lundi 19 novembre 2012

Zone de sécurité prioritaire


Réflexions ZSP


Le classement de la Goutte d'Or en Zone de sécurité prioritaire (ZSP) provoque des discussions sans fin dans les réunions et sur la toile. Elles tournent autour de la police, de sa présence, de son efficacité, de son utilité. C’était prévisible. Le mot « sécurité » emprisonne la réflexion. A la réunion du 14 novembre à la mairie du 18ème, outre les élus  (Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur et Myriam El Khomri), la tribune était occupée par le préfet, le commissaire de police et le procureur. Education, santé, emploi, politique de la ville, sport et culture, n’avaient aucun représentant. Dans la salle, des habitants qui ont discuté de la police et de son efficacité dans la résolution des disfonctionnements du quartier.

Recension des opinions :

Ceux qui approuvent la présence policière. Au regard d’une situation de de dégradation de l’espace public, saleté, tapage, ce sont les habitants du quartier qui applaudissent des deux mains la présence » des forces de l’ordre. Ce n’est donc pas un hasard si les messages qui approuvent la présence policière proviennent de camarades qui habitent le quartier. (Silvia sommaruga)

La police fait son travail et c’est bien. Qu’il y ait des consignes pour contrôler les activités autour de Château Rouge ne me paraît pas inquiétant (il s’agissait du contrôle de deux militants front de gauche distribuant des tracts à la sortie du métro). C’est un secteur vraiment difficile. Les militants qui leur bonne conscience pour eux n’ont rien à craindre. Elisa Yavchitz renchérit : habitante de Château Rouge, je trouve que la présence policière n’est pas agressive comme elle l’a pu l’être dans le passé, elle apaise vraiment. Notamment à la sortie du métro. On ne peut que se réjouir que les forces de l’ordre aient décidé d’agir chez nous.
Le kiosquier Château Rouge dit que c’est bien, sans enthousiasme. Celui de Barbès intervient avec véhémence contre ceux qui doutent de l’efficacité  policière : venez me voir, je vous prie, voyez la différence quand il y a la police et quand elle n’est pas là. Quand elle est là, je peux travailler. Sinon, impossible, mon kiosque est asphyxié.

            Plus bizarrement, les usagers à EGO (Jean-Paul), affirment qu’ils ont affaire, depuis le classement du quartier en ZSP, à une police plus intelligente et plus respectueuse. La police recherche plutôt celui qui vend que celui qui consomme.

Ceux qui dénoncent les bavures, incivilités policières : Philippe Silvestre : j’ai trop vu ce type d’opérations, depuis vingt ans que j’habite le quartier. Trop de policiers, ne restant pas, ne connaissant pas le quartier et sa population. Essayez de leur parler : tout de suite ils sont sur la défensive. Il raconte une anecdote : un groupe de policiers cyclistes qui remonte le bd. Ils ne s’arrêtent pas au feu rouge. Philippe ne bouge pas. Dégage lui dit le dernier du groupe. «  il m’a fallu attendre près de cinquante ans et père de famille pour être enfin traité comme un jeune de banlieue.  

Mon expérience : depuis jeudi, je parle aux policiers. IL est tout à fait possible de le faire. Je dis bonjour, je me présente. Je m’adresse à un policier près de la voiture de police qui stationne. « Bonjour, je suis habitant du quartier, je vous vois souvent, vous et vos collègues et je m’interroge. Vous sentez-vous utiles, le policier, assez jeune : pas du tout. On ne sert à rien. On chasse les vendeurs, ils se réfugient à trois mètres, attendent qu’on parte, puis reviennent. On ne sert à rien. Je ne fais pas mon travail de policier. Boulevard Barbès. Trois CRS patrouillent. Je leur dis bonjour. Est-ce qu’on vous dit souvent bonjour ? Oui, les gens sont très gentils, ils nous disent souvent bonjour. Est-ce que vous trouvez que vous faites un travail utile ? L’un du groupe, sous l’assentiment des deux autres : ah, ça je ne peux pas vous répondre, je n’ai pas le droit ». C’est une réponse.

A la réunion du 14 novembre : le préfet disait qu’il fallait « fidéliser la police », et il donnait en exemple les CRS. Désormais, au lieu d’une seule journée, ils passeront deux ou trois semaiens dans le quartier. Ce qui s’appelle se moquer du monde ? C’est ça fidéliser ? Est-ce que commencer par fidéliser la police, ça ne commencerait pas par expliquer l’objectif de la ZSP aux forces de l’ordre. Leur expliquer pourquoi elles sont utiles. Ouvrir un espace de dialogue entre les habitants et les policiers ?

