Pierre Pradier avait publié un article critique de l’ETA et Gaby Mouesca,
de sa prison, lui avait envoyé une lettre de réponse. Cet échange de
correspondance se termina en amitié. Pierre Pradier dans ses notes autobiographiques
(que j’ai reprises dans mon livre, Pierre
Pradier, un homme sans frontière) a longuement raconté cette relation. Gaby
Mouesca, dans son livre autobiographique La
nuque raide, n’en dit pas un mot. Il
ne dit pas que Pierre lui avait ménagé un emploi à la Croix Rouge pour le faire
sortir de prison plus tôt. Il l’a supprimé, il l’a symboliquement tué.
Pourquoi ? Parce que Pierre Pradier était d’une intransigeance absolue
dans sa lutte contre les mouvements identitaires. Il fallait donc le faire taire.
Il faut bien se rendre compte par de telles absences de cœur que nous avons à
faire en face de nous, comme adversaires, à des monstres qui ne reculent devant
rien. Après avoir testé pendant quelques dizaines d’années la voie armée vers
un lendemain abertzale qui chante, après avoir testé le grand soir des
cimetières, ils continuent à utiliser
les modérés comme les bolcheviks avaient utilisé les mencheviks. Une fois au
pouvoir, les modérés sont éliminés. Ils sont comme ça les nationalistes, comme
Erdogan, comme Orban, comme Poutine. Comme l’IRA militaire éliminait les républicains
modérés qui voulaient cesser le feu.
Ils refusent de se
repentir, ils refusent de demander pardon parce qu’ils se rappellent avec nostalgie
le bon temps où il était possible d’éliminer un intellectuel, un policier, un
élu, un adversaire, d’une balle dans la tête. Maintenant, c’est plus compliqué.
Mais lisez leur presse et vous verrez qu’elle ressemble étrangement à l’Humanité et à la Pravda. D’ailleurs, Gaby Mouesca, à sa libération, vous savez ce qu’il
fait à sa sortie de prison ? Facile à deviner : à la fête de l’Humanité, où il a retrouvé cette
chaleur militante, cette camaraderie des armes, cette alliance d’illusions et
de camarde.
Ils sont déterminés, prêts
à tout, menaçant, impressionnant les modérés qui les rejettent et les admirent,
parce que quand même, des militants aussi résolus, on aimerait en avoir un peu
plus chez nous. Des patriotes qui étaient prêts à mourir et à tuer pour elle. Pour
la patrie. À chaque étape de leur combat, ils menacent. Si vous ne faites pas l’EPCI,
vous nous ferez regretter d’avoir déposé les armes. Si vous ne libérez pas nos
prisonniers, vous sèmerez la colère et la reprise des armes. Si vous n’amnistiez
pas, la guerre risque de reprendre. La guerre continue… Si vous n’officialisez
pas la langue basque, si vous n’amnistiez pas les tueurs, si vous ne leur
assurez pas un emploi et un avenir, ils vont replonger dans le maquis. On vous
aura prévenus.
En face, ils sont impressionnes, comme les socialistes étaient
impressionnés par les communistes et comme les rêveurs du Quartier Latin
étaient impressionnés par le boucher Che Guevara.
Comment les combattre, ces fous de la nation ? Ce n’est pas toujours
simple. Mais ce n’est pas impossible. Il faut défendre la vie avec la même
énergie qu’ils défendent la mort. Défendre la démocratie avec la même passion
qu’ils défendent les coups de force. Défendre la justice avec la même ferveur qu’ils
abattent les juges.
Comment le combat s’est-il mené contre les staliniens français ? En n’arrêtant
pas de dénoncer, jour après jour, ce qui était leur identité première : la
solidarité avec les pays communistes. Allez-vous dénoncer les camps, oui ou
non. Allez- vous demander la libération des écrivains emprisonnés. Oui ou non.
Complétez la liste. Contraints à la retraite, ils en sont aujourd’hui à 1,5 % et
ne peuvent plus empêcher les réformistes d’accéder au pouvoir.
Et pour les abertzale qui se plaignent que la mauvaise hygiène dans les
prisons les empêche de nettoyer le sang qu’ils ont sur les mains ? Pareil.
Dénoncer jour après jour leur identité première. Ceux qui reprenaient le slogan
de De Valera : le peuple n’a pas le droit d’avoir tort. Si le peuple prend
des positions désagréables, il faut le contraindre à coups de kalachnikovs. Donc,
accéder à toutes les demandes légitimes sur le statut des prisonniers, car une
démocratie s’honore de respecter le droit malmené par les etarras. Et exiger en
permanence, tous les jours, que les anciens tueurs rompent avec la terreur :
en dissolvant leur organisation, en demandant pardon. Ce combat se mène politiquement
et culturellement en faisant en permanence l’histoire de leurs forfaits. De même
que les communistes ne pouvaient prospérer qu’en essayant de faire oublier leur
complicité avec la terreur stalinienne, de même les héritiers de l’ETA ne
peuvent parader que si le silence s’installe sur leurs crimes.
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