mardi 31 mai 2016

midlands et brexit


Voyage dans les Midlands 4-14 mai 2016

 

Sur proposition de Pat, la bande des quatre (en plus de Pat, Tony, Brigitte et moi), part explorer les lieux où la révolution industrielle est née, s’est développée, a mué,  a laissé place aux friches et aux musées. Pat Hudson est une historienne spécialiste de la révolution industrielle dont les travaux font référence. Tony Lane, capitaine au long cours, sociologue, Brigitte Pradier, directrice de maternelle et engagée dans la gestion municipale de Biarritz, et moi-même, en retraite de tout. Tous actifs, tous retraités.

Les voyages n’ont pas besoin de se réaliser pour changer la vie et bousculer les habitudes. L’annonce dans les semaines qui précèdent fait choc. Nous allons visiter des friches industrielles, c’est autre chose que les Baléares ou le désert de Gobi. Nous croisons sur le chemin les participants à Nuit debout, Place de la République. Les CRS et les policiers qui quadrillent la place nous préparent à ce qui va suivre à la Gare du Nord, à l’aéroport de Stansted, à la gare de Doncaster. Partout des uniformes qui fouillent les sacs, palpent les ourlets, demandent les papiers. La manifestation elle-même semble indiquer la fin d’un cycle. Une centaine de personnes, la moitié dans des stands, l’autre moitié dans une austère assemblée générale. Pas inintéressant quand on écoute. Un Tunisien dit que la démocratie c’est important. Il n’y a pas de démocratie dans son pays, et est-ce que vous vous rendez compte, ici, où vous avez la démocratie, à quel point c’est important. Il se répète un peu, il ne trouve pas d’autres arguments pour convaincre, mais il voudrait bien faire comprendre à son auditoire, qui peut-être sous-estime l’importance de la démocratie, que la démocratie c’est vachement important.

Gare du Nord, nous retrouvons les CRS, les soldats dans le hall, des policiers à chaque carrefour. Les contrôles sont acceptés sans réticence par les voyageurs sans provoquer une joyeuse adhésion. Chouette, on est contrôlé, youpi, on est fouillé. Non. Ces contrôles successifs pèsent sur les esprits et peu à peu s’installe un sentiment d’angoisse. Rationnellement, nous savons qu’ils sont nécessaires, que c’est pour notre bien, notre vie. Une file pour le contrôle des billets. Une autre file pour la carte d’identité ou le passeport. Un portique et un ruban mobile qui emporte les bagages dans un tunnel. Chacun pose docilement les sacs sur le ruban, la valise, le téléphone, le manteau, la veste, les portefeuilles, la ceinture. Comptez au moins une heure dans les files d’attente devant les guichets et les portiques. Plus on est contrôlé, plus on est content d’être contrôlé et plus on est angoissé d’être contrôlé, car un déploiement de sécurité de cette ampleur doit correspondre à un niveau de risque élevé. Au retour, à l’aéroport de Stansted, à nouveau contrôle des billets, carte d’embarquement, passage sous le portique. J’ai enlevé ma veste, ma ceinture, mon téléphone portable, mon sac, ma tablette, ma liseuse. Je passe, ça sonne. Un douanier me palpe les bras, les jambes, les chevilles, l’entre-jambe, les aisselles, la doublure du pantalon, les poches. Je repasse, ça re-sonne. J’enlève mes chaussures, péniblement. Je repasse sous le portique, ça re-sonne. Un éclair, je me rappelle cette lourde prothèse qu’un chirurgien m’avait montrée avant de me l’installer dans la hanche. Il m’avait prévenu, le chirurgien, qu’elle allait déclencher les sirènes de sécurité, rappelez-vous, m’avait dit le chirurgien, de prévenir les agents de sécurité.  J’ai oublié. Je me suis habitué à cette prothèse, tant et si bien que je l’ai oubliée, alors que je n’oublie pas ma prothèse dentaire parce que je l’enlève matin et soir pour me nettoyer la cavité buccale. C’est un gros travail d’installer la prothèse de la hanche, mais une fois installée, on l’oublie. Cette prothèse n’a pas déclenché l’alarme des portiques de l’Eurostar. Faut-il en conclure que nous sommes mieux protégés en avion qu’en train ? Ou que le danger est moins grand de Paris à Londres que de Stansted à Biarritz ? Au départ de l’Angleterre pour Biarritz se conjuguent vraisemblablement les menaces de l’ETA, de l’IRA et de Daech. Conclusion : un fou de Dieu ou de la patrie implanté d’une prothèse aura plus de difficulté à mourir pour Dieu ou par son pays qu’un terroriste sans prothèse. Est-ce juste ? Pourquoi les handicaps doivent-ils ainsi se concentrer sur une seule personne ?

 

Référendum


 

Le voyage d’étude se double d’une campagne militante. Nous voulons contribuer au maintien du Royaume-Uni dans la Communauté européenne. La manière de faire est simple : s’avancer vers une personne, la prendre dans les bras et lui dire « I’m French and I wish you’d stay in Europe ». La campagne se nomme « a hug for the in ». À la gare de Saint-Pancras, une serveuse apporte des œufs frits au bacon, « Est-ce que vous votez ? ». Elle ne comprend pas bien. Elle croit que critique la nourriture. Ce n’est pas bon. Si c’est bon, je demande si vous votez. Mais oui, pour le referendum, le in ou le out. Hélas, elle est espagnole, de Barcelone, elle ne vote pas. Je ne sais pas si elle est pour l’indépendance de la Catalogne, je ne peux pas mener toutes les campagnes en même temps.

Nous continuons à huguer sans trop de succès. Le directeur du musée Masson vote pour le maintien en Europe. Le directeur et le cuisinier du restaurant français votent pour le maintien. Nous avons hugué Tony et Pat, inutilement, puisqu’ils sont tous les deux pour le maintien du Royaume-Uni en Europe.

Dans un pub, près d’une table avec quatre personnes, deux couples. Nous engageons la conversation. Ils vont tous voter pour le Brexit. Aucun hug n’y changera rien. Ils sont convaincus, contre la bureaucratie de Bruxelles.

À Hepenstall, les toilettes sont inaccessibles. Les toilettes pour handicapés sont dans un pub qui n’ouvre qu’à onze heures. Les autres toilettes exigent une pièce de vingt cents qui une fois glissée dans la fente, retombe inlassablement sans ouvrir la porte. Puis la pièce reste coincée. Je crie « I want my money back ! ». Nous demandons où sont les toilettes à des habitants. Pat leur explique la situation. Ils nous offrent de rentrer chez eux, d’utiliser leurs toilettes personnelles, intimes. Ce n’est pas si courant. La maison est nickel, évidemment, on n’offre pas des toilettes à des inconnus, à des étrangers, si la maison est en chantier. Toutes les poteries, la vaisselle, l’argenterie, les décorations, les fanions, les diplômes, les récompenses, sont rangés, dépoussiérés, brillants. En sortant, je dis merci, je dis ce serait dommage que des gens aussi gentils qu’eux ne soient plus membres de l’union européenne. Le monsieur dit qu’il va voter pour sortir de l’Europe. « On aime bien les Français, mais on n’aime pas les Allemands ».

Richmond. Le château. La salle de théâtre, d’origine. Fondé par Samuel Butler au dix-septième. Avec 400 places. 240 aujourd’hui. Fermé par les puritains, rouverts à la Restauration, après Cromwell, quand Charles II est revenu au pouvoir en 1660. Mais quand même on se méfiait. Le théâtre est un lieu de rassemblement potentiellement rebelle. On ne pouvait jouer que soixante jours par an. Deux pièces pas soirée, plus un entracte avec un intermède et des attractions. Les bénévoles qui en assurent la survie sont pour le maintien dans l’Europe. C’est que des subventions ont aidé à maintenir l’activité du théâtre. Dans le restaurant français de mauvaise qualité, le patron est pour le maintien, le cuisinier aussi, mais il n’est pas inscrit sur les listes électorales. Il va y penser. Le restaurant s’appelle ‘Le Rustique’ et tout un mur est caché par une photo de la Tour Eiffel.

Les intellectuels, les hommes d’affaire, les entrepreneurs, les urbains, sont pro-européens. Comme en Autriche, comme en France. Les élites contre le peuple ? Si le « peuple » est conservateur, crispé, xénophobe, son arrivée au pouvoir serait un malheur pour le pays et d’abord pour le peuple.

