Edito alter EGO
Dans les petites unités industrielles, on ne voyait pas les familles qui travaillaient quinze heures par jour, hommes, femmes, enfants à partir de quatre ans. Ils dormaient dans les ateliers, invisibles au passant. Les nécessités techniques requérant de grandes unités, les ouvriers dormant dehors, mourant dehors d'épuisement, sont devenus visibles. Des mesures de réduction des risques ont été prises, sous la pression conjuguée des premières corporations syndicales et des indignations humanitaires : on interdit le travail des enfants, on réduisit les journées de travail, on construisit des logements et des hôpitaux.
Il y eut la misère. Quand elle devint trop visible dans les grandes villes, on décida la combattre en lui déclarant la guerre, en emprisonnant les pauvres dans des prisons ou dans des asiles où ils devaient travailler pour vivre. Sous la pression conjuguée des mouvements sociaux et des organisations philanthropiques, on inventa la protection sociale, les logements accessibles, les écoles gratuites, les assurances sociales, les dispensaires de soins.
Il y eut la drogue. Boire un petit coup c'est agréable. Le gris que l'on prend dans ses doigts et qu'on roule. L'opium se fumait dans des établissements fermés. Le cannabis dans des soirées festives, l'alcool dans les cafés ou dans les salles à manger. Puis des consommateurs qui n'avaient pas de travail et pas de logement se mirent à consommer là où ils pouvaient, dans la rue, dans les couloirs des immeubles, le long des squares, sous les ponts de chemins de fer. Ils devinrent visibles et on déclara la guerre à la drogue.
La drogue devint le lieu de tous les maux, de tous les vices, de toutes les difficultés. Elle envahit tout, détruit et corrompt l'humanité, elle est l'arme principale dirigée contre les sociétés occidentales. On déclara la guerre à la drogue. Les résultats en sont connus. des milliards dépensés en vain, la vente et la consommation ne cessent d'augmenter.
Il n'y a pas la drogue, il y a des drogues, et surtout il y a des comportements, des situations, des précarités, des misères, où les drogues jouent un rôle, mais rarement le rôle principal. Les résultats de la réduction des risques sont connus, il y a moins de morts, moins de maladies. Ils ne font pas disparaître les nombreux, les innombrables, les toujours renouvelés, facteurs qui conduisent à la consommation. Chaque fois qu'une mesure de réduction des risques nouvelle apparaît, hier la distribution de seringues, aujourd'hui les salles de consommation, les pouvoirs publics et l'opinion demandent à ceux qui la mettent en place de trouver aux consommateurs une santé, un logement, un emploi et une famille. Ceux qui sont aux premières lignes sont soumis à cette énorme pression et ils fatiguent parfois de ne pas pouvoir toujours transformer l'enfer en paradis.
Quand les misères, les douleurs, les souffrances, les d'angoisses, les précarités auront disparu, il n'y aura plus de drogue. Effectivement, on consomme moins au Père Lachaise que dans les squats.
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