lundi 4 juin 2018

la forteresse est en danger


Dans la rude bataille qui fut menée à l’intérieur du PCF contre la régression marchaisienne dans les années 1970, la personne qui symbolisait ce combat se nommait Henri Fiszbin. Un communiste qui serrait la main d’Henri trahissait la classe ouvrière, la Commune de Paris, la Révolution bolchevique et le sacrifice du Che, d’une seule poignée de main. Dans des rassemblements nécessaires, au Conseil de Paris par exemple, les communistes orthodoxes choisissaient des chemins tortueux pour éviter Henri, regardaient leurs chaussures s’ils le croisaient. Parfois, l’un d’entre eux se retrouvait coincé par les urgences prostatiques, côte à côte dans l’urinoir. Il lui disait, en confidence vespasienne, « tu sais Henri, je ne peux pas te dire bonjour, tu comprends, même si je suis parfois d’accord avec toi, mais si on nous voit parler ensemble, je suis fichu. ».

L’engagement nationaliste est de même nature. Il exige tout. Le silence si l’on n’est pas d’accord, une présence où il faut, une absence quand c’est nécessaire. Dans cette oppression que subit le Pays Basque français, cette obsession de l’unanimité, le petit groupe « mémoire et vigilance »  subit les mêmes interdits. Surtout ne pas rendre publiques des rencontres, des discussions. Vincent Bru et Max Brisson, Jean-René Etchegaray et Txetx serrent la main d’assassins condamnés. Ils vont les voir dans les cellules ou discutent avec eux dans les lieux publics. Mais une photo avec Maurice Goldring ? Une démarche commune avec lui ? Un débat public ? Ils ne vont pas discuter avec une personne qui sera pour le moins tondue au cas où les abertzale accèdent au pouvoir. Comment, tu as signé une pétition avec Goldring, tu ne sais pas que c’est un ennemi du peuple basque ? Une espagnoliste. Un francoliste ?

N’occupe pas cette position centrale qui veut. Il faut batailler. Désormais, nous l’avons conquise. Avant la manifestation des parapluies contre la hache sculptée, le Pays Basque français semblait respirer d’un seul souffle, parler d’une seule voix, célébrer les combats de l’ETA dans un patriotisme sans fissure. Depuis la manifestation, la muraille s’est fissurée.

L’abertzalisme combat un ennemi extérieur, l’état espagnol, l’état français. Normal. Mais face à l’impérialisme, le peuple basque est uni, fier, indomptable. Etait uni. Voici que des Basques collaborent avec l’ennemi. Voici que se découvre un ennemi de l’intérieur. Une cinquième colonne franquiste et fasciste francoliste.

L’ennemi extérieur, on connaît. Celui qui rapproche les prisonniers au cas par cas, qui considère que les etarras condamnés doivent être traités comme des braqueurs de banque, comme des violeurs de banlieue. Le gouvernement français collabore avec les franquistes de Madrid, et veut tenir compte de l’avis des associations de victimes.



Les abertzale qui pilotent les artisans de la paix sont fous de rage. Ce n’est pas du tout ce qu’ils demandaient. Qu’est-ce que c’est que cette distinction entre crimes de sang et transport d’armes, extorsions de fonds et kidnappings ? Ça ne va pas du tout. Vincent Bru les a rencontrés, ces prisonniers qu’il a si longtemps désignés comme prisonniers politiques. : « Ce sont des personnes très construites intellectuellement. Leur approche est intéressante et permet de mesurer le chemin parcouru. Ils dégagent calme, sérénité et sens des responsabilités. Ils sont et resteront des nationalistes basques, mais ils veulent sincèrement tourner la page de la violence au Pays Basque ». Le directeur de la prison lui a confié que ces détenus étaient « très corrects ». Alors là, ça m’a fait froid dans le dos. Des assassins très corrects, ça me rappelle les années quarante d’un  autre siècle.  

Le pouvoir central résistait. Mais la reddition aux hommes d’armes était totale dans la société basque française. On célébra la cérémonie des dépôts d’armes. On pleura les emprisonnés avec des larmes de plus en plus abondantes. La résistance à cette dérive était inaudible. Les dos se courbèrent, les échines s’assouplirent, on poussa plus avant le flirt avec l’ETA.

Et puis un tout petit groupe, à peine une dizaine de personnes. Dangereuses. Dans une citadelle assiégée, il suffit de quelques personnes déterminées pour baisser le pont-levis et donner les clés de la ville aux assiégeurs.

L’enjeu en vaut la peine. Parce que je vis au Pays Basque et que son avenir m’importe. Le djihadisme n’a pas d’avenir parce qu’il lui manque l’oxygène qui alimente les incendies. L’incendie a besoin d’oxygène et de vent. Pour éteindre l’incendie, il faut l’étouffer. Le vent ne se contrôle pas, mais l’environnement est notre affaire. Les nationalistes armés européens eurent pendant longtemps bonne presse. Irlande. Corse. Pays Basque. De grandioses manifestations pour les assassins, des comités de solidarité, vous vous rappelez Bobby Sands ?  Le nationalisme n’a pas forcément de martyrs, mais ça aide. L’Ecosse est nationaliste pacifiquement mais on montre des films de guerre sur Robert Bruce. Le Québec manque de martyrs emprisonnés. La Catalogne est pacifique, mais il y a quelques prisonniers, et des images de manifestations brutalement réprimées. Puigdemont en exil, quelques dirigeants en prison. La Corse a ses prisonniers et même si les organisations militarisées ont disparu, les héros et les prisonniers soufflent sur les braises, ils prouvent qu’il faut prendre les nationalistes au sérieux. On sait mourir la patrie, c’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie. Au Pays Basque, pour les abertzale radicaux, la situation était grave : au sud, on ne parlait plus que de victimes, on disait que l’ETA avait semé la terreur, la peur, on construisait des mausolées, on écrivait l’histoire des massacres. Il fallait réagir. Grâce aux Basques du Nord, qui n’avaient pratiquement pas connu la terreur, on tenta de reconstruire les héros. Oubliés leurs crimes, effacés les assassinats, il ne restait plus que des prisonniers de moins en moins bourreaux et de plus en plus des martyrs. Qui souffraient en prison. Dont les familles souffraient en prison.

         Nous sommes huit neuf dix. Nous sommes des adversaires du nationalisme basque et des blanchisseurs de la terreur. Contre les gens qui lavent les traces de sang, qui effacent les empreintes sur les armes qui ont tué, les gens qui réclament l’amnistie pour les assassins. Qui piétinent les scènes de crime, qui brouillent les ADN, qui ne veulent pas savoir ce qu’il s’est passé quand le sang a coulé.

         Contre la hache de l’ETA, nous sommes plus de deux mille.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire