samedi 30 novembre 2019

biarritz : la curée


Biarritz : la Curée





            Dans les films animaliers qui ont tant de succès à la télévision, les scènes les plus fascinantes sont celles où une proie est séparée du troupeau par les prédateurs, et quand elle est ainsi affaiblie, les panthères, les tigres, les loups se précipitent, la mordent, la griffent, la saignent, l’achèvent, tandis que les hyènes et les vautours attendent leur tour pour participer au festin.



            C’est ainsi que peuvent se lire les informations sur la préparation des élections municipales. Biarritz est une bête splendide, riche, inventive, musclée, souple, séduisante. Autour d’elle s’agitent des prédateurs qui veulent leur part du festin, sans trop se préoccuper de l’avenir et du bien-être de l’animal. Plus quelques hyènes et vautours qui attendent leur tour.



Leur projet ? Dépecer la ville. Leur ambition ? Une brouillarta. Avec qui ? Avec d’autres prédateurs. Les habitants doivent être tenus à l’écart. Le PS et La République en Marche ont été privés des réunions qui auraient pu entraver les rayeurs de parquet.



Ce n’est pas la première fois que Biarritz  suscite tant d’envies. Ce n’est pas la première fois qu’on a cherché à la réduire au silence. La communauté d’agglo avait l’objectif déclaré de soumettre les villes côtières au rêves de folklore. Elles résistent. Le combat continue. à nous tous de prendre la parole. La principale force du loup est le silence des agneaux.



Vous voulez un avis, un conseil ? À vous de réfléchir. Cherchez autour de vous qui a le mieux résisté au dépeçage.

mercredi 27 novembre 2019

révolution


J’aime la révolution





Beaucoup de films dénoncent le système et donnent la parole aux invisibles. Ken Loach, Guédigian, et un dernier film, les misérables. Auparavant, il y eut Les bas-fonds de Gorki, les Misérables  de Victor Hugo, David Copperfield  de Charles Dickens. Et Jack London. Ce sont des œuvres majeures qui nous donnent à voir.

Guédigian est parmi ceux-là et il cite Camus, à propos des récentes manifestations : « je préfère le désordre à l’injustice ».

Puis il raconte comment se font ces films (libé, 27/11/19). « Les films doivent coûter ce qu’ils rapportent. …si je dis à mon équipe que …je dois baisser les salaires de 20% sans diminuer le temps et les conditions de travail de chacun…tout le monde comprend. … tout le monde est co-bénéficiaire du film ».



J’aime les films de Guédigian et j’aime ce qu’il dit sur le système. Il ne parle pas du système des intérimaires du spectacle, il aurait pu.

lundi 25 novembre 2019

murs murs


Murs murs



            Dans la Creuse,  dans un petit village nommé Vidaillat, l’école primaire était délimitée par un mur. Le village était à ciel ouvert, mais les classes étaient calfeutrées derrière les pierres. À Saint-Quentin, dans l’Aisne, le lycée Henri Martin était une masse compacte cachée derrière des murs plus hauts que ceux de la prison. C’était un lycée de garçons. Le lycée de filles, à la libération occupait les locaux du palais de justice, le palais de Fervaques.  et les classes donnaient sur la ville. Les lycéens d’Henri Martin pouvaient voir les lycéennes, nous leur étions invisibles. Du Lycée Henri Martin, je migrai vers le Lycée Faidherbe, à Lille, une caserne toute entière protégée par des murailles militaires. Du Lycée Faidherbe, je migrais à Paris vers l’Institut d’anglais, rue de l’Ecole de Médecine, un ancien cloître protégé par des parpaings et des portes pesantes. De là, je m’enfermais au Lycée Saint-Louis, barricadé par d’épais remparts. Une caserne. Du Lycée Saint-Louis, je m’évadais vers l’Université de Vincennes, des préfabriqués dans le bois, sans enceintes, sans portes, sans murailles, à ciel ouvert, où l’on rentrait et on sortait sans clé, sans cartes, juste pour voir. Pas question d’entrer ainsi « pour voir » au Lycée Saint-Louis, à l’Institut d’Anglais, au Lycée Faidherbe. Peut-être y avait-il un autre type d’enfermement, mais un enfermement qui n’avait pas besoin de murs.

            J’ai ensuite connu le mur de Berlin, que j’ai contribué à construire en en justifiant la construction pour des raisons prolétariennes. Ensuite, j’ai connu en Irlande les murs de Belfast et de Derry, remparts  que j’ai contribué à détruire en déconstruisant leur construction.

Croire que les murs empêchent d’entrer ou de sortir est une illusion. Leur unique fonction est de définir ceux qui les construisent.

jeudi 21 novembre 2019

imaginons le pire


Des moments de creux, des moments de plein, des moments de lourdeur, des heures de liberté, des entraves aux chevilles, des ailes aux genoux, des poitrines haletantes ou des souffles courts, des jambes qui pèsent un âne mort ou des semelles de vent, des regards appuyés ou des yeux fuyants. Depuis toujours il en fut ainsi et je ne vois pas pourquoi je mettrais sur le compte de l’âge ces lignes sinusoïdales. Où avez-vous rêvé une vie en pente douce vers les sommets,  mue par des vertus électriques rechargeables, une heure de bonheur s’ajoutant à un jour de plaisir ?


Si j’étais certain de placer les mots, de pousser les pions sans aucun regard extérieur, il m’arriverait sans doute de dessiner des figures abominables, des plongées sans retour, des actes regrettables. D’accord. Mais si personne ne suit ces lignes, si aucun lecteur ne déchiffre ces lettres, il suffit d’activer le texte en cours et de presser la touche suppr pour que jamais ces infamies ne soient placées dans le domaine public. Encore que je me demande. Suffit-il d’effacer des horreurs pour qu’elles n’aient jamais existé ? J’ai beau les avoir effacées, je sais moi que je les ai écrites, pour tenter le diable peut-être, et aucune gomme ne peut araser les mots condamnables de mon réseau mémoriel, je vais me traîner ces crimes scripturaux pendant des heures et peut-être des jours, des années. 


Je me rappelle cette dame amie qui perdit son époux emporté par une maladie fatale. Elle rentra dans son bureau et commença à ranger les papiers. Elle découvrit parmi les papiers des textes d’un journal intime dont elle refusa jusqu’à sa mort de nous parler, mais jamais un jour ne se passait, et elle venait souvent nous rendre visite, quasiment tous les jours, sans nous dire d’une voix blanche, le visage défait, vous ne pouvez pas vous imaginer, mes enfants, parce que nos relations étaient quasi familiales, vous n’imaginerez jamais ce que E…  (la première lettre du prénom de son mari) a écrit. Ou plutôt, ce qu’il a fait. Ou encore mieux, ce qu’il était. Nous la pressions de questions. Si tu nous parlais, E… (C’était la première lettre de son prénom), peut-être le poids de cette révélation serait moins lourd. Nous voyons bien que tu es ravagé par ce que tu viens de découvrir, ne serait-ce pas une bonne idée de partager ces révélations avec une quasi-famille bienveillante ?  Il y avait dans notre bonté l’espoir jamais réalisé de partager un secret que le silence rendait monstrueux. Rien n’y faisait. Elle est morte en emportant ce maudit secret dans son urne et je suis incapable de vous faire part de ce que nous avons imaginé. Tous les jours elle venait à l’heure du repas et nous disait, non, vous ne pourrez jamais imaginer. Tous les jours, nous imaginions le pire, généralement, dès qu’elle avait franchi la porte, ce devint un jeu familial où il fallait chaque fois inspirer une horreur plus forte que la veille pour marquer un point. Je ne vais pas transcrire ici ce que nous avons imaginé parce que si je l’inscris sur l’écran, ces horreurs prendront une certaine réalité que la touche suppr ne pourra jamais effacer. Aucune expérience traversée dans la vie réelle (comme on dit au cinéma, cette histoire est inspirée de la réalité), n’atteint les sommets de ces conversations post-mortem. Chacun a entendu parler de ces révélations qui viennent à jour dans le salon mortuaire, dans les boissons partagées qui suivent la crémation, ou dans le bureau du notaire : le défunt avait un deuxième ménage à Barcelone et des enfants qui vivent aujourd’hui à Oulan-Bator viennent réclamer leur part. Ou bien, homosexuel notoire, déclaré, assumé, il se révèle qu’en fait il était hétéro, avec une famille nombreuse et qu’il passait ses loisirs dans des maisons de passe avec des dames rétribuées. Toutes ces révélations provoquent des chocs, mais aucune ne pourrait blanchir la voix, défaire le visage, comme ceux de Madame E… qui tous les jours nous disaient que jamais nous ne pourrions imaginer. 