 

 

 

 

Niveau de vie, qualité de vie


 

Les aristocrates et les entrepreneurs vivaient dans d’imposantes demeures. Les entrepreneurs qui s’enrichissaient s’intégraient dans l’aristocratie et les aristocrates s’enrichissaient en devenant des entrepreneurs. Tous montraient leur pouvoir et leur fortune par de somptueux châteaux et des armées de serviteurs. Les seigneurs, représentants en province le pouvoir royal, se sont enrichis dès de seizième siècle quand les monastères furent confisqués, leurs terres, leurs richesses accumulées. Puis leur statut de propriétaire terrien leur a permis de participer pleinement à la révolution industrielle, fondée sur le textile, les mines de charbon et de plomb. Pour toutes ces activités, il fallait d’énormes espaces, l’utilisation de rivières comme énergie pour les métiers à tisser, avant l’invention des machines à vapeur. Les mines, bien sûr. Les paysans qui complétaient leur revenu avec des métiers à tisser. Les entrepreneurs sont devenus des aristocrates et les aristocrates sont devenus des entrepreneurs. L’opposition française entre bourgeoisie entreprenante et aristocratie parasite et paresseuse ne fonctionne pas en Angleterre. Arkwright, l’inventeur du métier à tisser, était un industriel et un aristocrate. Reçu à la cour, on se moquait de son accent et de ses atours. La légende veut qu’il se retournât vers les courtisans : aucun d’entre vous ne peut racheter la dette de l’État. Moi, je peux ».

Les feuilletons familiers nous ont préparés à la visite des grandes demeures. Downstairs, upstairs, ou Downton Abbey, les feuilletons de notre vieillesse, les maîtres en haut, les serviteurs en bas, les immenses cuisines. Il fallait des armées de serviteurs qui couraient dans les couloirs pour répondre à la clochette. À Hardwick, dans le château de la duchesse Bess du Devonshire, les toilettes, c’est un trou dans une planche et l’eau chaude de la baignoire ne fonctionnait pas. Ainsi se repose la question des inégalités. En termes de revenus, les disparités ont été multipliées. Mais en termes de qualité de vie ? C’est à dire de santé, d’éducation, de confort de logement, de loisir, la distance était sans doute plus grande au temps des châteaux qu’aujourd’hui. Les châteaux s’opposaient aux taudis. Aujourd’hui, entre une résidence de très riche et le logement HLM, la différence s’est-elle accrue ou réduite ? L’eau chaude, l’électricité, frigo, le système de soins, dans bien des domaines, la distance s’est réduite.


 

 

Révolution industrielle et transformation


 

                        Le train de Londres à Derby (prononcez Darby) traverse de nombreuses friches industrielles qui nous donnent un avant-goût de notre voyage d’étude Les villes de Leicester, Birmingham, York, Leeds, Hull, ne sont pas loin. Arkwright et Stephenson inventent les métiers à tisser et les machines à vapeur.

Derby n’a rien à voir avec les courses de chevaux. L’office de tourisme est un ancien atelier. Grâce à Pat qui préside une association d’économistes de la révolution industrielle, nous avons droit à une visite guidée, menée par la directrice des relations extérieures de l’université de Derby. Cette personne est chargée par l’université de "vendre » les locaux des anciennes usines pour des séminaires, des colloques, des voyages organisés, des noces, des repas d’anciens combattants. En effet, après des années d’abandon, les bâtiments ont été classés, rachetés par l’université de Derby et tous les ateliers sont maintenant bâtiments universitaires, résidences universitaires, salles de séminaire, bibliothèque, théâtres, salle de conférence. Au-dessus de cet ensemble d’ateliers règne la Roundhouse, une immense tour où les locomotives étaient fabriquées, montées et réparées. La Roundhouse est devenue la cafeteria, mais la structure est intacte, on a conservé le plateau mobile où pouvaient se loger uen douzaine de locomotives à vapeur, en corolle. Nous sommes ici dans la première usine de fabrication de locomotives à vapeur. La seule en ce début du 18ème. Sans concurrence, l’usine exportait dans le monde entier.

 

L’Angleterre que nous visitons était le cœur de la révolution industrielle. À Cromford, l’ancienne usine textile est protégée par une entrée fortifiée. Une milice patronale stationnait dans la tour pour empêcher les incursions des Luddites, les casseurs de machines. Toutes les pancartes pointent vers des noms d’anciennes usines : Strutt, Beler, Arkwright. Mines de charbon, usines textiles, mines de plomb. Élevage intensif du mouton pur l’industrie de la laine.