Pascal Nicolle, président de la LDH 18ème. 15, novembre le matin, 8H50, deux militants du parti de gauche distribuent des tracts. La police le leur interdit sous prétexte d’absence  d’autorisation. Un policier saisit un tract roulé en boule par terre comme motif possible de contravention. Contrôle d’identité. L’un des policiers précise : « c’est une ZSP », il y a une caméra et nous sommes obligés de faire un rapport sur cette distribution de tract, on a besoin de vos identités. Mais en juin dernier, les mêmes militants ont été contrôlés et le classement ZSP n’était pas encore décidé. J’ajoute : les distributeurs de milliers de tracts de marabouts sont-ils aussi contrôlés ?

La justification du classement : les plaintes des habitants. Voir ce qui se dit autour de nous et qui converge et qui peut se résumer ainsi : le mésusage de l’espace public, on tolère ici ce qu’on ne tolérerait pas avenue Victor Hugo. A nouveau Philippe : est-ce que le quartier est plus dangereux qu’ailleurs et qu’avant ? il y a dix ans, les dealers et les drogués rentraient fréquemment dans les immeubles de la rue Polonceau. Les altercations étaient nombreuses. Aujourd’hui, je ne me sens pas menacé, ni par les vendeurs à la sauvette, ni par les pisseurs de rues, ni par les vendeurs de cigarettes, ni par les prostituées rue marcadet, ni par les crackeurs de Château Rouge, ni par les voitures qui se garent sur les trottoirs, ni par la bibliothèque fermée depuis un an, ni par les engorgements de Château Rouge, … je suis agacé. Plus qu’une zone de sécurité prioritaire, je crois  que j’aspire à une zone de tranquillité prioritaire. En fait, à une zone normale.

Luc Peillon : avec le classement ZSP, le trafic de crack a –t-il diminué ? Quelle est l’efficacité d’un car de police coincé entre quatre ou cinq prostituées et deux vendeuses de safous ? Depuis que l’Olympic café est fermé, l’angle Léon  Myrha est une vraie zone de non droit, transformé en QG des trafiquants qui ont même organisé un barbecue dans la rue. Encore une fois la question de l’occupation de l’espace public et une politique culturelle est tout aussi efficace et apaisante qu’une présence policière massive.

Résumons pour faire le point. Ce qui se passe sous nos yeux n’est pas la présence aléatoire de camions de CRS ou d’une voiture de police devant le marché Dejean. Ni non plus les BAC qui de temps en temps coincent un dealer. Les désordres urbains en France sont souvent le résultat d’interactions violentes entre policiers des BAC et les jeunes des cités. Ici, même s’il y eu quelques incidents suite à des arrestations, elles restent dans le quartier l’exception et les policiers, ZSP ou pas ZSP, se promènent dans le quartier en patrouille de deux ou trois sans provoquer de remous particulier.

A l’heure qu’il est : le classement de Château Rouge en ZSP rend d’abord visible la présence policière, provoque des discussions en fonction de cette présence, pour ou contre. C’est l’une des retombées à mon malheureuse d’une ZSP, d’une réunion où se trouvent au centre des discussions un préfet, un commissaire, un procureur.

En quoi sont-ils utiles pour « reconquérir l’espace public » ? Puisqu’on parle de reconquête.

Ces remarques n’ont rien d’une dénonciation trop familière de la police. Elle contribue à dégager les trottoirs et me rend la marche plus facile. J’apprécie. Et puis ? On repousse les effets visibles des disfonctionnements vers le Boulevard Magenta ? Mais je me pose la question suivante : une réponse policière, même durable, ne changera pas le quartier. Des réponses ont été trouvées dans la longue histoire de la Goutte d'Or : dans le domaine de la drogue, du logement. Il reste à en trouver d’autres sur le commerce. Les réponses qui ont été trouvées l’ont été parce qu’on a quitté le tumulte des discussions sécuritaires pour se poser d’autres questions, avec tous les acteurs. Tous, y compris la police. Y compris les habitants, les usagers de drogue, les commerçants. Je ne sais pas si les réponses existent. Je sais seulement qu’elles ne se trouvent dans les impasses sécuritaires.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire