samedi 9 novembre 2019

responsables autant que nous


Discussion serrée sur le film de Costa Gavras Adults in the Room. Sur la question de la responsabilité des citoyens, des habitants. Il semble que certaines catégories d’hommes et de femmes échappent à leur responsabilité individuelle et soient entraînés sans pouvoir réagir vers des comportements discutables. La discussion a eu lieu sur le gilets jaunes : des écarts de langage, des agressions barbares, étaient à mettre sur le compte de situations sociales dramatiques. Ils n’étaient pas vraiment responsables. Et si cette explication cachait un mépris pour ce qu’ils appellent « le peuple » ? 


Par le petit bout de la lorgnette, il me semblait, sous réserve d’examen, que la collecte d’impôt en Grèce était d’une grande inefficacité et que chacun, plus ou moins en fonction de sa place dans la société, profitait de cette aubaine. Depuis les armateurs, beaucoup, jusqu’à l’église orthodoxe, beaucoup aussi et chaque petit commerçant, petit propriétaire, pas beaucoup, mais l’effet masse multipliait les conséquences. Il me semblait, sous réserve d’examen, que la sortie de crise de la Grèce passait par la mise en place d’un système de collecte d’impôt efficace. Mais d’après le film de Costa Gavras, les citoyens grecs échappent à leur propre responsabilité. Personne ne bronche, dans les pays développés, si un individu est puni pour avoir volontairement échappé à sa part de contribution au budget national. On peut demander bien sûr que les plus riches soient plus sévèrement punis, mais que le petit commerçant dissimule ne provoque pas d’indignation dans une société considérée alors comme sous-développée. 


Ainsi va la vie. Une partie de l’humanité est responsable de ses actions. Une autre partie est victime. Et ne mérite aucune responsabilité. Quand l’IRA ou l’ETA prend les armes et terrorise la population qu’ils entendent contrôler, une partie de l’opinion légitime leurs actions par « l’impérialisme britannique » ou l’impérialisme espagnol ou français ». Pour la majorité des citoyens de ces pays, ces actions sont illégitimes, ils vivent dans un pays démocratique où toutes les opinions peuvent s’exprimer et donc les auteurs des attentats doivent être mis hors d’état de nuire, arrêté, jugés, condamnés. 


Mais plus on s’éloigne du centre et moins les citoyens sont responsables. Comme s’ils n’avaient pas droit au statut de responsable. Si des humains des démocraties occidentales prennent les armes, ils provoquent de l’indignation. Dans les anciennes colonies, on couvre ces exactions sous le drapeau des conséquences de la colonisation. Toutes ces guerres interethniques, ces difficultés renouvelées à construire des sociétés où les différences peuvent vivre ensemble sont le résultat du système colonial. Pendant combien de temps encore ?  La guerre civile en Algérie, résultat du colonialisme ? Le maintien du statut de subordination des femmes, résultat du colonialisme ? Enfin, excusez-moi d’insister, mais les délateurs de Juifs sous Vichy, la participation des Polonais ou Ukrainiens à l’élimination des Juifs, sont-ils le fait d’héritiers de l’histoire ou d’acteurs du présent ? Le massacre de trois millions de Cambodgiens par le régime Pol Pot, effet de l’impérialisme français, ou du système des Khmers rouges ?  Quelqu’un doit-il être jugé pour ces massacres ? Le génocide rwandais, est-il uniquement le résultat de la présence française ? Pas de massacreurs hutus ou tutsis ? Et en Birmanie, de quel impérialisme les massacreurs de musulmans sont-ils les héritiers ? Et pendant combien de temps seront-ils des héritiers ? 


Les grandes manifestations populaires de la fin du vingtième siècle ne sont pas des manifestations contre l’impérialisme, contre le colonialisme, contre la mondialisation. Les mouvements populaires en Pologne, en Hongrie, en Roumanie, demandaient la fin des régimes communistes, le retour ou l’installation des protections démocratiques, l’instauration d’un régime de marché concurrentiel, les libertés religieuses et politiques, le droit de voyager, etc. Les manifestations les plus récentes : Hong Kong, Chili, Tunisie, Algérie, Égypte, Haïti, réclament des libertés démocratiques sur le modèle des puissances occidentales, une économie de marché régulé par un état de droit. Pas de manifestation contre l’impérialisme américain, contre le colonialisme européen. 


Le discours qui rend compte de ces mouvements date. La mondialisation n’a pas supprimé le pouvoir du grand capital et des finances. Mais voilà qu’à Hong Kong, les manifestants réclament démocratie politique et économie de marché. Et quand les deux disparaissent, comme au Venezuela, les peuples manifestent contre cette disparition, soit dans les rues de Caracas, soit en émigrant par millions. 


Le discours des révolutionnaires d’aujourd’hui me semble en retard, très en retard, sur ces évolutions.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire