Réflexions ZSP
Le classement de la Goutte d'Or en Zone de
sécurité prioritaire (ZSP) provoque des discussions sans fin dans les réunions
et sur la toile. Elles tournent autour de la police, de sa présence, de son efficacité,
de son utilité. C’était prévisible. Le mot « sécurité » emprisonne la
réflexion. A la réunion du 14 novembre à la mairie du 18ème, outre
les élus (Daniel Vaillant, ancien
ministre de l’intérieur et Myriam El Khomri), la tribune était occupée par le
préfet, le commissaire de police et le procureur. Education, santé, emploi,
politique de la ville, sport et culture, n’avaient aucun représentant. Dans la
salle, des habitants qui ont discuté de la police et de son efficacité dans la
résolution des disfonctionnements du quartier.
Recension des opinions :
Ceux qui approuvent la présence policière.
Au regard d’une situation de de dégradation de l’espace public, saleté, tapage,
ce sont les habitants du quartier qui applaudissent des deux mains la présence »
des forces de l’ordre. Ce n’est donc pas un hasard si les messages qui
approuvent la présence policière proviennent de camarades qui habitent le
quartier. (Silvia sommaruga)
La police fait son travail et c’est bien. Qu’il
y ait des consignes pour contrôler les activités autour de Château Rouge ne me paraît
pas inquiétant (il s’agissait du contrôle de deux militants front de gauche
distribuant des tracts à la sortie du métro). C’est un secteur vraiment difficile.
Les militants qui leur bonne conscience pour eux n’ont rien à craindre. Elisa
Yavchitz renchérit : habitante de Château Rouge, je trouve que la présence
policière n’est pas agressive comme elle l’a pu l’être dans le passé, elle
apaise vraiment. Notamment à la sortie du métro. On ne peut que se réjouir que
les forces de l’ordre aient décidé d’agir chez nous.
Le kiosquier Château Rouge dit que c’est
bien, sans enthousiasme. Celui de Barbès intervient avec véhémence contre ceux
qui doutent de l’efficacité
policière : venez me voir, je vous prie, voyez la différence quand
il y a la police et quand elle n’est pas là. Quand elle est là, je peux
travailler. Sinon, impossible, mon kiosque est asphyxié.
Plus
bizarrement, les usagers à EGO (Jean-Paul), affirment qu’ils ont affaire,
depuis le classement du quartier en ZSP, à une police plus intelligente et plus
respectueuse. La police recherche plutôt celui qui vend que celui qui consomme.
Ceux qui dénoncent
les bavures, incivilités policières : Philippe Silvestre : j’ai trop
vu ce type d’opérations, depuis vingt ans que j’habite le quartier. Trop de
policiers, ne restant pas, ne connaissant pas le quartier et sa population. Essayez
de leur parler : tout de suite ils sont sur la défensive. Il raconte une
anecdote : un groupe de policiers cyclistes qui remonte le bd. Ils ne s’arrêtent
pas au feu rouge. Philippe ne bouge pas. Dégage lui dit le dernier du groupe. «
il m’a fallu attendre près de cinquante ans et père de famille pour être enfin
traité comme un jeune de banlieue.
Mon expérience :
depuis jeudi, je parle aux policiers. IL est tout à fait possible de le faire. Je
dis bonjour, je me présente. Je m’adresse à un policier près de la voiture de
police qui stationne. « Bonjour, je suis habitant du quartier, je vous
vois souvent, vous et vos collègues et je m’interroge. Vous sentez-vous utiles,
le policier, assez jeune : pas du tout. On ne sert à rien. On chasse les
vendeurs, ils se réfugient à trois mètres, attendent qu’on parte, puis
reviennent. On ne sert à rien. Je ne fais pas mon travail de policier. Boulevard
Barbès. Trois CRS patrouillent. Je leur dis bonjour. Est-ce qu’on vous dit
souvent bonjour ? Oui, les gens sont très gentils, ils nous disent souvent
bonjour. Est-ce que vous trouvez que vous faites un travail utile ? L’un
du groupe, sous l’assentiment des deux autres : ah, ça je ne peux pas vous
répondre, je n’ai pas le droit ». C’est une réponse.
A la réunion
du 14 novembre : le préfet disait qu’il fallait « fidéliser la police »,
et il donnait en exemple les CRS. Désormais, au lieu d’une seule journée, ils
passeront deux ou trois semaiens dans le quartier. Ce qui s’appelle se moquer
du monde ? C’est ça fidéliser ? Est-ce que commencer par fidéliser la
police, ça ne commencerait pas par expliquer l’objectif de la ZSP aux forces de
l’ordre. Leur expliquer pourquoi elles sont utiles. Ouvrir un espace de
dialogue entre les habitants et les policiers ?
