Moulins à
vent ?
En 1995, le
terrorisme était considéré comme le principal problème de la société basque
espagnole par 45% des habitants d’Euskadi. En 2016, le pourcentage tombe à 0,7%
(el Pais). Nous avons changé d’époque.
Restent deux catégories de personnes qui se sentent de plus en plus étrangers
dans leur pays : les demi-soldes de l’ETA et les victimes ou leur famille.
Nous parlons
ici du Pays Basque espagnol. Le terrorisme n’a jamais été le premier sujet de préoccupation
au Pays Basque français. Il est d’autant plus surprenant qu’un mouvement qui se
présente comme mettant fin à la guerre sous le titre « les artisans
de la paix », puisse ainsi entraîner les principales forces politiques et
associatives du Pays Basque français. Comment expliquer qu’une société en paix
négocie avec une organisation terroriste le désarmement symbolique de caches d’armes
aussi inoffensives que les œufs de Pâques au printemps ? Comment une
société qui condamne le terrorisme refuse-t-elle de débrancher une ETA agonisante ?
Si l’on en
juge à la présence dans les conversations, dans la presse écrite ou les réseaux
sociaux, dans les discours, ce sujet est tout simplement absent. Il faut s’intéresser
pour trouver des dossiers, des articles, dans la presse nationaliste comme Enbata, de temps en temps dans
sud-ouest. On comprend bien pourquoi les patriotes ont besoin de prisonniers,
de martyrs, de livres de prison. Sans Jésus-Christ, pas d’église romaine, sans martyrs, pas de nation. Mais comment
trouvent-ils des élus, des maires, des députés, des sénateurs, qui les
accompagnent dans une promenade non pas
de santé, mais de survie ?
Ce phénomène est propre au Pays Basque
français. Partout où des fous de la nation ont fait couler le sang, ils sont
applaudis par ceux qui ont une conception guerrière de la politique, mais
vilipendés par les démocrates. En Corse, une cérémonie marquera le vingtième
anniversaire de l’assassinat du Préfet Erignac. Au Pays Basque espagnol, on
connaît Yoyès et Miguel Angel Blanco. Au Pays Basque français, on connaît Gaby
Mouesca et Philippe Bidart et personne
ne lit Patria, L’année est rythmée
par deux grandes manifestations, les fêtes de Bayonne et la fête de la paix. Dans
la première, Jean-René Etchegarray, quand il était maire de Bayonne, lançait
les clés de la ville aux festayres. Dans la seconde, le même Jean-René
Etchegarray, devenu lehendakari de la communauté d’agglo du Pays Basque, lance
une sucette aux combattants démobilisés parce que sinon, ils vont se mettre à hurler
et à trépigner.
Et pourquoi
tu t’en fais ? Pourquoi ça te tracasse ? Es-tu inquiet des fêtes de
Bayonne ? La fête de Pampelune te fait-elle peur ? Pourquoi cette
colère, cette inquiétude, qui vire parfois à l’angoisse, devant ces soins
palliatifs pour une guerre morte? Le Pays Basque français a le droit de faire
la fête à sa manière. Il a sa langue, ses chansons, ses danses, ses poèmes.
Après tout, la France tout entière chante régulièrement « formons non bataillons,
marchons, marchons, qu’un sanguimpur… ». Et le 11 novembre, le 14 juillet,
des anciens combattants viennent présenter les armes sous les confettis,
pendant que le village danse place de la mairie. Pourquoi le Pays Basque n’aurait-il
pas le droit d’avoir des anciens combattants décorés, ses drapeaux déployés,
ses veuves et ses orphelins ?
Je suis
inquiet du manque d’inquiétude, de la tranquillité avec laquelle la socialiste Sylviane
Alaux souhaite que l’ETA ne se dissolve pas, car l’organisation terroriste doit
garder une place à la table des négociations. Je suis inquiet des visites deVincent
Bru aux prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée.
De la manière dont il les trouve corrects. Inquiet parce qu’il faut des mois de travail,
de discussions, de coups de téléphone, pour que les élus du Pays Basque français
acceptent d’aller rencontrer des associations de victimes, en traînant les
pieds. Même ces amis qui me suivent, qui sont d’accord avec moi, ne semblent
pas partager mes inquiétudes. Le repli identitaire leur semble un danger
lointain. Tellement flou qu’il est difficile à combattre. Comment dissiper des
brumes autrement qu’en attendant un coup de vent ?
Si je suis
inquiet pour rien, s’il n’y aucun danger de repli identitaire au Pays Basque français,
alors je m’évertue à combattre des moulins à vent. Ce ne sont pas des monstres
lui crie Sancho Panza, ce ne sont pas des chevaliers. Quelle rude vie que celle
de Don Quichotte ! Entre les paysans qui le bastonnent, les pèlerins qui
le rudoient, sa famille qui se moque, comment peut-il s’obstiner ? Comment
tenir bon alors tous les autres ne voient que des moulins à vent ?
Aux
élections, les patriotes tournent autour de dix pour cent. Suffisant pour qu’ils
soient intégrés dans des majorités municipales ou d’agglo. Tout le monde a
besoin de ces dix pour cent pour être élus. En échange, on obtiendra des
ikastolas, des cours de basque, des délégations dans les prisons auprès des prisonniers
basques condamnés pour activités terroristes en bande armée. Le président d’un festival dira « egun on »,
l’animatrice dira milesker et personne ne condamnera quelques excités qui brûlent
une maison ou une agence immobilières. Pas de quoi en faire un piment d’Espelette.
Les
patriotes envoient leur soutien aux indépendantistes catalans, aux autonomistes
corses. Ils réclament le rapprochement des prisonniers, le retour des exilés,
la réintégration des libérés. Mais on voit bien que ces incursions adultères
sont l’admission morne d’une stagnation autochtone. Ils constatent comme moi
que ça patine. Bon, ils vont obtenir le rapprochement des prisonniers qui depuis
longtemps savent que le combat est perdu. Plus ils sortent de prison, plus la
conscience de l’échec sera aigue. Il faudrait qu’ils restent encore quelques années,
le temps d’une reprise, on ne sait jamais. S’il n’y a plus aucun prisonnier, il
restera quelques sièges à la communauté d’agglo, des négociations aux
municipales pour des strapontins, la korrika annuelle sans portraits de
prisonniers. Comme de l’axoa sans piment.
Il resterait
alors des patriotes sans objectif, des républicains sans adversaires, alors que
partout ailleurs menace le repli identitaire. Le grand projet abertzale du
siècle dernier est-il devenu un moulin à vent ? Les patriotes ferait
semblant de lutter pour l’indépendance et moi je ferais semblant de penser qu’ils
constituent un vrai danger.
Ouvrez les
yeux. Une coalition sans principes a donné au Pays Basque français des
frontières. Désormais, une mécanique s’est mise en route. La frontière doit être
justifiée, elle doit entourer des locuteurs, elle doit désigner des résidents,
elle doit trouver des ancêtres et louer les martyrs. Ce ne sont pas des moulins
à vent qui la dessinent.
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