Dites-moi un
nom, un parti, une association, un élu, qui ne soutienne pas les artisans de la
paix. On entend ici et là chuchoter… mais un désaccord public ? Personne.
Personne ? Si, le lehendakari du Pays Basque espagnol.
En réponse à l’invitation pressante de Jean-René Etchegarray, il a répondu « je n’irai pas à la manifestation.
Comprenez-moi : les morts
sont de notre côté ».
Au Nord,
tout le monde applaudit. Au Sud, on entend les acclamations des abertzale
radicaux, d’Otegi, de Sortu, qui citent le Pays Basque français en exemple. Et puis
cette gifle, le Lehendakari qui refuse, qui dit « les morts
sont de notre côté ».
Pour l’ETA,
la question était urgente. Comment justifier la
terreur, les mille morts, les milliers d’années de prison, sans avoir obtenu
rien d’autre que ce que le Quebec, l’Ecosse et la Catalogne ont obtenu sans
verser une goutte de sang ? On pourrait imaginer un
cessez-le-feu définitif, une demande de pardon, et puis le silence. Mais ce serait
reconnaître l’indicible : ils sont morts et ils tué tué pour rien. Comment sortir de ce
guêpier ? Que leur
reste-t-il ? Des caches d’armes et des prisonniers. Suffisant pour organiser un
grand spectacle. Pour transformer ensuite les prisonniers en « prisonniers politiques » dont il faut demander
la libération pour que la guerre soit vraiment terminée. Un spectacle son et
lumière, un Puy du Fou patriote avec participation bénévole de la population
locale et jeux de piste dans la campagne.
Un tel scénario est possible au Nord.
Impossible au Sud parce que le roman d’Aramburu, Patria, qui parle des années de plomb y est un immense succès de
librairie. Parce que les associations de
victimes sont actives, préparent un centre à la mémoire des victimes du terrorisme.
« Parce
que les morts sont de leur côté ». Parce qu’au Sud on ne
demande pas le rapprochement des victimes, les cimetières sont si proches qu’on
peut s’y rendre à pied.
Au Nord, c’est possible, parce que personne ne lit Aramburu, personne
ne connaît les associations de victimes, le mémorial aux victimes du
terrorisme. C’est possible parce que pendant les années de plomb, les Basques
du Nord n’entendaient pas l’appel du Sud. J’ai participé à une manifestation à
Vittoria après l’assassinat de Miguel Blanco. Avec des élus de Biarritz et leur
écharpe tricolore. Le maire de Vitoria est venu nous saluer : bravo, enfin, depuis le temps
qu’on vous attendait. Alors œuvrer pour la paix avait un sens.
Mais ici ? Il est possible d’inventer la paix
parce que nous avons si peu connu la guerre. Au Sud, ils vivent en paix depuis
que l’ETA a cessé le feu. Les élus peuvent se promener avec leur famille sans
une dizaine de garde du corps. Il n’y a pas si longtemps ils traversaient la
Bidassoa avec le sentiment de partir en vacances, les gardes du corps restaient
à Irun et ils allaient librement prendre un café face à la mer à Hendaye. Ils
vivent en paix depuis que l’ETA a cessé le feu.
Au Nord, il
est possible de dire sans pudeur qu’il ne s’est rien passé depuis que l’ETA a
cessé le feu. Qui a inventé que la guerre continue parce que des armes
rouillent dans une cave ? Les artisans
de la paix, en négociant avec l’ETA. Qui a inventé que la guerre continue quand
les prisonniers dans leur majorité demandent pardon, s’engagent à ne plus
recourir à la lutte armée, déclarent qu’ils n’ont plus rien à voir avec l’ETA,
que ce n’est plus l’ETA qui leur guide la conduite à conduire ? Les artisans de la paix. Au Nord tous acceptent d’applaudir le spectacle des faiseurs de paix parce que
ce sont des cérémonies de l’oubli.
Oubliée la honte, le silence de
la société basque quand nos frères appelaient à l’aide. Quand ils avaient vraiment
besoin d’artisans de la paix. Quand ils manifestaient après les assassinats
monstrueux, les kidnappings d’entrepreneurs. Alors, les artisans de la paix
regardaient leurs sandales. Grâce à ce son et lumière, tout le monde pousse un
soupir de soulagement. Nous avons contribué à la paix. Grâce à nous, le Pays
Basque vit en paix. Nous pouvons oublier la honte de notre silence.
L’ETA offre à nos carabiniers une panoplie de faiseurs de paix pour
Noël, et ils vont jouer avec, visiter les prisons, déterrer des armes, faire
des discours sur la paix quand il n’y a plus de guerre.
L’effet est nul. L’ETA a cessé le feu sous la pression de l’opinion
publique au sud. Il y a dix fois plus d’etarras en prison qu’en cavale. Elle se
prépare à la dissolution. Le gouvernement examinera les dossiers au cas par
cas. La terreur de l’ETA n’a servi à rien. Le spectacle des artisans de la paix
ne sert à rien. Le Pays Basque français se condamne à vivre avec des ombres. Le
réveil risque d’être sévère.
Mais nos élus ont reçu un beau cadeau de Noël. Jean-René Etchegarray,
tous nos députés et sénateurs, tous les pacifistes de foire, ont l’enivrante
illusion d’avoir résolu le conflit israélo-palestinien.
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