La fin du consensus (La semaine du Pays Basque. vendredi 18 octobre 2019).
Maïté
Pagazaurtundua, députée européenne, a rencontré Jean-René Etchegaray le 11
octobre 2019. Elle a dénoncé la campagne des « artisans de la paix » qui
contredit la ligne défendue par le parlement européen ». En effet, la
commission des libertés civiles, dont elle est vice-présidente, demande la
protection des victimes du terrorisme contre les agressions et les humiliations
qu’elles subissent de la part des soutiens des criminels. Maïté Pagazaurtundua
fait ici allusion aux insultes et aux menaces qui l’accompagnent quand elle
défend le droit des victimes. Elle s’oppose à ce qu’on nomme
« conflit » l’agression du terrorisme contre un état démocratique,
elle critique qu’on place sur le même plan ceux ont tué et leurs victimes. Les
victimes du terrorisme et leurs familles ont droit à la justice et aux
réparations. Ceux qui se proclament pour la justice devraient exiger des
enquêtes pour les quatre cents meurtres de l’ETA non résolus.
Toutes ces
failles ont en commun de reprendre les thèses des séparatistes qui justifient
le terrorisme, qui justifient les meurtres. La vérité est que l’ETA s’est
attaquée à un état démocratique, qu’elle a été battue par un état de droit et
par la démocratie. L’important est la condamnation du terrorisme afin que la
réconciliation repose sur des bases saines.
Les
prisonniers sont-ils soumis à un régime d’exception ? Non. En Espagne, les
prisonniers qui le souhaitaient ont été réintégrés dans la société. En
demandant pardon aux victimes, en renonçant à la lutte armée, des centaines de
prisonniers ont été libérés. Pendant des décennies, l’ETA les a condamnés et
considérés comme des traîtres.
Il n’est pas
difficile de comprendre qu’un condamné qui refuse de demander pardon à ses
victimes, qui persiste à penser qu’il a eu raison de les massacrer, qui attend
la libération pour faire la fête et célébrer son « héroïsme » rend
les mesures de clémence difficiles.
En mettant
ainsi la question des victimes au cœur des débats, la rencontre du 11 octobre
rompt avec le consensus local sur le « processus de paix ».
C’est
cette rupture qui est pointée par La
semaine du Pays Basque dans les éditoriaux d’Edmond Dantès et de Stéphane
Micoud . « Maïté Pagazaurtundua est venue à Bayonne et a brisé son
consensus ».
Les réactions :
Pako
Arizmendi, président régional EAJ-PNB
(parti nationaliste basque en France) reconnaît que le discours de Jean-René
Etchegaray sur les victimes du terrorisme est contraire à la ligne du parlement
européen. Jean-René Etchegaray a « souvent montré une forme de
compréhension envers certains membres de l’ETA ». C’est que les élus du
Nord n’ont pas vécu la souffrance dans leur chair. Pour eux, c’était un conflit
« étranger » dont il ne fallait pas se mêler. Mais « l’histoire
nous a rattrapés ».
Pako
Arizmendi comprend la colère de Maïté Pagazaurtundua. Elle a souffert de la
violence etarra. Elle est venue rappeler au maire de Bayonne que ses positions
heurtent une partie de la société basque au sud. Mais il comprend aussi la main
tendue par Jean-René Etchegaray. Justement parce qu’ils n’ont pas souffert, ils
peuvent œuvrer pour trouver une solution. La méconnaissance de ce qui s’est
passé au sud est une chance pour l’ensemble du Pays Basque. Elle a permis à
l’ETA de déposer les armes. Cette méconnaissance a permis de construire un Pays Basque en paix. Il est temps
aujourd’hui de s’ouvrir à la connaissance de notre passé. C’est que Maïté
Pagazaurtundua a voulu rappeler au maire de Bayonne et Pako Arizmendi peut la
comprendre.
Dans le même
dossier, Gaby Mouesca donne un exemple de cette « méconnaissance ». Jugé
et condamné pour activités terroristes en bande armée (il a été « impliqué
avec Iparretarrak »), il n’a jamais
demandé pardon, jamais regretté. Aujourd’hui, la nouvelle étape « est bien
évidemment la libération des personnes en détention ». Dans son interview
il affirme que l’essentiel pour lui est de ne jamais attenter à la dignité de
la personne humaine. Attenter n’est pas un mot qu’il devrait utiliser. Pour
lui, un attentat n’attente pas à la dignité de l’homme.
