mercredi 17 janvier 2018

mise en scène


Dites-moi un nom, un parti, une association, un élu, qui ne soutienne pas les artisans de la paix. On entend ici et là chuchoter… mais un désaccord public ? Personne.

Personne ? Si, le lehendakari du Pays Basque espagnol. En réponse à l’invitation pressante de Jean-René Etchegarray, il a répondu « je n’irai pas à la manifestation. Comprenez-moi : les morts sont de notre côté ».

Au Nord, tout le monde applaudit. Au Sud, on entend les acclamations des abertzale radicaux, d’Otegi, de Sortu, qui citent le Pays Basque français en exemple. Et puis cette gifle, le Lehendakari qui refuse, qui dit « les morts sont de notre côté ».

Pour l’ETA, la question était urgente. Comment justifier la terreur, les mille morts, les milliers d’années de prison, sans avoir obtenu rien d’autre que ce que le Quebec, l’Ecosse et la Catalogne ont obtenu sans verser une goutte de sang ?  On pourrait imaginer un cessez-le-feu définitif, une demande de pardon, et puis le silence. Mais ce serait reconnaître l’indicible : ils sont morts et ils tué tué pour rien. Comment sortir de ce guêpier ? Que leur reste-t-il ? Des caches d’armes et des prisonniers. Suffisant pour organiser un grand spectacle. Pour transformer ensuite les prisonniers en « prisonniers politiques » dont il faut demander la libération pour que la guerre soit vraiment terminée. Un spectacle son et lumière, un Puy du Fou patriote avec participation bénévole de la population locale et jeux de piste dans la campagne.

      Un tel scénario est possible au Nord. Impossible au Sud parce que le roman d’Aramburu, Patria, qui parle des années de plomb y est un immense succès de librairie.  Parce que les associations de victimes sont actives, préparent un centre à la mémoire des victimes du terrorisme. « Parce que les morts sont de leur côté ». Parce qu’au Sud on ne demande pas le rapprochement des victimes, les cimetières sont si proches qu’on peut s’y rendre à pied.

Au Nord, c’est possible, parce que personne ne lit Aramburu, personne ne connaît les associations de victimes, le mémorial aux victimes du terrorisme. C’est possible parce que pendant les années de plomb, les Basques du Nord n’entendaient pas l’appel du Sud. J’ai participé à une manifestation à Vittoria après l’assassinat de Miguel Blanco. Avec des élus de Biarritz et leur écharpe tricolore. Le maire de Vitoria est venu nous saluer : bravo, enfin, depuis le temps qu’on vous attendait. Alors œuvrer pour la paix avait un sens.

Mais ici ? Il est possible d’inventer la paix parce que nous avons si peu connu la guerre. Au Sud, ils vivent en paix depuis que l’ETA a cessé le feu. Les élus peuvent se promener avec leur famille sans une dizaine de garde du corps. Il n’y a pas si longtemps ils traversaient la Bidassoa avec le sentiment de partir en vacances, les gardes du corps restaient à Irun et ils allaient librement prendre un café face à la mer à Hendaye. Ils vivent en paix depuis que l’ETA a cessé le feu.

Au Nord, il est possible de dire sans pudeur qu’il ne s’est rien passé depuis que l’ETA a cessé le feu. Qui a inventé que la guerre continue parce que des armes rouillent dans une cave ? Les artisans de la paix, en négociant avec l’ETA. Qui a inventé que la guerre continue quand les prisonniers dans leur majorité demandent pardon, s’engagent à ne plus recourir à la lutte armée, déclarent qu’ils n’ont plus rien à voir avec l’ETA, que ce n’est plus l’ETA qui leur guide la conduite à conduire ? Les artisans de la paix. Au Nord tous acceptent d’applaudir le spectacle des faiseurs de paix parce que ce sont des cérémonies de l’oubli.

Oubliée la honte,  le silence de la société basque quand nos frères appelaient à l’aide. Quand ils avaient vraiment besoin d’artisans de la paix. Quand ils manifestaient après les assassinats monstrueux, les kidnappings d’entrepreneurs. Alors, les artisans de la paix regardaient leurs sandales. Grâce à ce son et lumière, tout le monde pousse un soupir de soulagement. Nous avons contribué à la paix. Grâce à nous, le Pays Basque vit en paix. Nous pouvons oublier la honte de notre silence.

L’ETA offre à nos carabiniers une panoplie de faiseurs de paix pour Noël, et ils vont jouer avec, visiter les prisons, déterrer des armes, faire des discours sur la paix quand il n’y a plus de guerre.

L’effet est nul. L’ETA a cessé le feu sous la pression de l’opinion publique au sud. Il y a dix fois plus d’etarras en prison qu’en cavale. Elle se prépare à la dissolution. Le gouvernement examinera les dossiers au cas par cas. La terreur de l’ETA n’a servi à rien. Le spectacle des artisans de la paix ne sert à rien. Le Pays Basque français se condamne à vivre avec des ombres. Le réveil risque d’être sévère.

Mais nos élus ont reçu un beau cadeau de Noël. Jean-René Etchegarray, tous nos députés et sénateurs, tous les pacifistes de foire, ont l’enivrante illusion d’avoir résolu le conflit israélo-palestinien.

           

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