samedi 2 novembre 2019

la teinturerie se vide


La Teinturerie était presque vide.





            Comme je distribuais des pages de vidas rotas (le recueil des vies brisées par l’ETA), je sais à peu près combien ils étaient. Pas plus d’une cinquantaine.  J’avais pris deux cents pages, il m’en restait cent cinquante. Parmi les présents, Michel Veunac et Jean-René Etchegaray, sans leur écharpe tricolore parce que Xavier Larralde, d’EH BaÏ le leur avait interdit. Nous sommes en Iparralde leur avait-il dit, pas en France. Et les élus avaient docilement ôté leur écharpe.  Il  y avait aussi Mikel Berocoirigoin, à qui j’ai serré la main. Dans cette salle de trois cents places, les cinquante blanchisseurs étaient un peu perdus. Se pourrait-il que notre campagne minuscule, mais incessante contre le blanchissage de la terreur ait contribué à réduire l’assistance ?



            J’ai donné un feuillet à Michel Veunac, en lui disant ce sont des victimes de l’ETA. Il a retourné la feuille et le verso était blanc. Il était étonné. Persuadé qu’il y avait des victimes des deux côtés, ce vide le stupéfia. Jean-René Etchegaray prit la victime inscrite dans le feuillet tendu et y prêta la même attention que pour les 859 autres victimes, c'est à dire une méprisante indifférence. Chacun des cinquante participants à cette nouvelle séance de blanchissage se voyait remis un dossier, pas moi, puisque j’étais interdit, et rangeait la feuille avec une victime d’ETA au-dessus du dossier.



            Un monsieur très énervé, qui m’avait lu et attendait les feuilles distribuées, me prit à partie : vous ne parlez pas du GAL. Il avait une feuille  lui aussi, avec les photos de personnes étendues sur le sol, victimes du GAL. Je lui dis, c’est affreux. Vous avez raison de distribuer ces images, il ne faut pas qu’on oublie, jamais, les victimes de terrorisme d’état. Bien sûr, il avait une seule feuille et moi j’avais mille pages, mais ce n’est une raison. Je l’ai félicité de son initiative. Il m’a pris le bras et a commencé à me secouer. Je n’ai pas compris. J’étais d’accord avec lui et ça ne lui plaisait pas. Il faisait avec les victimes du GAL ce que je faisais avec les victimes d’ETA : les montrer, le rappeler, ne pas laisser ces victimes disparaître du souvenir. Comme il me secouait un peu plus, j’utilisais ma seule arme : la parole. Monsieur, ai-je crié, la terreur physique, c’est terminée. Il n’y a plus d’ETA ! Alors, lâchez-moi s'il vous plaît. Les cinquante présents l’ont regardé et il s’est reculé, il a compris qu’une époque était révolue, l’époque où l’on pouvait se débarrasser de ses adversaires politiques par la terreur. Il semblait le regretter.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire