabilité. Au Pays Basque espagnol, dans certains
quartiers, les victimes rasent les murs. Les bourreaux paradent, font des
discours, sont applaudis à la sortie de prison.
Si vous rencontrez
Gaby Mouesca, demandez-lui s’il s’est excusé auprès de la famille d’Yves
Giumarra. Comment, vous ne connaissez pas Mouesca ? Ah, si bien sûr vous
connaissez. C’est Giumarra que vous ne connaissez pas. Yves Giumarra est un
gendarme qui a été abattu par les amis de Mouesca dans une forêt des Landes, le
7 août 1983. Gaby Mouesca n’a jamais demandé pardon. En revanche, quand une
famille de prisonnier crève un pneu en allant rendre visite à leur fils ou
maris emprisonné, Gaby Mouesca demande à l’État français tout entier de
présenter des excuses pour la crevaison d’un pneu, pour le rhume de l’épouse,
pour la fatigue de la route.
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