Après avoir pendant des années imaginé le pire, il me vient maintenant une hypothèse. Chacun d’entre nous cherche à prolonger la vie après la mort par des souvenirs qui malheureusement se fanent comme les photos de famille. Imaginons que cette dame, cette amie proche de notre famille, qui n’avait à nous transmettre qu’une infatigable bonté, une générosité jamais démentie, elle nous donnait son temps et son argent les fins de mois difficile, imaginez que cette dame n’ait que cette générosité à transmettre en souvenir. Elle doit se rendre compte que l’immense bonté occupe moins de place dans les souvenirs que d’affreux comportements. On se rappelle plus Hitler que le Front populaire. Cette dame a donc inventé cette histoire qui ne nous quitte pas, qui continue de nous tourmenter, pour survivre dans nos mémoires, car chaque fois que cette famille décomposée se recompose, à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement, nous nous mettons tous à imaginer que E…, l’époux de E… avait bien pu écrire dans son journal intime qui puisse à ce point  décomposer le visage de E… et blanchir ainsi sa voix.

jeudi 14 novembre 2019

régressions


Régressions



Quand les vents étaient contraires, Agamemnon décida de sacrifier sa fille Iphigénie. Une communauté choisissait en son sein une personne qui allait se sacrifier pour sauver son peuple. Le sacrifice de Jésus pour l’humanité toute entière montra la voie. D’autres sacrifices suivirent. Vous trouverez d’autres exemples dans la Bible ou le Coran. Ces sacrifices réduisent la vie politique à une cérémonie religieuse. Le peuple n’a aucune autonomie, n’agit pas collectivement, il ne pense pas collectivement, il désigne en son sein un champion, la fille d’un roi, un héros qui va combattre pour tous. C’est le degré zéro de la politique. Le maire de Cork, Terence MacSweeney (mort au bout de 74 jours), Bobby Sands, (au bout de 66 jours), les bonzes qui se sacrifient au Viet Nam contre les États-Unis. Ian Palach bien entendu, cérémonie funèbre qui sonnait le glas de la liberté à Prague.



Dans les campagnes irlandaises du 18ème siècle, les fermiers catholiques payaient le fermage aux propriétaires protestants. Quand le loyer était trop élevé, qu’il les empêchait de vivre, des groupes de paysans masqués, le visage noirci, rôdaient dans les campagnes, incendiaient les meules, mutilaient le bétail, agressaient les régisseurs. Quand le niveau de ces exactions dépassait un certain seuil, le loyer des terres baissaient. C’est ce que l’historien Eric Hobsbawm appelait « la négociation collective par l’émeute ».



Les paysans s’organisèrent en syndicat, la Land League. Ils organisèrent des campagnes efficaces, notamment le boycott, du nom d’un propriétaire terrien en conflit contre ses fermiers qui ne trouvaient plus de serviteurs, d’ouvriers agricoles ou de domestiques pour sa propriété.



