samedi 24 novembre 2012

evêque de bayonne


            Samedi 1 décembre 2012, l’évêque de Bayonne organise à Biarritz une grande messe au casino de Bellevue, où sont invitées des organisations françaises et internationales militant contre le droit à l’avortement, contre le droit à mourir dans la dignité, contre le mariage des homosexuels et des prêtres. Que les catholiques organisent des manifestations pour défendre les valeurs catholiques, c’est leur affaire, leur droit, leur prérogative. Pourtant, une contre-manifestation et un contre colloque se tiendront le même jour, à l’appel d’organisations politiques (PS, Radicaux, Communistes, Batasuna…) et associatives (planning familial, organisations féministes et de défense des droits des minorités….). Pourquoi des organisations laïques interviennent-elles ?

            C’est la question inverse qui doit être posée. Si des organisations laïques ont décidé de réagir, c’est parce qu’une église a l’exorbitante prétention de légiférer pour une société plurielle et diverse. Quand l’église catholique demande à ses fidèles de ne pas rompre les liens du mariage, de ne pas interrompre une grossesse même infligée par un cousin ivre ou un oncle enragé, quand l’église refuse un mariage religieux à deux homosexuels, elle s’adresse à la conscience des fidèles, à des adultes consentants qui acceptent les règles morales de l’église à laquelle ils adhèrent. Si elle intervient dans les mariages civils, les libertés de choix de personnes qui ne sont pas catholiques, elle réunifie ce que l’histoire a séparé : l’église et l’état. Elle pratique ce que d’autres religions appellent la charia.

            L’histoire de la France contemporaine dessine  une lente acceptation du compromis dans la vie politique. Les extrêmes ont pour le moment été maintenus en marge. Sont extrêmes : des organisations ou des mouvements qui estiment que la solution des conflits passe par l’élimination de l’adversaire et non par des solutions négociées. Sont extrêmes les mouvements qui visent à accoler un adjectif à l’État : État populaire, catholique, islamique, socialiste…et donc à exclure de la société ceux qui n’adhèrent à cet adjectif. Nous avons le privilège de vivre dans un pays où l’État n’a pas d’étiquette. La contre manifestation du samedi 1 décembre  vise à préserver ce privilège.

            

lundi 19 novembre 2012

Zone de sécurité prioritaire


Réflexions ZSP


Le classement de la Goutte d'Or en Zone de sécurité prioritaire (ZSP) provoque des discussions sans fin dans les réunions et sur la toile. Elles tournent autour de la police, de sa présence, de son efficacité, de son utilité. C’était prévisible. Le mot « sécurité » emprisonne la réflexion. A la réunion du 14 novembre à la mairie du 18ème, outre les élus  (Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur et Myriam El Khomri), la tribune était occupée par le préfet, le commissaire de police et le procureur. Education, santé, emploi, politique de la ville, sport et culture, n’avaient aucun représentant. Dans la salle, des habitants qui ont discuté de la police et de son efficacité dans la résolution des disfonctionnements du quartier.

Recension des opinions :

Ceux qui approuvent la présence policière. Au regard d’une situation de de dégradation de l’espace public, saleté, tapage, ce sont les habitants du quartier qui applaudissent des deux mains la présence » des forces de l’ordre. Ce n’est donc pas un hasard si les messages qui approuvent la présence policière proviennent de camarades qui habitent le quartier. (Silvia sommaruga)

La police fait son travail et c’est bien. Qu’il y ait des consignes pour contrôler les activités autour de Château Rouge ne me paraît pas inquiétant (il s’agissait du contrôle de deux militants front de gauche distribuant des tracts à la sortie du métro). C’est un secteur vraiment difficile. Les militants qui leur bonne conscience pour eux n’ont rien à craindre. Elisa Yavchitz renchérit : habitante de Château Rouge, je trouve que la présence policière n’est pas agressive comme elle l’a pu l’être dans le passé, elle apaise vraiment. Notamment à la sortie du métro. On ne peut que se réjouir que les forces de l’ordre aient décidé d’agir chez nous.
Le kiosquier Château Rouge dit que c’est bien, sans enthousiasme. Celui de Barbès intervient avec véhémence contre ceux qui doutent de l’efficacité  policière : venez me voir, je vous prie, voyez la différence quand il y a la police et quand elle n’est pas là. Quand elle est là, je peux travailler. Sinon, impossible, mon kiosque est asphyxié.

