Tous saints, tous morts
Samedi
3 novembre 2012. ça a commencé au mois d’octobre avec la mort du frère de
Brigitte, Bernard, qui était très malade depuis l’été, mais quand même. Puis un
collègue irlandiste, Bernard Escarbelt, décédé brutalement et les condoléances
courent sur le site de la société d’études irlandaises. Ensuite une tante de
Brigitte, 86 ans, la mère d’un cousin, la voiture conduite par son mari est
tombé dans un fossé et le choc l’a tuée. Puis tous ces morts qui ont le même
âge que moi, au point où je ne regarde même plus le nom, mais juste l’âge de la
mort, pour savoir qu’elle se rapproche. Comme ces jeux de foire où une raclette
pousse des pièces vers l’abîme, vous mettez une pièce et elle pousse les autres
et toutes les pièces, à force finissent par tomber dans le gouffre.
Les
vivants disent d’une mort brutale que c’est une mort rêvée, la personne est en
bonne santé et la minute d’après, elle est morte. Rêvée pour qui ? Pour
ceux qui restent, évidemment. Une mort non rêvée, pour les vivants, c’est une
longue maladie, la déchéance, le délabrement, les incontinences verbales et
physiques, le ratatinement du corps, les yeux qui fixent le néant. Nous sommes
bien d’accord. Mais d’un autre côté, une mort lente permet d’entrevoir un petit
peu, un tout petit peu, ce que les vivants diront de vous quand vous serez
mort. Si vous mourez d’un accident de voiture, vous ne saurez rien. Peut-être
c’est mieux, peut-être c’est dommage.
Puis
ce fut le tour d’Yvonne Quilès, qui était très malade depuis des années et qui
a eu le contraire d’une mort non rêvée, mais elle n’était pas en état
d’entendre et de comprendre ce que les gens disaient d’elle, parce qu’elle
était déjà dans le gouffre. Jean Rony m’a annoncé la nouvelle et m’a lu le
texte collectif de ses amis qui sera publié dans le
Monde. Ses qualités
d’indépendance, d’esprit rebelle. Est-ce qu’elle a eu une belle vie ?
familiale, pas sûr, des difficultés à n’en plus finir, avec les filles, les
petits-enfants, les arrière-petits-enfants, qu’elle a du aider, soutenir,
parfois entretenir.
Une
vie politique où elle s’est taillé une place à elle, reconnaissable entre
toutes, par son style, reconnaissable physiquement par sa chevelure. Elle
n’était pas modèle militant. Depuis longtemps déjà, dans les réunions du lundi
de l’hebdomadaire communiste, alors que les présents égrenaient leurs activités
militantes de la fin de semaine, Yvonne disait moi, j’ai passé le week-end au
lit. Il y a longtemps. Bien avant la grande chute, la rupture, les
renoncements, les régressions, les naufrages. Elle était féministe quand ce
n’était pas la mode dans les rangs communistes. Elle défendait tout ce qui
n’était pas officiel. L’Union de la gauche quand ce fut la rupture. Avec elle,
pas de demi-mesure, pas de compromis, pas d’eau tiède, elle voulait être aimée
ou détestée et les amours et les haines ne lui manquèrent jamais.
Avec
ses armes à elles, qui étaient sa chevelure rousse et son écriture. Quand elle
a perdu ses couleurs et les mots, elle a perdu les raisons de vivre et s’est
enfoncée dans le néant, d’abord vraiment, puis état civilement. Autour d’elle,
un groupe d’amis pas un courant de pensée, une manière de se conduire dans la
vie politique, une manière de vivre. Sans leçons, sans morale, sans
prescription.
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