 

Cette région des Midlands, la plus industrialisée de la Grande-Bretagne est aujourd’hui figée en un gigantesque musée. Les mines, les usines,  ont fermé. L’élevage des moutons est concurrencé par la laine des anciennes colonies. Le paysage est loin d’être une désolation. Les bâtiments n’ont pas été détruits, ils ne sont pas abandonnés. Ils ont été transformés en musées, en centres culturels. Le tourisme mobilise la nostalgie d’une splendeur passée. Tout est bien entretenu, restauré ou en voie de l’être. Les Midlands sont désormais une zone touristique et il faudrait comparer avec d’autres régions sinistrées, le Nord de la France et la Belgique wallonne.

Lorsque des entreprises sont encore en activité, elles fonctionnent comme des conservatoires des arts et métiers. Un technicien nous montre le fonctionnement des anciens métiers à tisser.  Il nous montre les métiers à tisser réglés à hauteur d’enfant, qui travaillaient à partir de six ou huit ans. Les enfants étaient aussi employés à nettoyer sous les machines car eux seuls étaient assez fluets pour se glisser sous les métiers. Les métiers, les navettes, les machines qui utilisaient l’énergie des rivières, puis des chaudières et enfin l’électricité.

 

La corderie hésite entre un statut de musée, d’entreprise en activité, de centre commercial. Les musées oscillent entre divers points de vue. L’entreprise se nomme « musée de la corderie » mais elle continue de produire des laisses pour chiens, des cordes pour les bateaux de plaisance, des cordons pour marquer les frontières dans les musées, des cordons colorés dans les salons, cordons pour retenir de pesants rideaux. L’article le plus vendu semble être les laisses pour chien. Dans d’autres ateliers, les machines ont été remplacées par des photos, des vidéos, qui montrent les ouvriers souvent épuisés et sales, comme les mineurs de plomb et de charbon. Ou bien propres, bien habillés devant les machines textiles.

Dans le musée Arkwright, la vidéo est un hymne à la gloire des entrepreneurs. Tony, capitaine au long cours, syndicaliste et militant, excédé, quitte la salle. Pat est plus laxiste : « nous somme en vacances, pourquoi se monter le bourrichon ? Moi, j’étais irrité comme Tony de ce cantique libéral, de la louange accumulée de ces entrepreneurs qui ne contentent pas de construire des usines, mais autour des usines, construisent des logements pour leurs ouvriers, des écoles pour les enfants, des hospices pour soigner, des bibliothèques, des églises. La vidéo pourrait montrer que le coton vient de l’Inde, la laine d’Australie. Des Indes, des Antilles, d’Afrique. Que l’enrichissement des industriels vient aussi du commerce triangulaire, coton contre esclaves. On peut montrer comment les métiers étaient abaissés pour que les enfants puissent les utiliser. Rien de tout cela dans les vidéos, il y a de quoi énerver. Il n’y a que des héros purs, philanthropes, inventeurs, qui créent de la richesse et des emplois. Pat ne veut pas qu’on s’énerve, on est en vacances. On était en vacances en Guadeloupe, il y a peu. Partout, il y avait des musées industriels sur la fabrication du rhum et de la canne à sucre. Partout on parlait des esclaves, de leurs conditions de vie, de la maison des maîtres. Ici, rien. Alors, moi, je suis plutôt d’accord pour qu’on s’énerve. Le tourisme écrase tout. Il ne faut rien déranger qui puisse empêcher un seul touriste de venir. Il faut supprimer les conflits, de race, de classer, de religion, de sexe. Tout doit être lisse. Le tourisme construit un monde sans aspérité où le voyageur doit être à son tour aplati, abrasé, ne s’intéresser qu’au commun, qu’au banal, et surtout il faut le détourner de ce qui fâche. Pat et Tony vont écrire au directeur du musée Arkwright.

Reeth. Musée social, local, musée culturel, tenu par des bénévoles. Des outils anciens, des affiches anciennes, des photos. Visite des écoliers. Dans pratiquement tous les musées et tous les châteaux ouverts aux visiteurs, des retraités, hommes et femmes jouent le rôle de guides, compétents, chaleureux, prêts à répondre à toutes les questions, bénévoles.