Pascal Nicolle,
président de la LDH 18ème. 15, novembre le matin, 8H50, deux
militants du parti de gauche distribuent des tracts. La police le leur interdit
sous prétexte d’absence d’autorisation. Un policier saisit un tract roulé
en boule par terre comme motif possible de contravention. Contrôle d’identité. L’un
des policiers précise : « c’est une ZSP », il y a une caméra et
nous sommes obligés de faire un rapport sur cette distribution de tract, on a
besoin de vos identités. Mais en juin dernier, les mêmes militants ont été
contrôlés et le classement ZSP n’était pas encore décidé. J’ajoute : les
distributeurs de milliers de tracts de marabouts sont-ils aussi contrôlés ?
La justification
du classement : les plaintes des habitants. Voir ce qui se dit autour de
nous et qui converge et qui peut se résumer ainsi : le mésusage de l’espace
public, on tolère ici ce qu’on ne tolérerait pas avenue Victor Hugo. A nouveau Philippe :
est-ce que le quartier est plus dangereux qu’ailleurs et qu’avant ? il y a
dix ans, les dealers et les drogués rentraient fréquemment dans les immeubles
de la rue Polonceau. Les altercations étaient nombreuses. Aujourd’hui, je ne me
sens pas menacé, ni par les vendeurs à la sauvette, ni par les pisseurs de
rues, ni par les vendeurs de cigarettes, ni par les prostituées rue marcadet, ni
par les crackeurs de Château Rouge, ni par les voitures qui se garent sur les
trottoirs, ni par la bibliothèque fermée depuis un an, ni par les engorgements
de Château Rouge, … je suis agacé. Plus qu’une zone de sécurité prioritaire, je
crois que j’aspire à une zone de tranquillité
prioritaire. En fait, à une zone normale.
Luc Peillon :
avec le classement ZSP, le trafic de crack a –t-il diminué ? Quelle est l’efficacité
d’un car de police coincé entre quatre ou cinq prostituées et deux vendeuses de
safous ? Depuis que l’Olympic café est fermé, l’angle Léon Myrha est une vraie zone de non droit,
transformé en QG des trafiquants qui ont même organisé un barbecue dans la rue.
Encore une fois la question de l’occupation de l’espace public et une politique
culturelle est tout aussi efficace et apaisante qu’une présence policière
massive.
Résumons pour
faire le point. Ce qui se passe sous nos yeux n’est pas la présence aléatoire
de camions de CRS ou d’une voiture de police devant le marché Dejean. Ni non
plus les BAC qui de temps en temps coincent un dealer. Les désordres urbains en
France sont souvent le résultat d’interactions violentes entre policiers des
BAC et les jeunes des cités. Ici, même s’il y eu quelques incidents suite à des
arrestations, elles restent dans le quartier l’exception et les policiers, ZSP
ou pas ZSP, se promènent dans le quartier en patrouille de deux ou trois sans
provoquer de remous particulier.
A l’heure qu’il
est : le classement de Château Rouge en ZSP rend d’abord visible la
présence policière, provoque des discussions en fonction de cette présence,
pour ou contre. C’est l’une des retombées à mon malheureuse d’une ZSP, d’une
réunion où se trouvent au centre des discussions un préfet, un commissaire, un
procureur.
En quoi
sont-ils utiles pour « reconquérir l’espace public » ? Puisqu’on
parle de reconquête.
Ces remarques
n’ont rien d’une dénonciation trop familière de la police. Elle contribue à
dégager les trottoirs et me rend la marche plus facile. J’apprécie. Et puis ?
On repousse les effets visibles des disfonctionnements vers le Boulevard Magenta ?
Mais je me pose la question suivante : une réponse policière, même
durable, ne changera pas le quartier. Des réponses ont été trouvées dans la
longue histoire de la Goutte d'Or : dans le domaine de la drogue, du
logement. Il reste à en trouver d’autres sur le commerce. Les réponses qui ont
été trouvées l’ont été parce qu’on a quitté le tumulte des discussions
sécuritaires pour se poser d’autres questions, avec tous les acteurs. Tous, y
compris la police. Y compris les habitants, les usagers de drogue, les
commerçants. Je ne sais pas si les réponses existent. Je sais seulement qu’elles
ne se trouvent dans les impasses sécuritaires.
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