            Plus bizarrement, les usagers à EGO (Jean-Paul), affirment qu’ils ont affaire, depuis le classement du quartier en ZSP, à une police plus intelligente et plus respectueuse. La police recherche plutôt celui qui vend que celui qui consomme.

Ceux qui dénoncent les bavures, incivilités policières : Philippe Silvestre : j’ai trop vu ce type d’opérations, depuis vingt ans que j’habite le quartier. Trop de policiers, ne restant pas, ne connaissant pas le quartier et sa population. Essayez de leur parler : tout de suite ils sont sur la défensive. Il raconte une anecdote : un groupe de policiers cyclistes qui remonte le bd. Ils ne s’arrêtent pas au feu rouge. Philippe ne bouge pas. Dégage lui dit le dernier du groupe. «  il m’a fallu attendre près de cinquante ans et père de famille pour être enfin traité comme un jeune de banlieue.  

Mon expérience : depuis jeudi, je parle aux policiers. IL est tout à fait possible de le faire. Je dis bonjour, je me présente. Je m’adresse à un policier près de la voiture de police qui stationne. « Bonjour, je suis habitant du quartier, je vous vois souvent, vous et vos collègues et je m’interroge. Vous sentez-vous utiles, le policier, assez jeune : pas du tout. On ne sert à rien. On chasse les vendeurs, ils se réfugient à trois mètres, attendent qu’on parte, puis reviennent. On ne sert à rien. Je ne fais pas mon travail de policier. Boulevard Barbès. Trois CRS patrouillent. Je leur dis bonjour. Est-ce qu’on vous dit souvent bonjour ? Oui, les gens sont très gentils, ils nous disent souvent bonjour. Est-ce que vous trouvez que vous faites un travail utile ? L’un du groupe, sous l’assentiment des deux autres : ah, ça je ne peux pas vous répondre, je n’ai pas le droit ». C’est une réponse.

A la réunion du 14 novembre : le préfet disait qu’il fallait « fidéliser la police », et il donnait en exemple les CRS. Désormais, au lieu d’une seule journée, ils passeront deux ou trois semaiens dans le quartier. Ce qui s’appelle se moquer du monde ? C’est ça fidéliser ? Est-ce que commencer par fidéliser la police, ça ne commencerait pas par expliquer l’objectif de la ZSP aux forces de l’ordre. Leur expliquer pourquoi elles sont utiles. Ouvrir un espace de dialogue entre les habitants et les policiers ?

Pascal Nicolle, président de la LDH 18ème. 15, novembre le matin, 8H50, deux militants du parti de gauche distribuent des tracts. La police le leur interdit sous prétexte d’absence  d’autorisation. Un policier saisit un tract roulé en boule par terre comme motif possible de contravention. Contrôle d’identité. L’un des policiers précise : « c’est une ZSP », il y a une caméra et nous sommes obligés de faire un rapport sur cette distribution de tract, on a besoin de vos identités. Mais en juin dernier, les mêmes militants ont été contrôlés et le classement ZSP n’était pas encore décidé. J’ajoute : les distributeurs de milliers de tracts de marabouts sont-ils aussi contrôlés ?

La justification du classement : les plaintes des habitants. Voir ce qui se dit autour de nous et qui converge et qui peut se résumer ainsi : le mésusage de l’espace public, on tolère ici ce qu’on ne tolérerait pas avenue Victor Hugo. A nouveau Philippe : est-ce que le quartier est plus dangereux qu’ailleurs et qu’avant ? il y a dix ans, les dealers et les drogués rentraient fréquemment dans les immeubles de la rue Polonceau. Les altercations étaient nombreuses. Aujourd’hui, je ne me sens pas menacé, ni par les vendeurs à la sauvette, ni par les pisseurs de rues, ni par les vendeurs de cigarettes, ni par les prostituées rue marcadet, ni par les crackeurs de Château Rouge, ni par les voitures qui se garent sur les trottoirs, ni par la bibliothèque fermée depuis un an, ni par les engorgements de Château Rouge, … je suis agacé. Plus qu’une zone de sécurité prioritaire, je crois  que j’aspire à une zone de tranquillité prioritaire. En fait, à une zone normale.

Luc Peillon : avec le classement ZSP, le trafic de crack a –t-il diminué ? Quelle est l’efficacité d’un car de police coincé entre quatre ou cinq prostituées et deux vendeuses de safous ? Depuis que l’Olympic café est fermé, l’angle Léon  Myrha est une vraie zone de non droit, transformé en QG des trafiquants qui ont même organisé un barbecue dans la rue. Encore une fois la question de l’occupation de l’espace public et une politique culturelle est tout aussi efficace et apaisante qu’une présence policière massive.

Résumons pour faire le point. Ce qui se passe sous nos yeux n’est pas la présence aléatoire de camions de CRS ou d’une voiture de police devant le marché Dejean. Ni non plus les BAC qui de temps en temps coincent un dealer. Les désordres urbains en France sont souvent le résultat d’interactions violentes entre policiers des BAC et les jeunes des cités. Ici, même s’il y eu quelques incidents suite à des arrestations, elles restent dans le quartier l’exception et les policiers, ZSP ou pas ZSP, se promènent dans le quartier en patrouille de deux ou trois sans provoquer de remous particulier.

A l’heure qu’il est : le classement de Château Rouge en ZSP rend d’abord visible la présence policière, provoque des discussions en fonction de cette présence, pour ou contre. C’est l’une des retombées à mon malheureuse d’une ZSP, d’une réunion où se trouvent au centre des discussions un préfet, un commissaire, un procureur.

En quoi sont-ils utiles pour « reconquérir l’espace public » ? Puisqu’on parle de reconquête.

Ces remarques n’ont rien d’une dénonciation trop familière de la police. Elle contribue à dégager les trottoirs et me rend la marche plus facile. J’apprécie. Et puis ? On repousse les effets visibles des disfonctionnements vers le Boulevard Magenta ? Mais je me pose la question suivante : une réponse policière, même durable, ne changera pas le quartier. Des réponses ont été trouvées dans la longue histoire de la Goutte d'Or : dans le domaine de la drogue, du logement. Il reste à en trouver d’autres sur le commerce. Les réponses qui ont été trouvées l’ont été parce qu’on a quitté le tumulte des discussions sécuritaires pour se poser d’autres questions, avec tous les acteurs. Tous, y compris la police. Y compris les habitants, les usagers de drogue, les commerçants. Je ne sais pas si les réponses existent. Je sais seulement qu’elles ne se trouvent dans les impasses sécuritaires.



dimanche 11 novembre 2012

le choix


El Païs 11 novembre 2012. Samedi 10 novembre : jour de mémoire pour les victimes du conflit au Pays basque. Les dirigeants de Bildu (anciennement Batasuna) n’étaient pas présents aux cérémonies du souvenir à Bilbao parce qu’ils participaient à la manifestation de Bayonne pour le rapprochement des prisonniers politiques.On ne peut pas être partout. Les députés socialistes français du pays basque étaient présents à Bayonne et pas à Bilbao. On ne peut pas être partout. 

mercredi 7 novembre 2012

le pire est dans le fruit


Le pire est parfois dans le fruit

Tous ceux qui annonçaient l’apocalypse avaient raison. Si l’on partage le pouvoir avec ceux qui ne le méritent pas, les catastrophes annoncées se réaliseront. Les Indiens d’Amérique le savent. Ils se méfiaient de ces étrangers venus de l’Ouest et ils avaient raison puisque ces immigrants les ont chassés de leurs terres, les ont exterminés, parqués dans des réserves. Les remplaçants se méfiaient des étrangers comme de la peste. Le pouvoir politique était réservé aux hommes, propriétaires, protestant, d’origine anglo-saxonne. Pour protéger leur pouvoir, ils ont résisté de toutes leurs forces à la généralisation des droits. Ils ont importé des Noirs et leur ont refusé le droit de vote. Ils ont dû le leur accorder, la mort dans l’âme. Puis des immigrés pauvres de religion étrangère ont représenté un grave danger. Les WASPS voulurent les tenir à l’écart, mais ce fut une autre bataille perdue et les Italiens, les Irlandais, les Juifs et les Polonais, conquirent des villes, des régions, et parfois même la magistrature suprême. Le droit de vote conquis par les femmes n’arrangea pas les choses et voilà le résultat : Barak Obama à la Maison Blanche, c’était fatal.