La réaction
de Jean-René Etchegaray est une explosion de colère. Alors que Pako Arizmendi
et Anaiz Funosa gardent un ton mesuré, le maire de Bayonne est furieux de cette
atteinte argumentée au consensus local. Tout un monde qui s’écroule.
Il
n’imaginait pas que la rencontre avec « cette personne » était
destinée à l’exposer à une condamnation sur la place publique. Heureusement que
« cette députée européenne » n’exerce aucun pouvoir de police ou de
justice ». « Cette personne » n’a aucune légitimité pour juger
mes positions sur le processus de paix.
Elle l’a taxé de négationniste. L’accusation est grave. Cette personne lui fait
un procès en hérésie au Moyen-Age. Il ne conteste pas les souffrances issues du
« conflit » mais sa lecture passionnelle du passé n’aide pas à
préparer l’avenir. « Cette personne » est députée européenne.
Le projet de
Jean-René Etchegaray est de construire la paix et la réconciliation au Pays
Basque. Le fait de demander le rapprochement des prisonniers ne signifie pas
indifférence aux souffrances de victimes et de leur famille. Il tente d’initier
la réconciliation de « toutes les
composantes » en les invitant à participer aux temps des
récits, celui des victimes comme celui des prisonniers. C’est ce qui
s’appelle la justice transitionnelle.
Jean-René
Etchegaray estime que la sculpture de la hache est « une œuvre d’art
léguée par un grand sculpteur Koldobika Jauregui ». Pourquoi cette œuvre
d’art pourrit-elle dans un hangar de Bayonne ? Pourquoi le maire de
Bayonne ne l’installe-t-il pas dans le hall de sa mairie ? Il ne le dit
pas.
Pour Anaiz
Funosas présidente de Bake Bidea, il faut rapprocher, libérer, aménager.
Avancer sur ces questions, ce n’est pas humilier certaines victimes, c’est une
démarche importante dans cet exercice qui est à construire. Car tous ces prisonniers
sont sous une procédure d’exception. Aujourd’hui il faut passer à la
« justice transitionnelle » avec les « experts
internationaux ». C’est le contraire de la vengeance.
Les
personnes comme Maïté Pagazaurtundua qui accusent les artisans de la paix de
porter le discours d’ETA n’acceptent pas ce chemin. Elles estiment que la seule
solution est la répression et la prison.
Quand la terreur faisait rage, les
Artisans de la paix ne sont pas intervenus. Quand l’ETA n’était pas encore
défaite, jamais les Artisans de la Paix ne lui ont demandé de se dissoudre. En
fait, les Artisans de la Paix et Jean-René
Etchegaray demandent tout aux gouvernements français et espagnol, rien aux
anciens terroristes. Ils ne demandent pas la cessation des libations et des
liesses qui insultent les victimes. Ils ne demandent rien. Ils ne vont pas les
voir. Ils trouvent le chemin des prisons, le chemin des clandestins. Le chemin
des victimes leur est inconnu. Il se confirme que les Artisans de la Paix
reprennent le vocabulaire de la guerre menée par ETA. Jean-René Etchegaray est
furieux : il est accusé par Maïté Pagazaurtundua d’être complice des etarras.
Il a raison. Le blanchisseur qui efface les taches de sang n’est pas complice
des assassins.
Les Artisans de la Paix, Bake Bidea et Jean-René
Etchegaray parlent de « justice transitionnelle. Ils ne savent pas ou ne
veulent pas savoir que dans tous les cas, Afrique du Sud, Irlande du Nord,
Colombie, les terroristes et les bourreaux doivent demander pardon pour que la
discussion s’engage.
Grâce à
Maïté Pagazaurtundua et à l’Observatoire du Pays Basque, le consensus est
brisé. Il a été brisé quand la sculpture de la hache fut envoyée au rebut. Brisé
quand l’Observatoire a été reçu par le Préfet. Brisée quand les Artisans de la
Paix et Jean-René Etchegaray protestaient contre l’arrestation de Josu Ternera
et qu’une tribune de Libération apportait
le soutien à ses victimes. La réflexion a commencé. Elle se poursuivra. Elle ne
sera pas tranquille, mais elle est nécessaire. Comme
dit Pako Arizmendi, « l’histoire les a rattrapés ».