Immolation
Un étudiant s’est immolé devant le CROUS de Lille.
Aussitôt, les insoumis, les révoltés, les affamés, les précaires, les miséreux,
et surtout les dirigeants politiques qui parlent à leur place, tels François Ruffin
ou les porte-paroles des gilets jaunes ont sauté sur ses brûlures pour dénoncer
un système inhumain qui conduit un étudiant à se sacrifier tellement il est
inhumain. On l’a même comparé à Ian Palach, qui s’est immolé à Prague pour
protester contre l’invasion des troupes soviétiques pour écraser le peuple
tchèque. Vous ne le saviez pas, mais nous vivons dans un pays où toutes les
libertés sont interdites par les tanks d’une troupe d’occupation. Une
directrice d’école, déjà, n’avait trouvé que le suicide pour protester contre
une vie impossible. Que peut-on faire contre le sacrifice d’une vie ? S’incliner,
admirer, se recueillir.
Déjà, pendant la grève de la faim de Bobby Sands
et des emprisonnés de l’IRA, la réflexion était interdite. L’opinion était
bouleversée par le sacrifice suprême. On oubliait que Bobby Sands, emprisonné
pour activités terroristes en bande armée, faisait grève pour obtenir le statut
de prisonnier politique. Parce que exploser une voiture piégée dans un pub, c’est
un acte politique comme distribuer un tract ou manifester avec une banderole.
Dans l’Irlande médiévale, quand un seigneur
ne réglait pas ses dettes le commerçant s’installait à la porte de son château et
entamait une grève de la faim. Jusqu’à la mort parfois. Ou parfois, le seigneur
cédait et remboursait sa dette. Plus tard, un état de droit avec des cours de
justice, des magistrats, des lois se mit en place.
Et maintenant les suicides. On ne peut se
faire entendre. On ne nous écoute pas. Donc il faut chaque fois franchir un
palier. L’exemple fut donné par les gilets jaunes : manifester
pacifiquement ne donne rien. Des grèves ne donnent rien. Donc il faut casser,
piller, et oui, ils ont obtenu combien ? 13 milliards je crois. Mais désormais,
ça ne suffit plus.
Surtout que les actions empêchent la
réflexion. Empêchent de penser. Il faut des actes qui empêchent toute
discussion. Le suicide d’un étudiant témoigne de la condition étudiante. Et qui
ne sera pas convaincu n’a pas de cœur. Est réac. N’aime pas le peuple. Et les dirigeants
révolutionnaires, de droite ou de gauche, vont nous démontrer que ces actes
extrêmes témoignent de la condition étudiante aujourd’hui. L’étudiant qui s’est
immolé triplait son année d’études.
Professeur d’université, il m’est arrivé de
recevoir un étudiant que j’avais collé pour travail insuffisant. Il ne m’avait rendu
aucun travail, aucun exposé, il s’était juste inscrit dans mon cours. Il n’avait
assisté à aucune séance. Et le jour des résultats, il s’est présenté à ma
permanence et me dit, furieux : si vous ne me donnez pas mon examen, je
perds ma bourse. Il n’avait rien fait pour la conserver, sa bourse et il me demandait
de le récompenser par l’inscription sur la liste des reçus.
À cet étudiant qui venait me voir, j’ai
proposé de rattraper le semestre avec un calendrier serré de travaux à
remettre, de lectures et d’exposés. Pendant les vacances. Il a travaillé et a
conservé sa bourse. Déjà à l’époque, je
n’étais plus révolutionnaire, j’étais réformiste.
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