Ateliers de mai. Quelques réflexions proposées par Maurice Goldring. Octobre 2009.
Tout commence avec le regard sur la société où nous vivons. Evitons le catastrophisme. Tout va mal, tout va plus mal. La pauvreté s'accroît, la précarité s'étend, la famine se répand, l'insécurité inquiète. Nous demandons des analyses, pas des gémissements. Dans les pays émergents (Chine, Inde…), la pauvreté recule. En France, les Français sont mieux éduqués, vivent plus longtemps, en meilleure santé, habitent des logements plus spacieux et plus confortables. Le catastrophisme est démobilisateur, il insulte les luttes et les résultats obtenus par les générations successives. Je prends l'exemple du quartier où je vis. Dans la Goutte d'Or dominaient les taudis, les maisons de passe, la saleté. Les maisons insalubres ont été détruites, les maisons de passe ont disparu, une partie de la population a été relogée sur place. Mais parce que la Goutte d'Or est devenu un quartier "normal", les inconvénients qui subsistent ,sont peut-être plus insupportables qu'avant: la drogue, la prostitution visible…
Autre sujet: L'immigration est réduite au trafic des passeurs, aux victimes, à la misère, à la reconduite à la frontière. Mais elle aussi une chance pour des millions d'hommes de mieux vivre, d'abord d'échapper à la famine et aux guerres, elle ouvre de meilleurs perspectives et de nouvelles libertés pour les enfants et pour les femmes, L'immigration est une chance pour le pays mais aussi pour les immigrés.
Cette analyse commande le reste. Si notre société est un machine folle qui se précipite vers l'abîme, il faut sauter du train. Les militants réformistes de gauche ne veulent pas détruire la machine, mais choisir les itinéraires, la vitesse, les objectifs sociaux et environnementaux.
Il y a en France et en Europe une droite et une gauche, une extrême droite et une extrême gauche. Les difficultés, les conflits, les contradictions, ne sont pas plus ardues que dans d'autres périodes historiques. En politique internationale, l'islamisme radical, l'Iran et la Corée du nord ne sont pas plus dangereux que l'Union soviétique de Staline et la Chine de Mao. Les crises économiques sont graves, mais nous en avons connues d'autres aussi sérieuses. Les moyens existent pour surmonter les déséquilibres financiers, économiques, sociaux, climatiques.
La droite considère que les solutions se trouvent dans l'accumulation des pouvoirs des plus puissants et dans la culpabilisation des moins puissants. Ce qui est bon pour le CAC 40 est bon pour le pays et si les pauvres travaillaient davantage, il seraient moins pauvres. L'extrême droite rajoute un adjectif à cette politique: il faut protéger les entreprises françaises et mettre à la porte les pauvres quand ils sont étrangers. L'extrême-gauche considère depuis 1830 que la situation est révolutionnaire. Quand elle ne réussit pas à faire faire la révolution, elle aggrave les conflits et les tensions. Quand elle réussit à faire la révolution, que Dieu protège les peuples.
Face à cette politique particulariste, égoïste, favorisant les plus forts et les mieux nés, il n'est pas étonnant que les réactions soient si souvent corporatistes. Les mouvements d'ensemble dépassant les intérêts particuliers peinent à s'organiser. Selon les circonstances, les quartiers défavorisés vont flamber, les routiers bloquer les dépôts d'essence, les pêcheurs bloquer les ports, les agriculteurs bloquer les grandes surfaces. Dans les entreprises en difficulté, des colères circonscrites obtiennent des compensations. Les indemnités de licenciement sont les parachutes des salariés, un peu moins dorés. Ces mouvements parcellaires sont le miroir d'une politique gouvernementale communautariste. Aux cadeaux fiscaux pour les plus riches, aux avantages accordées aux populations qui vivent dans des quartiers privilégiés, au financement public d'une formation élitiste qui favorise les enfants favorisés répondent des actions parfois violentes de ceux qui sont exclus.