Aujourd’hui, tout le monde a le droit de vote, des citoyens hommes et femmes de plus de dix-huit ans (on va vers les seize ans à grands pas), qu’ils paient des impôts ou pas, qu’ils soient propriétaires ou pas. Donner le droit de vote à des gens qui ne paient pas d’impôts, alors que la politique concerne en tout premier lieu le budget de la nation, vous imaginez ? Et aujourd’hui, on propose d’accorder le droit de vote à des étrangers, à des gens qui n’ont même pas de carte d’identité à montrer au président du bureau de vote.

Quand le danger est grave, les demi-mesures ne servent à rien. La seule réponse efficace est de supprimer les causes du danger à la source, et donc de retirer progressivement le droit de vote et d’occuper des fonctions politiques à tous ceux qui ne paient pas d’impôts, aux femmes bien entendu, puisque de deux choses l’une, ou elles votent comme les hommes et alors à quoi bon, ou elles votent différemment et à ce moment la famille se dissout dans des querelles sans fin. Réservons le droit de vote aux hommes propriétaires (seuls ils ont le sens de l’intérêt national car ils le défendent la nation comme une propriété privée), nés sur le territoire national de parents français, pratiquants d’une religion monothéiste romaine. Sinon, les élites méritantes auront le sort des Indiens d’Amérique, elles vivront dans des réserves, Neuilly Auteuil Passy, et des touristes chinois et japonais viendront les photographier et leur acheter des bijoux et des parfums authentiques fabriqués dans des ateliers de la Place Vendôme. 

mardi 6 novembre 2012

charité bien ordonnée


Charité bien ordonnée


L’église catholique prend fermement position contre le mariage des homosexuels. Ce mariage ouvre la voie à l’adoption et l’enfant, dit-elle par la voix de ses évêques, a besoin d’un père et d’une mère pour se construire. Dans cette logique, l’église devait permettre le mariage des prêtres et des évêques, car de nombreux enfants issus de liaisons entre hommes d’église et femmes laïques errent sans repères. Quand auront-ils le droit de dire « papa » et ainsi se construire dans l’immuable tradition ?

lundi 5 novembre 2012

guerre de cent ans

La guerre de Cent ans


Simon Jenkins, dans The Guardian, 17 oct 2012, s’indigne contre la « guerre à la drogue ». Imaginez, dit-il, que la guerre en Afghanistan se mène depuis cinquante ans. Qu’elle fasse deux mille morts par an. Qu’il y ait tous les ans quarante mille prisonniers et que pourtant, le nombre des adversaires ne cesse d’augmenter. Qu’elle coûte un milliard par mois. Il y aurait des manifestations, des débats au parlement. C’est ainsi que se mène « la guerre à la drogue » et si un responsable politique réclame une autre politique, il sera accusé d’être complice des dealers et d’encourager la consommation. Simon Jenkins exprime un certain découragement. Il a l’impression que tous les dix ans, cette discussion reprend, sans fin et sans résultats.

Il est des domaines où les évolutions se traînent. Où une vie complète suffit à peine à distinguer un horizon, une porte de sortie. Il a fallu des générations de divorces à l’italienne pour que la législation enfin fût enfin changé. Il fallut des milliers de femmes mortes dans des accouchements clandestins pour qu’enfin l’avortement devienne légal.

Les arguments du refus sont répétitifs. Donner du pouvoir à ceux qui n’en ont pas détruit la société.  Le suffrage universel, en donnant le droit de vote aux pauvres allait donner le pouvoir aux barbares sans éducation. Le divorce allait détruire les familles, pilier de l’ordre social. L’abolition de la peine de mort allait permettre aux tueurs de multiplier leurs meurtres. L’excision protège la vertu des femmes, la burka empêche les viols et les chiens renifleurs empêchent les lycéens de fumer.

Les évolutions sont lentes et nous devons nous armer de patience. Ecouter avec attention les discours rétrogrades qui nous maintiennent dans l’obscurantisme, la censure, la chasse aux sorcières. Se rappeler que ce déferlement de paroles fera le bonheur des historiens, que tous ces discours rangés, pressés dans les archives, pourriront lentement dans les bibliothèques et comme les feuilles mortes ajoutées aux ordures ménagères, se transformeront en compost pour les moissons des générations futures. 