Le musée Barbara Hepworth est gratuit. Sculptures de BH, et exposition photos de Martin Parr, photos de plages (une journée à la plage), réceptions du parti conservateur. Le musée donne sur une rivière et des docks, avec épaves abandonnées ; comme d’autres friches industrielles. Certains bateaux sont habités. D’autres pourrissent. Un cimetière marin.

Nous retrouverons les sculptures de Barbara Hepworth, plus celles de Henry Moore et de Nicky Saint-Phalle dans un immense parc qui est un musée en plein air. Des fauteuils électriques sont à la disposition des visiteurs fatigués.

 

 

 

Les maisons ouvrières sont rachetées par les classes moyennes, mises aux normes. Quand nous passons, il reste du temps passé l’élevage du mouton, des boutiques qui vendent des vêtements de laine. Une Angleterre éternelle qui aurait sauté par-dessus la révolution industrielle. Blanche, petits déjeuners œufs et bacon. Les petites églises anglicanes ou méthodistes, simples comme un sermon de Calvin, austères comme Luther, sont entretenues par de vieilles dames aux jupes longues et noires. Certaines églises sont transformées en Bed and Breakfast. Dans les pubs, la nourriture est une nourriture de pub, pie et pudding. La bière coule à flots.

 

À Halifax, les anciennes usines sont toutes reconverties en bureaux, centres culturels, centres commerciaux, musées. Des galeries d’artistes sont prévues. Les grues, les engins de travaux publics fouillent le sol. Un immense chantier. Revenez l’année prochaine, vous ne reconnaîtrez pas le quartier.

 

Saltaire. La ville porte le nom de l ‘entrepreneur, Lord Salts. Il a construit la ville autour de l’usine textile. Un hôpital, une bibliothèque, les logements ouvriers. L’usine est devenue un centre culturel, théâtre, restaurant, cinéma. Une galerie présente les œuvres de David Hockney. Des portraits, dont le style est immédiatement reconnaissable. Il crée aussi avec une application qui lui permet de colorer et modifier la photo prise sur son Iphone, puis il envoie son œuvre à qui il veut.

 

Le village de Heptonstall, village historique, classé, conservé, chouchouté. Les usines textiles en crise fermaient les unes après les autres. Le village se désertifiait. À partir de 1970, le classement de Hepenstall en patrimoine a tout fait rebondir. Les couches moyennes ont acheté les logements, dont elles savaient désormais qu’ils ne seraient jamais entourés par des constructions modernes. Le village reprend vie avec l’arrivée des nouveaux habitants et des touristes. C’est l’un des villages les mieux conservés de Grande-Bretagne.

 

         C’est bien de changer ou pas ? La classe ouvrière, les usines qui restent comme avant, c’est bien pour qui ? Pour le plaisir des anciens qui viennent visiter les lieux de leur enfance et retrouvent les cafés, les buns, le thé noir? Le café traditionnel, la patronne est tatouée, le père vient déjeuner tous les matins. Il prend une tranche de gâteau fabriqué par les voisines et revendus ici aux clients. Le plaisir de la nostalgie, le plaisir des touristes, mais qu’en est-il du plaisir des intéressés. Des gens qui restent toutes leurs journées, toute la vie ? Question récurrent pour tous les changements, pour toutes les mutations, qui comprennent une part de violence, de rupture, et une part de libération. Les favelas, les bidonvilles, les barres d’immeubles, sont des lieux de misère, de traditions qui sont des rapports de force sans foi ni loi, en même temps que des lieux de solidarité et de chaleur. Les disloquer, c’est  gagner et c’est perdre.

 

         L’ancien entrepreneur a fermé ses usines et les a transformés en appartements. D’énormes ateliers, devenus des centaines de logements. Dont une partie est louée par booking.com, en logements de vacances. Aucun personnel. Une femme de ménage que nous ne verrons pas. Un habitant qui nous reçoit, nous donne les clés, sans se présenter comme concierge, il accueille les arrivants en échange d’un logement, ou d’une réduction sur le loyer. Sinon, personne pour nous accueillir, Aucun personnel. Confortable, mais anonyme. Des codes partout. Pas de clés. Pat téléphone, sort de la voiture, Tony aussi. Il pousse la porte, elle ne s’ouvre pas. Pat tire la porte, elle s’ouvre. À l’intérieur, des boîtes aux lettres, des rangées de chiffres et de lettres. Quels codes ? Le préposé finit par nous guider. Pat a oublié l’ipad dans la voiture. Tony descend chercher l’ipad. Il sort l’ipad de la voiture, il descend avec l’ipad, fait le code, mais oublie d’appuyer sur un bouton, la porte ne s’ouvre pas. Il croit avoir oublié le code, sans doute fait un faux numéro. Il a juste oublié d’appuyer sur un bouton après le code. Il se dirige à pied vers la grille, mais un piéton seul ne peut pas déclencher l’ouverture de la grille. On ne peut sortir qu’en voiture. Tony monte dans la voiture, sort du parking, range la voiture le long du trottoir, dans un endroit interdit. Va vers la porte d’entrée avec l’ipad sous le bras, fait le code. Pas de réponse de l’appartement. Il retourne au parking, mais a oublié le code d’entrée du parking. Prend la voiture à nouveau pour aller chercher une cabine téléphonique parce que Tony n’a pas de téléphone mobile. Il trouve une cabine, téléphone, note les différents codes, et nous buvons un verre de whisky.

 

Mœurs


 

Le maire de Londres, Sadiq Kahn, est musulman, avec un nom indien. Parmi les candidats, une femme voilée. À l’aéroport de  Stansted, une hôtesse d’accueil voilée épais. Elle est tranquille, les voyageurs sont tranquilles. À la télé, une speakerine avec le moignon de son bras droit, pas caché par un vêtement, pas caché par une prothèse. Tranquille. Nous avons ders leçons à tirer du monde proche.

 À la télévision anglaise, résultat des élections locales. Le ton est paisible. Celui des journalistes, qui ne harcellent pas les invités, le ton des politiques, pour qui une élection n’équivaut pas à une guerre civile. C’est apaisant.

Une église paroissiale. Dimanche matin, dans une église anglicane, dimanche soir dans une église méthodiste. L’assistance est réduite. Plus de cyclistes que de méthodistes. À Swaledale, encore une église méthodiste. Ouverte 24h/24. Avec un coin enfant. Une pancarte alerte les voleurs : tous les objets sont enduits d’une substance magique qui permet de déceler les objets volés.

Un hôtel qui donne sur le lac. Ancienne maison d’un explorateur. Un mariage Fellini : les hommes et les femmes, et d’abord les mariés, sont obèses. Hors normes. Dans une salle de resto, un homme se fait servir des rations monstrueuses de Yorkshire pudding, puis des montagnes de frites.

Demain, nous rentrons et nous nous reprenons à penser au pays. Les manifs qui s’étiolent. Anne Hidalgo qui va rendre visite à Sadik Kahn et le féliciter. Belfast et Dublin ont eu des maires juifs. Paris un maire homo. États-Unis un président noir. Ce n’est pas demain la veille que nous aurons un président musulman, noir, femme et homosexuel. Mais le monde change.

mardi 24 mai 2016

sommes-nous à l'abri?


Russie, Turquie, Pologne, Hongrie… La montée des populismes s’appuie sur deux piliers. 1. La défense des valeurs éternelles, sacrées. 2 Ces valeurs l’emportent sur toutes les libertés démocratiques.

Sommes-nous à l’abri ? La montée du Front national en France est plus qu’inquiétante. Le pays authentique contre le cosmopolitisme, la France profonde contre les élites urbanisées, les valeurs historiques liées au sang et à la terre contre les migrations et l’ouverture au monde.

Voici comment Jean-Christophe Pinpin, dans Les gens bons baillonnés, Cairn, 2014, décrit Biarritz : « plus ils avançaient, plus ils s’immergeaient dans le luxe, le tape à l’œil, le plein-la-vue. La ville était coincée entre les églises, les suites à dizaines de milliers de francs et les rangées de planches de surf. …sur un panneau s’étalaient les prix de location des cabines, transats, chaises longues et autres repose-gros culs…. Le casino, dans une architecture …mussolinienne, faisait une grosse verrue, enkystée sur la plage….Il assista au plus beau défilé de rombières…vieilles, formolées, vindicatives ou méprisantes…la gent biarrote défilait avec son cortège de chiens de mémères.    

            Le héros, évidemment patriote, admire les vrais Irlandais et les vrais Basques, cite Yeats à chaque chapitre, célèbre les rebelles abertzale. Suinte du roman par ailleurs mal écrit et mal ficelé une haine de la côte basque riche et pourrie.
C’est dans cette atmosphère, sur un fond de haine nauséabonde des étrangers cosmopolites que l’on arrive à proposer des arrangements qui donnent le pouvoir aux Basques authentiques, ceux de l’intérieur, contre les riches parasites de la côte.     

jeudi 19 mai 2016

le silence est de plomb


Réunion du PS mercredi 18 mai 2016 sur les finances de la ville. Après un exposé sur les réalisations faites, en cours ou en projet, en réponse à une question sur le regroupement préfectoral et les conséquences budgétaires pour la ville de Biarritz, un tableau inquiétant sur l’avenir proche se dessine. Financement des projets, budget des transports, tout à peu près risque d’être remis en question.  Je comptais sur les partisans de l’EPCI pour me tranquilliser, pour calmer mes inquiétudes. Il y en avait plusieurs dans la salle. Ils n’ont rien dit. Comme s’ils étaient d’accord. Leur silence m’a fait froid dans le dos. Si eux aussi sont inquiets, c’est que la situation est vraiment grave. Espérons que les recours seront efficaces.

lundi 16 mai 2016

révolution


Les profs de philo de Paris VIII, avec une audace révolutionnaire héritée des fondateurs de l’Université de Vincennes, il y a cinquante ans, ont décidé d’accorder la moyenne à tous leurs étudiants, dans le cadre de la lutte contre la loi El Khomry.

Dans le même mouvement et avec la même  audace révolutionnaire, les profs de philo de Paris VIII ont inscrit leurs enfants dans les très exigeantes classes de préparation des meilleurs lycées parisiens.

dimanche 15 mai 2016

harcelèment


Comme contribution au débat sur le harcèlement sexuel, je me permets de rappeler mon livre « la révolution, le sexe et moi »,  aux éditions du Bord de l’eau.

estoy de aqui


Arrivée à l’aéroport de Biarritz. Une grande affiche : « bienvenue en France et sur la côte basque ». Les patriotes demanderont, exigeront, obtiendront bientôt une nouvelle affiche : « Bienvenue au pays Basque ».

prothésez-moi


Départ de Stansted à Biarritz. Passage sous le portique. La sonnerie se déclenche. J’avais enlevé ma ceinture, mon téléphone, ma veste, mes chaussures. La sonnerie chaque fois stridule. Et puis je me rappelle. Ma prothèse. Je dis, j’ai une prothèse. On me laisse passer. Cette prothèse n’a pas déclenché d’alarme quand j’ai pris l’Eurostar pour Londres. Nous sommes mieux protégés en avion qu’en train, ou mieux protégés de Stansted à Biarritz que de Paris à Londres.

Un djihadiste implanté d’une prothèse aura plus de difficultés à mourir pour Dieu qu’un djihadiste sans prothèse. Seigneur, est-ce juste ?  

jeudi 12 mai 2016

Fronde

Les frondeurs ont refusé de voter la Motion de censure. Il serait intéressant de savoir pourquoi ils préfèrent un gouvernement de gauche qu'un gouvernement de droite.

mardi 3 mai 2016

Préjugés

L... admet avoir des préjugés. À l'égard des étrangers, des Noirs, de musulmans. Alors il faut revenir aux fondamentaux. Toutes les communautés,  tous les collectifs, tous les individus, ont des préjugés à l'égard des autres, des différents. Ces préjugés, ces émotions primaires, ne doivent pas être assimilés au racisme. Le racisme est ce qui transforme ces préjugés en système. En explication globale du monde. Racisme est ce qui considère que l'islam est la menace premi§re contre nos sociétés occidentales, que les musulmans par essence ne peuvent pas s'intégrer, que les difficultés que nous connaissons sont essentiellement dûes à la présence trop importante d'étrangers . Racisme de considérer que le monde arabe est soumis à un complot juif. Etc.

Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas combattre les préjugés. C'est un effort permanent pour ne pas introduire de hiérarchie entre les hommes, de  considérer  que les autres, les différents, font partie de la commune humanité. Ces efforts  nous transforment en êtres pensants. Mais le combat pour moi principal est contre les institutions, les partis, les intellectuels, les églises, qui utilisent ces préjugés pour leur intérêt, pour leur pouvoir, qui les transforment en système. Car ils donnent légitimité aux préjugés en les transformant en explication globale du monde.