L'urgence pour un parti réformiste de gauche est de dégager les priorités, de construire un intérêt général, de mener un travail d'invention, de réflexion et de pédagogie. La gauche doit avoir l'ambition de construire la paix et la cohésion sociales par la justice, le respect, la solidarité, l'inclusion dans tous les domaines. Quand le quartier, l'école, le travail, dévalorisent l'individu, la reconquête de la dignité perdue se recherche dans le retrait à l'intérieur d'une communauté rêvée oui réelle. Ce retrait résulte de l'humiliation de ne pas pouvoir intervenir dans les mécanismes sociaux qui régissent les destins. L'humiliation d'être à la place que le lieu de naissance, le sexe, l'origine, la couleur de peau, le prénom, vous ont assignée. En l'absence de diplômes ou de salaires on se réfugie dans les valeurs qui vous disent le contraire de votre situation sociale : vous êtes important parce que vous êtes nés là vous êtes nés, vous êtes important parce que vous croyez ce que vous croyez. Ceux qui disposent des ressources matérielles et culturelles qui leur permettent d'intervenir dans leur vie et dans celle de la cité auront tendance à se dégager de leur communauté. Ils auront aussi tendance à admirer les replis sur la nation, sur la classe ou le quartier. Paradoxalement, "aider" les gens à rester chez eux, entre eux, peut contribuer à leur enfermement. On comprend que les privilégiés soient tenté s par cet égoïsme charitable. C'est la garantie que les exclus resteront chez eux et ne viendront pas les concurrencer sur leur terrain.
L'avenir peut prendre les formes du repli, du protectionnisme, des enfermements, des affrontement. Il peut prendre la forme d'un développement solidaire. La ville de Paris conserve un visage humain parce qu'on y construit des logements sociaux. C'est l'intérêt d'une ville dans toutes ses composantes, et les plus riches doivent participer à la solidarité urbaine sous peine de se refermer derrières des gardiennages, des systèmes de sécurité, des barbelés. La sécurité de tous dépend beaucoup plus de solidarités actives que du nombre de policiers.
La notion de solidarité est liée à la nécessité d'ouverture et de développement économique et culturel. La pression est forte pour réserver les ressources à ceux qui vous portent au pouvoir. Dans les quartiers en déshérence, la population en difficulté demande que l'on recrute prioritairement la main d'œuvre locale, qu'on construise des logements prioritairement pour les mal-logés du quartier. Le PS doit affirmer qu'il est de l'avantage de tous, mais d'abord des plus pauvres, de combattre le repli protectionniste. Il est de l'intérêt des plus démunis que viennent s'installer à Barbès des grands magasins comme Virgin ou la Grande Récré. Que là où le protectionnisme et le clientélisme ont joué à plein, comme en Corse, ou longtemps en Irlande, les éléments les plus dynamiques, les plus entreprenants, sont allés chercher ailleurs où employer leur talent et il en est résulté sur place une misère endémique.
Enfin le réformisme de gauche doit défendre la démocratie comme l'une de nos valeurs fondamentales qui nous distingue des extrémismes. Une partie de la société est attirée par des solutions et des modes d'action extrêmes. Il revient aux socialistes de ne pas souffler sur les braises, mais d'intervenir pour qu'émergent des solutions de compromis favorables à la société dans son ensemble. Il faut le dire à chaud, au moment du blocage des facs ou des séquestrations de cadres.
Le réformisme de gauche défend aussi la démocratie à l'échelle internationale. Au plan international Devant les menaces du terrorisme intégriste contre la démocratie occidentale, nous sommes du côté de la démocratie. Nous devrions, mais avons-nous choisi? Au Pays basque, les socialistes se sont alliés à la droite pour lutter contre le terrorisme et défendre la démocratie. Le nouveau dirigeant de la communauté autonome basque est socialiste. Aucun télégramme de félicitation. Sur l'Irak, l'Afghanistan, la Corée du Nord, Cuba, il faut choisir. Sur la construction européenne, il faut choisir. Faut-il mettre ne œuvre le traité de Lisbonne ou le dénoncer? Nul télégramme de félicitation du PS à la gauche réformiste irlandaise qui a contribué au succès du oui au traité de Lisbonne. Le Proche Orient est un autre terrain où le choix est nécessaire. Le Monde a publié un appel à soutenir ensemble la politique de Barak Obama au Proche-Orient. Cet appel est signé par Lionel Jospin, Romano Prodi, Simone Weil, Alain Juppé, Michel Rocard, Jean-François Poncet, Hubert Védrine. Silence sur une initiative qui dérange les simplifications.
Toutes ces idées ne sont ni neuves ni originales. Le PS est inaudible, pas parce qu'il manque d'idées, mais pour des raisons politiques. Un dernier exemple: Sommes nous fiers ou sommes nous honteux que des socialistes dirigent le FMI et l'OMC? Les réponses exigent un choix, un débat qui se conclut par une majorité et une minorité, pas des synthèses floues.
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