Discussion
serrée sur le film de Costa Gavras Adults
in the Room. Sur la question de la responsabilité des citoyens, des
habitants. Il semble que certaines catégories d’hommes et de femmes échappent à
leur responsabilité individuelle et soient entraînés sans pouvoir réagir vers
des comportements discutables. La discussion a eu lieu sur le gilets
jaunes : des écarts de langage, des agressions barbares, étaient à mettre
sur le compte de situations sociales dramatiques. Ils n’étaient pas vraiment
responsables. Et si cette explication cachait un mépris pour ce qu’ils appellent
« le peuple » ?
Par le petit
bout de la lorgnette, il me semblait, sous réserve d’examen, que la collecte
d’impôt en Grèce était d’une grande inefficacité et que chacun, plus ou moins
en fonction de sa place dans la société, profitait de cette aubaine. Depuis les
armateurs, beaucoup, jusqu’à l’église orthodoxe, beaucoup aussi et chaque petit
commerçant, petit propriétaire, pas beaucoup, mais l’effet masse multipliait
les conséquences. Il me semblait, sous réserve d’examen, que la sortie de crise
de la Grèce passait par la mise en place d’un système de collecte d’impôt
efficace. Mais d’après le film de Costa Gavras, les citoyens grecs échappent à
leur propre responsabilité. Personne ne bronche, dans les pays développés, si
un individu est puni pour avoir volontairement échappé à sa part de
contribution au budget national. On peut demander bien sûr que les plus riches
soient plus sévèrement punis, mais que le petit commerçant dissimule ne provoque
pas d’indignation dans une société considérée alors comme sous-développée.
Ainsi va la
vie. Une partie de l’humanité est responsable de ses actions. Une autre partie
est victime. Et ne mérite aucune responsabilité. Quand l’IRA ou l’ETA prend les
armes et terrorise la population qu’ils entendent contrôler, une partie de l’opinion
légitime leurs actions par « l’impérialisme britannique » ou l’impérialisme
espagnol ou français ». Pour la majorité des citoyens de ces pays, ces
actions sont illégitimes, ils vivent dans un pays démocratique où toutes les
opinions peuvent s’exprimer et donc les auteurs des attentats doivent être mis
hors d’état de nuire, arrêté, jugés, condamnés.
Mais plus on
s’éloigne du centre et moins les citoyens sont responsables. Comme s’ils n’avaient
pas droit au statut de responsable. Si des humains des démocraties occidentales
prennent les armes, ils provoquent de l’indignation. Dans les anciennes
colonies, on couvre ces exactions sous le drapeau des conséquences de la
colonisation. Toutes ces guerres interethniques, ces difficultés renouvelées à
construire des sociétés où les différences peuvent vivre ensemble sont le
résultat du système colonial. Pendant combien de temps encore ? La guerre civile en Algérie, résultat du
colonialisme ? Le maintien du statut de subordination des femmes, résultat
du colonialisme ? Enfin, excusez-moi d’insister, mais les délateurs de Juifs
sous Vichy, la participation des Polonais ou Ukrainiens à l’élimination des Juifs,
sont-ils le fait d’héritiers de l’histoire ou d’acteurs du présent ? Le
massacre de trois millions de Cambodgiens par le régime Pol Pot, effet de l’impérialisme
français, ou du système des Khmers rouges ? Quelqu’un doit-il être jugé pour ces
massacres ? Le génocide rwandais, est-il uniquement le résultat de la
présence française ? Pas de massacreurs hutus ou tutsis ? Et en Birmanie,
de quel impérialisme les massacreurs de musulmans sont-ils les héritiers ?
Et pendant combien de temps seront-ils des héritiers ?
Les grandes
manifestations populaires de la fin du vingtième siècle ne sont pas des
manifestations contre l’impérialisme, contre le colonialisme, contre la
mondialisation. Les mouvements populaires en Pologne, en Hongrie, en Roumanie,
demandaient la fin des régimes communistes, le retour ou l’installation des
protections démocratiques, l’instauration d’un régime de marché concurrentiel,
les libertés religieuses et politiques, le droit de voyager, etc. Les
manifestations les plus récentes : Hong Kong, Chili, Tunisie, Algérie, Égypte,
Haïti, réclament des libertés démocratiques sur le modèle des puissances occidentales,
une économie de marché régulé par un état de droit. Pas de manifestation contre
l’impérialisme américain, contre le colonialisme européen.
Le discours
qui rend compte de ces mouvements date. La mondialisation n’a pas supprimé le
pouvoir du grand capital et des finances. Mais voilà qu’à Hong Kong, les manifestants
réclament démocratie politique et économie de marché. Et quand les deux
disparaissent, comme au Venezuela, les peuples manifestent contre cette disparition,
soit dans les rues de Caracas, soit en émigrant par millions.
Le discours
des révolutionnaires d’aujourd’hui me semble en retard, très en retard, sur ces
évolutions.