La politique remplaça peu à peu les incendies et les mutilations. Contre les sociétés secrètes, les propriétaires envoyaient l’armée ou la police. Contre les syndicats, ils durent négocier. Sous la direction de Daniel O’Connell et de Michael Davitt, les paysans irlandais s’organisèrent, discutèrent, boycottèrent, votèrent, s’émancipèrent. Les propriétaires protestants durent discuter, les paysans irlandais apprirent la négociation et l’organisation.



Des employés d’un hôpital à Rouvray se mettent en grève de la faim. Le maire de Guéméné, René le Moullec entame une grève de la faim pour sauver l’hôpital. Une directrice d’école se suicide. Retour à la préhistoire. Un étudiant s’immole. Immense régression. Pour montrer leur solidarité et leur colère, d’autres étudiants déchirent des livres. Demain ils vont les brûler. Qui condamne, quel parti, quel responsable politique dénonce ces régressions majeures ? Demain les étudiants qui interdisent la conférence de Sylviane Agacinski, qui interdisent la conférence de François Hollande, qui déchirent des livres, seront reçus au  ministère de l’enseignement supérieur. Combien sera récompensé chaque livre déchiré ?

mercredi 13 novembre 2019

immolation


Immolation







Un étudiant s’est immolé devant le CROUS de Lille. Aussitôt, les insoumis, les révoltés, les affamés, les précaires, les miséreux, et surtout les dirigeants politiques qui parlent à leur place, tels François Ruffin ou les porte-paroles des gilets jaunes ont sauté sur ses brûlures pour dénoncer un système inhumain qui conduit un étudiant à se sacrifier tellement il est inhumain. On l’a même comparé à Ian Palach, qui s’est immolé à Prague pour protester contre l’invasion des troupes soviétiques pour écraser le peuple tchèque. Vous ne le saviez pas, mais nous vivons dans un pays où toutes les libertés sont interdites par les tanks d’une troupe d’occupation. Une directrice d’école, déjà, n’avait trouvé que le suicide pour protester contre une vie impossible. Que peut-on faire contre le sacrifice d’une vie ? S’incliner, admirer, se recueillir.



Déjà, pendant la grève de la faim de Bobby Sands et des emprisonnés de l’IRA, la réflexion était interdite. L’opinion était bouleversée par le sacrifice suprême. On oubliait que Bobby Sands, emprisonné pour activités terroristes en bande armée, faisait grève pour obtenir le statut de prisonnier politique. Parce que exploser une voiture piégée dans un pub, c’est un acte politique comme distribuer un tract ou manifester avec une banderole.



Dans l’Irlande médiévale, quand un seigneur ne réglait pas ses dettes le commerçant s’installait à la porte de son château et entamait une grève de la faim. Jusqu’à la mort parfois. Ou parfois, le seigneur cédait et remboursait sa dette. Plus tard, un état de droit avec des cours de justice, des magistrats, des lois se mit en place. 



Et maintenant les suicides. On ne peut se faire entendre. On ne nous écoute pas. Donc il faut chaque fois franchir un palier. L’exemple fut donné par les gilets jaunes : manifester pacifiquement ne donne rien. Des grèves ne donnent rien. Donc il faut casser, piller, et oui, ils ont obtenu combien ? 13 milliards je crois. Mais désormais, ça ne suffit plus.



Surtout que les actions empêchent la réflexion. Empêchent de penser. Il faut des actes qui empêchent toute discussion. Le suicide d’un étudiant témoigne de la condition étudiante. Et qui ne sera pas convaincu n’a pas de cœur. Est réac. N’aime pas le peuple. Et les dirigeants révolutionnaires, de droite ou de gauche, vont nous démontrer que ces actes extrêmes témoignent de la condition étudiante aujourd’hui. L’étudiant qui s’est immolé triplait son année d’études.





Professeur d’université, il m’est arrivé de recevoir un étudiant que j’avais collé pour travail insuffisant. Il ne m’avait rendu aucun travail, aucun exposé, il s’était juste inscrit dans mon cours. Il n’avait assisté à aucune séance. Et le jour des résultats, il s’est présenté à ma permanence et me dit, furieux : si vous ne me donnez pas mon examen, je perds ma bourse. Il n’avait rien fait pour la conserver, sa bourse et il me demandait de le récompenser par l’inscription sur la liste des reçus.





À cet étudiant qui venait me voir, j’ai proposé de rattraper le semestre avec un calendrier serré de travaux à remettre, de lectures et d’exposés. Pendant les vacances. Il a travaillé et a conservé sa bourse. Déjà  à l’époque, je n’étais plus révolutionnaire, j’étais réformiste.

samedi 9 novembre 2019

responsables autant que nous


Discussion serrée sur le film de Costa Gavras Adults in the Room. Sur la question de la responsabilité des citoyens, des habitants. Il semble que certaines catégories d’hommes et de femmes échappent à leur responsabilité individuelle et soient entraînés sans pouvoir réagir vers des comportements discutables. La discussion a eu lieu sur le gilets jaunes : des écarts de langage, des agressions barbares, étaient à mettre sur le compte de situations sociales dramatiques. Ils n’étaient pas vraiment responsables. Et si cette explication cachait un mépris pour ce qu’ils appellent « le peuple » ? 


Par le petit bout de la lorgnette, il me semblait, sous réserve d’examen, que la collecte d’impôt en Grèce était d’une grande inefficacité et que chacun, plus ou moins en fonction de sa place dans la société, profitait de cette aubaine. Depuis les armateurs, beaucoup, jusqu’à l’église orthodoxe, beaucoup aussi et chaque petit commerçant, petit propriétaire, pas beaucoup, mais l’effet masse multipliait les conséquences. Il me semblait, sous réserve d’examen, que la sortie de crise de la Grèce passait par la mise en place d’un système de collecte d’impôt efficace. Mais d’après le film de Costa Gavras, les citoyens grecs échappent à leur propre responsabilité. Personne ne bronche, dans les pays développés, si un individu est puni pour avoir volontairement échappé à sa part de contribution au budget national. On peut demander bien sûr que les plus riches soient plus sévèrement punis, mais que le petit commerçant dissimule ne provoque pas d’indignation dans une société considérée alors comme sous-développée. 


Ainsi va la vie. Une partie de l’humanité est responsable de ses actions. Une autre partie est victime. Et ne mérite aucune responsabilité. Quand l’IRA ou l’ETA prend les armes et terrorise la population qu’ils entendent contrôler, une partie de l’opinion légitime leurs actions par « l’impérialisme britannique » ou l’impérialisme espagnol ou français ». Pour la majorité des citoyens de ces pays, ces actions sont illégitimes, ils vivent dans un pays démocratique où toutes les opinions peuvent s’exprimer et donc les auteurs des attentats doivent être mis hors d’état de nuire, arrêté, jugés, condamnés. 


Mais plus on s’éloigne du centre et moins les citoyens sont responsables. Comme s’ils n’avaient pas droit au statut de responsable. Si des humains des démocraties occidentales prennent les armes, ils provoquent de l’indignation. Dans les anciennes colonies, on couvre ces exactions sous le drapeau des conséquences de la colonisation. Toutes ces guerres interethniques, ces difficultés renouvelées à construire des sociétés où les différences peuvent vivre ensemble sont le résultat du système colonial. Pendant combien de temps encore ?  La guerre civile en Algérie, résultat du colonialisme ? Le maintien du statut de subordination des femmes, résultat du colonialisme ? Enfin, excusez-moi d’insister, mais les délateurs de Juifs sous Vichy, la participation des Polonais ou Ukrainiens à l’élimination des Juifs, sont-ils le fait d’héritiers de l’histoire ou d’acteurs du présent ? Le massacre de trois millions de Cambodgiens par le régime Pol Pot, effet de l’impérialisme français, ou du système des Khmers rouges ?  Quelqu’un doit-il être jugé pour ces massacres ? Le génocide rwandais, est-il uniquement le résultat de la présence française ? Pas de massacreurs hutus ou tutsis ? Et en Birmanie, de quel impérialisme les massacreurs de musulmans sont-ils les héritiers ? Et pendant combien de temps seront-ils des héritiers ? 