Police casseurs

Circule une vidéo amateur où un manifestant menotté est malmené par un groupe de trois policiers. Je proteste. Je fais circuler sur les réseaux sociaux. Ça proteste. Je ne réussis pas à protester autant qu'on me le demande. Depuis que je manifeste, je constate une diminution r&gulière des violences policières. J'ai connu le temps où il y avait des morts. La police tirait pour tuer. Ou frappait pour tuer. Où les manifestants partaient avec des gourdins, des boulons dans les poches. Ces violences ont reculé de part et d'autre. Les manifestants , dans leur masse ne cherchent pas la bagarre, et la police est mieux contrôlée. C'est parce que la violence à reculé que les violents sont plus visibles, plus incongrus. Les casseurs sont maintenant un groupe identifié et non pas la masse des manifestants.

Dans le couple policiers violents et casseurs, je n'arrive pas à choisir. Les deux côtés provoquent mon indignation. Ils me semblent les héritiers d'une période révolue. C'est pourquoi ils prennent autant de place.

dimanche 1 mai 2016

hug


Aujourd’hui, je pars vers le Royaume-Uni où se mène une campagne entre les partisans du maintien en Europe et les partisans de la sortie. Les partisans du oui adoptent une technique de campagne, le hug, une étreinte militante : je vous prends dans mes bras, je suis français et je souhaite que vous restiez dans l’Europe. Si ça marche, je reviendrai en France au pays Basque et je prendrai tout le monde dans mes bras : le hug pour que le pays Basque reste français.

victimes et citoyens


« Le malheur accompagne et endeuille la vie des Basques depuis le putsch franquiste jusqu’à nos jours (2007 !). Tous les Basques ? Au moins ceux d’entre eux et ils sont innombrables, qui, se voulant Basques, entendent être reconnus en tant que tels, parler leur langue, faire perdurer une antique culture, décider de leur présent comme de leur futur, jouir enfin de ce droit reconnu à tous les peuples de disposer d’eux-mêmes » Gilles Perrault, préface à Marie José Basurco, sois forte, Lucia, Gatuzain, 2007.

Je ne suis pas certain que les patriotes basques utiliseraient les mêmes mots. Mais sur le fond, Gilles Perrault a raison : le malheur fait partie de l’identité basque. Au point où cette référence au malheur, à la répression, fait partie de ce qui me révulse, de ce que je rejette dans le mouvement patriote basque. Dans la compétition pour le plus grand malheur, il n’est pas certain que les Basques l’emportent. Dans les Jeux olympiques des massacres, pas sûr que les Basques montent sur le podium. Il n’est pas sûr que la vie des Basques soit endeuillée par un malheur permanent. Ils voudraient pourtant nous le faire croire et de nombreux étrangers au pays Basque se laissent aller à une compassion qui est une forme acceptable de condescendance.  

La raison est évidente et universelle. Quand un groupe est minoritaire, qu’il ne parvient pas à atteindre ses objectifs, la tendance est de trouver l’explication des échecs dans la répression ou dans les ruses de l’adversaire,  ses sortilèges, ses tricheries. Les objectifs des patriotes sont clairs : la réunification des sept provinces du pays Basque et leur indépendance. Ces objectifs sont minoritaires au pays Basque que les patriotes appellent nord, ou Iparralde, et que vous et moi appelons pays Basque français. Pourquoi sont-ils minoritaires ? à cause de la répression de l’impérialisme français. La langue basque a tendance à reculer parce qu’elle minorée dans les politiques publiques. La cause basque est mal entendue parce que ses militants sont pourchassés, emprisonnés. Voyez la place des prisonniers politiques dans toute la presse nationaliste, qu’elle soit irlandaise, corse ou basque. Les militants ne sont pas des acteurs, ils sont d’abord des victimes. Pour les patriotes basques, libération ne peut signifier que levée d’écrou, justice ne peut être qu’amnistie. Le processus de paix est entravé par la victimisation permanente qui entrave le chemin vers une citoyenneté. La politique qui consiste à convaincre, à discuter, à reconnaître les raisons de l’autre, est difficilement accessible à qui partage la société entre victimes et bourreaux.