jeudi 2 avril 2015

Julien

    Il est des domaines où l’accumulation ne monte pas. Les années tassent. Les kilos aplatissent. Julien a longtemps cru aux théories du progrès. Les humains travaillent, inventent, expérimentent, accumulent des savoirs, des compétences, écrasent l’infâme, et les flammes tremblantes deviennent des nappes de lumière. Erreur. S’il est un domaine où les expériences ne s’ajoutent pas, c’est celui de la politique. En science, les limites reculent. Les vies s’allongent, les maladies se guérissent. Qu’avons-nous appris dans le gouvernement de la cité ? Voici que des millions, des centaines de millions d’êtres humains, ont partagé la même expérience que Julien : les guerres, les massacres, les dictatures, le nazisme, le communisme, les famines, les déportations. Tous ont vécu ces expériences, les ont archivées, résumées dans des manuels scolaires, revues dans les documentaires, chantées dans des hymnes, des cantiques, des rebellions. Ayant partagé la même histoire, on pourrait croire que les conclusions se partagent. Non. Pas du tout. Julien a l’âge qu’il a et en a tiré des idées qu’il croit évidentes. En face de lui, Germain a le même âge, la même histoire, et il en tire d’autres idées qu’il croit non moins évidentes. Les guerres de religion n’empêchent pas les guerres de religion.

         Un protestant survivant des massacres de la Saint-Barthélemy montre ses plaies dans les écoles. Il dit aux enfants effarés que l’Edit de Nantes a permis d’éviter d’autres massacres. Il interdit de massacrer le voisin parce qu’il appartient à une autre religion. Ou à pas de religion. Les enfants racontent le récit des survivants à leurs parents qui leur disent parfois que les massacres ont été beaucoup exagérés, que les protestants l’ont un peu cherché par leur arrogance et leur mépris des catholiques. Puis d’autres religions prennent la place des protestants et des catholiques, des Juifs, des musulmans, des bouddhistes,  des évangélistes, des athées, des communistes, des animistes, des scientistes et chaque fois le combat de l’Edit de Nantes doit être recommencé.


         Julien ne croit plus en une histoire qui serait une longue montée vers la lumière, vers les lendemains musiciens, vers un avenir électrique, vers des pulsions de mort qui se dissoudraient dans les océans de vertu. Il n’arrive pas malgré tout à renoncer à son expérience, à ses connaissances accumulées, comme si elles ne servaient à rien. Peu de gens l’écoutent, et il persiste à parler, peu de gens le lisent et il persiste à écrire. 

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