Les grandes manifestations populaires de la fin du vingtième siècle ne sont pas des manifestations contre l’impérialisme, contre le colonialisme, contre la mondialisation. Les mouvements populaires en Pologne, en Hongrie, en Roumanie, demandaient la fin des régimes communistes, le retour ou l’installation des protections démocratiques, l’instauration d’un régime de marché concurrentiel, les libertés religieuses et politiques, le droit de voyager, etc. Les manifestations les plus récentes : Hong Kong, Chili, Tunisie, Algérie, Égypte, Haïti, réclament des libertés démocratiques sur le modèle des puissances occidentales, une économie de marché régulé par un état de droit. Pas de manifestation contre l’impérialisme américain, contre le colonialisme européen. 


Le discours qui rend compte de ces mouvements date. La mondialisation n’a pas supprimé le pouvoir du grand capital et des finances. Mais voilà qu’à Hong Kong, les manifestants réclament démocratie politique et économie de marché. Et quand les deux disparaissent, comme au Venezuela, les peuples manifestent contre cette disparition, soit dans les rues de Caracas, soit en émigrant par millions. 


Le discours des révolutionnaires d’aujourd’hui me semble en retard, très en retard, sur ces évolutions.

lundi 4 novembre 2019

blanchir ou noiricir


Une pétition circule au Pays Basque français pour que l’attaque de la mosquée de Bayonne soit nommée par la justice comme attentat terroriste. Pour que la personne qui a tenté d’incendier la mosquée et qui a gravement blessé deux musulmans soit considérée comme un terroriste. Une démarche qui peut se défendre. Une pétition qui se veut solidaire avec la communauté des fidèles de la mosquée qui se sent agressée.



Dans le même temps une campagne se mène sous le nom d’Artisans de la Paix ou Bake Bidea (chemin du lavoir), pour transformer des terroristes basques en prisonniers politiques.



Pour marquer une solidarité avec les musulmans agressés, il faut transformer leur agresseur en terroriste.



Pour insulter les victimes du terrorisme d’ETA, il faut transformer les etarras en prisonniers politiques.

humaniste mais pas trop


Portait de Libération 2 novembre 2019. Michel Berhocoirigoin sur les « artisans de la paix ».  C’est un humaniste. Il est  pour la non-violence. Il a appris à parler basque dans un village de 122 habitants. Fils de paysan. C’est  un sage de la société basque ». Il devient chef d’exploitation agricole à 22 ans.  Il possède un troupeau de vaches laitières dans une ferme de 24 hectares. Il faut être très  méchant  ou pire, parisien, pour ferrailler avec un tel homme.



Humaniste, il s’engage pour le désarmement de l’ETA quand l’ETA décide de désarmer. Le mouvement qui négocie avec ETA se nomme « Artisans de la Paix ». C’est un mouvement qui regroupe toutes les sensibilités du Pays Basque : « notre trésor c’est l’attelage pluridimensionnel qui nous permet de décider comment on va tous appartenir à un même ensemble. « Nous n'accepterons pas votre présence… Vous êtes en permanence en train d'insulter et de diffamer ceux qui travaillent dans ce processus de paix ».



J’avais inscrit l’Observatoire du Pays Basque à la réunion de réflexion du 2 novembre sur le processus de paix « réservée aux personnes de toutes sensibilités ». Je reçois en réponse ce courriel : « Nous n'accepterons pas votre présence… Vous êtes en permanence en train d'insulter et de diffamer ceux qui travaillent dans ce processus de paix ».



Notre trésor, c’est le rassemblement de toutes les sensibilités : « Je n’ai pas la réponse. Il faut réfléchir ensemble » dit Berhoco. « Nous n'accepterons pas votre présence… Vous êtes en permanence en train d'insulter et de diffamer ceux qui travaillent dans ce processus de paix ».



