La Teinturerie était presque vide.
Comme
je distribuais des pages de vidas rotas (le
recueil des vies brisées par l’ETA), je sais à peu près combien ils étaient.
Pas plus d’une cinquantaine. J’avais
pris deux cents pages, il m’en restait cent cinquante. Parmi les présents,
Michel Veunac et Jean-René Etchegaray, sans leur écharpe tricolore parce que
Xavier Larralde, d’EH BaÏ le leur avait interdit. Nous sommes en Iparralde leur
avait-il dit, pas en France. Et les élus avaient docilement ôté leur
écharpe. Il y avait aussi Mikel Berocoirigoin, à qui j’ai
serré la main. Dans cette salle de trois cents places, les cinquante
blanchisseurs étaient un peu perdus. Se pourrait-il que notre campagne minuscule,
mais incessante contre le blanchissage de la terreur ait contribué à réduire
l’assistance ?
J’ai
donné un feuillet à Michel Veunac, en lui disant ce sont des victimes de l’ETA.
Il a retourné la feuille et le verso était blanc. Il était étonné. Persuadé
qu’il y avait des victimes des deux côtés, ce vide le stupéfia. Jean-René
Etchegaray prit la victime inscrite dans le feuillet tendu et y prêta la même
attention que pour les 859 autres victimes, c'est à dire une méprisante
indifférence. Chacun des cinquante participants à cette nouvelle séance de
blanchissage se voyait remis un dossier, pas moi, puisque j’étais interdit, et
rangeait la feuille avec une victime d’ETA au-dessus du dossier.
Un
monsieur très énervé, qui m’avait lu et attendait les feuilles distribuées, me
prit à partie : vous ne parlez pas du GAL. Il avait une feuille lui aussi, avec les photos de personnes
étendues sur le sol, victimes du GAL. Je lui dis, c’est affreux. Vous avez
raison de distribuer ces images, il ne faut pas qu’on oublie, jamais, les
victimes de terrorisme d’état. Bien sûr, il avait une seule feuille et moi j’avais
mille pages, mais ce n’est une raison. Je l’ai félicité de son initiative. Il m’a
pris le bras et a commencé à me secouer. Je n’ai pas compris. J’étais d’accord
avec lui et ça ne lui plaisait pas. Il faisait avec les victimes du GAL ce que
je faisais avec les victimes d’ETA : les montrer, le rappeler, ne pas
laisser ces victimes disparaître du souvenir. Comme il me secouait un peu plus,
j’utilisais ma seule arme : la parole. Monsieur, ai-je crié, la terreur
physique, c’est terminée. Il n’y a plus d’ETA ! Alors, lâchez-moi s'il
vous plaît. Les cinquante présents l’ont regardé et il s’est reculé, il a
compris qu’une époque était révolue, l’époque où l’on pouvait se débarrasser de
ses adversaires politiques par la terreur. Il semblait le regretter.
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