samedi 3 novembre 2012

union sacrée

   Union sacrée pour Aurore Martin. PS, UMP et nationalistes basques. Pendant trente ans, des conseillers municipaux assassinés sur l'autre rive de la Bidassoa, tout près d'ici. Des universitaires menacés, des entrepreneurs kidnappés, des journalistes mutilés. Je n'ai pas vu des responsables politiques du Pays basque français inviter des élus basques espagnols dans leur mairie pour leur manifester leur solidarité. Je cherche en vain un rue Miguel Angelo Blanco dans une ville du Pays basque français. Les yeux se détournaient, on ne voulait pas voir, ce pouvait être dangereux, si on allait inviter le conflit chez nous...Aujourd'hui, les consciences endormies se réveillent. Profitons de ce réveil citoyen pour demander qu'une rue de la ville de Biarritz porte le nom de Miguel Angelo Blanco. Si vous êtes d'accord, ajoutez votre signature à cette pétition: 


Je demande qu'une rue de la ville de Biarritz porte le nom de Miguel Angelo Blanco


(contact: maurice.goldring@gmail.com)

toussaint


Tous saints, tous morts

Samedi 3 novembre 2012. ça a commencé au mois d’octobre avec la mort du frère de Brigitte, Bernard, qui était très malade depuis l’été, mais quand même. Puis un collègue irlandiste, Bernard Escarbelt, décédé brutalement et les condoléances courent sur le site de la société d’études irlandaises. Ensuite une tante de Brigitte, 86 ans, la mère d’un cousin, la voiture conduite par son mari est tombé dans un fossé et le choc l’a tuée. Puis tous ces morts qui ont le même âge que moi, au point où je ne regarde même plus le nom, mais juste l’âge de la mort, pour savoir qu’elle se rapproche. Comme ces jeux de foire où une raclette pousse des pièces vers l’abîme, vous mettez une pièce et elle pousse les autres et toutes les pièces, à force finissent par tomber dans le gouffre.

Les vivants disent d’une mort brutale que c’est une mort rêvée, la personne est en bonne santé et la minute d’après, elle est morte. Rêvée pour qui ? Pour ceux qui restent, évidemment. Une mort non rêvée, pour les vivants, c’est une longue maladie, la déchéance, le délabrement, les incontinences verbales et physiques, le ratatinement du corps, les yeux qui fixent le néant. Nous sommes bien d’accord. Mais d’un autre côté, une mort lente permet d’entrevoir un petit peu, un tout petit peu, ce que les vivants diront de vous quand vous serez mort. Si vous mourez d’un accident de voiture, vous ne saurez rien. Peut-être c’est mieux, peut-être c’est dommage.

Puis ce fut le tour d’Yvonne Quilès, qui était très malade depuis des années et qui a eu le contraire d’une mort non rêvée, mais elle n’était pas en état d’entendre et de comprendre ce que les gens disaient d’elle, parce qu’elle était déjà dans le gouffre. Jean Rony m’a annoncé la nouvelle et m’a lu le texte collectif de ses amis qui sera publié dans le Monde. Ses qualités d’indépendance, d’esprit rebelle. Est-ce qu’elle a eu une belle vie ? familiale, pas sûr, des difficultés à n’en plus finir, avec les filles, les petits-enfants, les arrière-petits-enfants, qu’elle a du aider, soutenir, parfois entretenir.

Une vie politique où elle s’est taillé une place à elle, reconnaissable entre toutes, par son style, reconnaissable physiquement par sa chevelure. Elle n’était pas modèle militant. Depuis longtemps déjà, dans les réunions du lundi de l’hebdomadaire communiste, alors que les présents égrenaient leurs activités militantes de la fin de semaine, Yvonne disait moi, j’ai passé le week-end au lit. Il y a longtemps. Bien avant la grande chute, la rupture, les renoncements, les régressions, les naufrages. Elle était féministe quand ce n’était pas la mode dans les rangs communistes. Elle défendait tout ce qui n’était pas officiel. L’Union de la gauche quand ce fut la rupture. Avec elle, pas de demi-mesure, pas de compromis, pas d’eau tiède, elle voulait être aimée ou détestée et les amours et les haines ne lui manquèrent jamais.

Avec ses armes à elles, qui étaient sa chevelure rousse et son écriture. Quand elle a perdu ses couleurs et les mots, elle a perdu les raisons de vivre et s’est enfoncée dans le néant, d’abord vraiment, puis état civilement. Autour d’elle, un groupe d’amis pas un courant de pensée, une manière de se conduire dans la vie politique, une manière de vivre. Sans leçons, sans morale, sans prescription.