Milite à la FNSEA, puis crée un syndicat paysan basque. « Identitaire, mais pas séparatiste. Pas question, dit Berhoco, de « construire un mur autour de nous ». « Nous n'accepterons pas votre présence… Vous êtes en permanence en train d'insulter et de diffamer ceux qui travaillent dans ce processus de paix ».



Il est résolument non-violent. C’est pourquoi il n’a participé à aucune manifestation contre la violence de l’ETA au Pays Basque espagnol. C’est pourquoi  il défend les prisonniers basques qui ne demandent pas pardon à leurs victimes. C’est pourquoi il ne demande pas aux soutiens des terroristes emprisonnés de cesser ces danses et ces chants à la sortie de prison. C’est pourquoi il n’accepte pas ma présence dans une réunion qui rassemble « toutes les sensibilités ». « « Nous n'accepterons pas votre présence ».



Humaniste, non-violent, il refuse de rencontrer les associations de victimes et refuse leur présence dans les réunions qu’il organise. « Nous n'accepterons pas votre présence… Vous êtes en permanence en train d'insulter et de diffamer ceux qui travaillent dans ce processus de paix ».


samedi 2 novembre 2019

la teinturerie se vide


La Teinturerie était presque vide.





            Comme je distribuais des pages de vidas rotas (le recueil des vies brisées par l’ETA), je sais à peu près combien ils étaient. Pas plus d’une cinquantaine.  J’avais pris deux cents pages, il m’en restait cent cinquante. Parmi les présents, Michel Veunac et Jean-René Etchegaray, sans leur écharpe tricolore parce que Xavier Larralde, d’EH BaÏ le leur avait interdit. Nous sommes en Iparralde leur avait-il dit, pas en France. Et les élus avaient docilement ôté leur écharpe.  Il  y avait aussi Mikel Berocoirigoin, à qui j’ai serré la main. Dans cette salle de trois cents places, les cinquante blanchisseurs étaient un peu perdus. Se pourrait-il que notre campagne minuscule, mais incessante contre le blanchissage de la terreur ait contribué à réduire l’assistance ?



            J’ai donné un feuillet à Michel Veunac, en lui disant ce sont des victimes de l’ETA. Il a retourné la feuille et le verso était blanc. Il était étonné. Persuadé qu’il y avait des victimes des deux côtés, ce vide le stupéfia. Jean-René Etchegaray prit la victime inscrite dans le feuillet tendu et y prêta la même attention que pour les 859 autres victimes, c'est à dire une méprisante indifférence. Chacun des cinquante participants à cette nouvelle séance de blanchissage se voyait remis un dossier, pas moi, puisque j’étais interdit, et rangeait la feuille avec une victime d’ETA au-dessus du dossier.



            Un monsieur très énervé, qui m’avait lu et attendait les feuilles distribuées, me prit à partie : vous ne parlez pas du GAL. Il avait une feuille  lui aussi, avec les photos de personnes étendues sur le sol, victimes du GAL. Je lui dis, c’est affreux. Vous avez raison de distribuer ces images, il ne faut pas qu’on oublie, jamais, les victimes de terrorisme d’état. Bien sûr, il avait une seule feuille et moi j’avais mille pages, mais ce n’est une raison. Je l’ai félicité de son initiative. Il m’a pris le bras et a commencé à me secouer. Je n’ai pas compris. J’étais d’accord avec lui et ça ne lui plaisait pas. Il faisait avec les victimes du GAL ce que je faisais avec les victimes d’ETA : les montrer, le rappeler, ne pas laisser ces victimes disparaître du souvenir. Comme il me secouait un peu plus, j’utilisais ma seule arme : la parole. Monsieur, ai-je crié, la terreur physique, c’est terminée. Il n’y a plus d’ETA ! Alors, lâchez-moi s'il vous plaît. Les cinquante présents l’ont regardé et il s’est reculé, il a compris qu’une époque était révolue, l’époque où l’on pouvait se débarrasser de ses adversaires politiques par la terreur. Il semblait le regretter.