Dans la rude
bataille qui fut menée à l’intérieur du PCF contre la régression marchaisienne
dans les années 1970, la personne qui symbolisait ce combat se nommait Henri
Fiszbin. Un communiste qui serrait la main d’Henri trahissait la classe
ouvrière, la Commune de Paris, la Révolution bolchevique et le sacrifice du
Che, d’une seule poignée de main. Dans des rassemblements nécessaires, au
Conseil de Paris par exemple, les communistes orthodoxes choisissaient des
chemins tortueux pour éviter Henri, regardaient leurs chaussures s’ils le
croisaient. Parfois, l’un d’entre eux se retrouvait coincé par les urgences
prostatiques, côte à côte dans l’urinoir. Il lui disait, en confidence
vespasienne, « tu sais Henri, je ne peux pas te dire bonjour, tu
comprends, même si je suis parfois d’accord avec toi, mais si on nous voit
parler ensemble, je suis fichu. ».
L’engagement
nationaliste est de même nature. Il exige tout. Le silence si l’on n’est pas d’accord,
une présence où il faut, une absence quand c’est nécessaire. Dans cette oppression
que subit le Pays Basque français, cette obsession de l’unanimité, le petit
groupe « mémoire et vigilance »
subit les mêmes interdits. Surtout ne pas rendre publiques des
rencontres, des discussions. Vincent Bru et Max Brisson, Jean-René Etchegaray et
Txetx serrent la main d’assassins condamnés. Ils vont les voir dans les
cellules ou discutent avec eux dans les lieux publics. Mais une photo avec Maurice
Goldring ? Une démarche commune avec lui ? Un débat public ? Ils
ne vont pas discuter avec une personne qui sera pour le moins tondue au cas où
les abertzale accèdent au pouvoir. Comment, tu as signé une pétition avec
Goldring, tu ne sais pas que c’est un ennemi du peuple basque ? Une
espagnoliste. Un francoliste ?
N’occupe pas
cette position centrale qui veut. Il faut batailler. Désormais, nous l’avons
conquise. Avant la manifestation des parapluies contre la hache sculptée, le Pays
Basque français semblait respirer d’un seul souffle, parler d’une seule voix,
célébrer les combats de l’ETA dans un patriotisme sans fissure. Depuis la
manifestation, la muraille s’est fissurée.
L’abertzalisme
combat un ennemi extérieur, l’état espagnol, l’état français. Normal. Mais face
à l’impérialisme, le peuple basque est uni, fier, indomptable. Etait uni. Voici
que des Basques collaborent avec l’ennemi. Voici que se découvre un ennemi de l’intérieur.
Une cinquième colonne franquiste et fasciste francoliste.
L’ennemi
extérieur, on connaît. Celui qui rapproche les prisonniers au cas par cas, qui
considère que les etarras condamnés doivent être traités comme des braqueurs de
banque, comme des violeurs de banlieue. Le gouvernement français collabore avec
les franquistes de Madrid, et veut tenir compte de l’avis des associations de
victimes.
Les abertzale qui pilotent les artisans
de la paix sont fous de rage. Ce n’est pas du tout ce qu’ils demandaient.
Qu’est-ce que c’est que cette distinction entre crimes de sang et transport
d’armes, extorsions de fonds et kidnappings ? Ça ne va pas du tout. Vincent
Bru les a rencontrés, ces prisonniers qu’il a si longtemps désignés comme
prisonniers politiques. : « Ce sont des personnes très construites
intellectuellement. Leur approche est intéressante et permet de mesurer le
chemin parcouru. Ils dégagent calme, sérénité et sens des responsabilités. Ils
sont et resteront des nationalistes basques, mais ils veulent sincèrement
tourner la page de la violence au Pays Basque ». Le directeur de la prison
lui a confié que ces détenus étaient « très corrects ». Alors là, ça
m’a fait froid dans le dos. Des assassins très corrects, ça me rappelle les
années quarante d’un autre siècle.
Le pouvoir central résistait. Mais la
reddition aux hommes d’armes était totale dans la société basque française. On
célébra la cérémonie des dépôts d’armes. On pleura les emprisonnés avec des
larmes de plus en plus abondantes. La résistance à cette dérive était
inaudible. Les dos se courbèrent, les échines s’assouplirent, on poussa plus
avant le flirt avec l’ETA.
Et puis un tout petit groupe, à peine
une dizaine de personnes. Dangereuses. Dans une citadelle assiégée, il suffit
de quelques personnes déterminées pour baisser le pont-levis et donner les clés
de la ville aux assiégeurs.
L’enjeu en vaut la peine. Parce que je
vis au Pays Basque et que son avenir m’importe. Le djihadisme n’a pas d’avenir
parce qu’il lui manque l’oxygène qui alimente les incendies. L’incendie a
besoin d’oxygène et de vent. Pour éteindre l’incendie, il faut l’étouffer. Le
vent ne se contrôle pas, mais l’environnement est notre affaire. Les nationalistes
armés européens eurent pendant longtemps bonne presse. Irlande. Corse. Pays
Basque. De grandioses manifestations pour les assassins, des comités de
solidarité, vous vous rappelez Bobby Sands ? Le nationalisme n’a pas forcément de martyrs,
mais ça aide. L’Ecosse est nationaliste pacifiquement mais on montre des films
de guerre sur Robert Bruce. Le Québec manque de martyrs emprisonnés. La
Catalogne est pacifique, mais il y a quelques prisonniers, et des images de
manifestations brutalement réprimées. Puigdemont en exil, quelques dirigeants
en prison. La Corse a ses prisonniers et même si les organisations militarisées
ont disparu, les héros et les prisonniers soufflent sur les braises, ils
prouvent qu’il faut prendre les nationalistes au sérieux. On sait mourir la
patrie, c’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie. Au Pays Basque, pour
les abertzale radicaux, la situation était grave : au sud, on ne parlait
plus que de victimes, on disait que l’ETA avait semé la terreur, la peur, on
construisait des mausolées, on écrivait l’histoire des massacres. Il fallait
réagir. Grâce aux Basques du Nord, qui n’avaient pratiquement pas connu la
terreur, on tenta de reconstruire les héros. Oubliés leurs crimes, effacés les
assassinats, il ne restait plus que des prisonniers de moins en moins bourreaux
et de plus en plus des martyrs. Qui souffraient en prison. Dont les familles
souffraient en prison.
Nous
sommes huit neuf dix. Nous sommes des adversaires du nationalisme basque et des
blanchisseurs de la terreur. Contre les gens qui lavent les traces de sang, qui
effacent les empreintes sur les armes qui ont tué, les gens qui réclament
l’amnistie pour les assassins. Qui piétinent les scènes de crime, qui
brouillent les ADN, qui ne veulent pas savoir ce qu’il s’est passé quand le
sang a coulé.
Contre
la hache de l’ETA, nous sommes plus de deux mille.
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