La Cinquième Conférence Latine pour la Réduction des Risques (CLAT 5) s'ouvre à Porto le mercredi 1 juillet 2009 par une conférence en anglais du sociologue Loïc Wacquant, un disciple de Bourdieu, sur le rôle de l’État dans la réduction des risques. Il explique le rôle central de l’État dans la pauvreté, la précarité, les addictions. L’État n’est pas une ambulance, mais un agent actif de la précarité qui conduit à toutes les pathologies sociales et individuelles. L’État néo-libéral est au service du capital financier, il privatise la santé et l’éducation, détruit les protections sociales, accroît ainsi la vulnérabilité de la main d’œuvre et affaiblit les modes de résistance et de luttes. . Il criminalise ceux qu'il a enfermés dans la pauvreté. Il les traque, les emprisonne. Il les oblige par cette répression grandissante et permanente à accepter les pires conditions de travail. Ceux qui refusent, ceux qui se rebellent, en se réfugiant dans la délinquance, le trafic de drogue, les émeutes urbaines, le refus des règles, le squat, l'errance, sont punis pour en faire des employés dociles. L'État crée la délinquance, la toxicomanie, les dépendances et les criminalise comme on criminalisait jadis la pauvreté et le vagabondage. C’est ainsi qu’on est passé dans les grands pays capitalistes du welfare state au workfare state.
Les conclusions sont accueillies par des applaudissements polis et j’entends autour de moi des remarques qui semblent indiquer que l’orateur n’a pas convaincu toute l’assistance. Nombre de mes voisins partagent mon embarras. Embarras sur le caractère éternel d’une dénonciation qui prend mal en compte les changements. Hier, le welfare state était dénoncé par des penseurs radicaux pour deux raisons principales : Le système permettait de financer les revenus du travail par les fonds publics et réduisait la part du capital consacré aux salaires. Deuxièmement, il développait des modes de contrôle social qui entravaient et affaiblissaient les luttes ouvrières. Aujourd’hui, les héritiers de ces penseurs radicaux critiquent l’état néo-libéral parce qu’il détruit ce qu’ils vilipendaient hier avec les mêmes mots.
Le conférencier s’adresse à un public composé majoritairement de travailleurs sociaux, de responsables associatifs, des chercheurs en sciences sociales, d’élus responsables de la lutte contre les pathologies addictives, des gens qui sont payés ou soutenus par leur état respectif pour leurs compétences, leur temps de travail, leurs recherches dans le combat pour la réduction des risques. Il s’adresse à des gens qui se battent, qui obtiennent des résultats dans le domaine de la réduction des risques et il leur dit que le Léviathan étatique réduit leurs efforts à néant alors que c’est dans les pays occidentaux les plus avancés que la réduction des risques se développe le plus. N’est-ce pas aujourd’hui dans les pays les plus vivement dénoncés par le conférencier qu’on résiste le mieux et le plus efficacement à la criminalisation de la pauvreté et des addictions ? Quels sont les cinquante états où l’usage et le trafic de drogue sont punis de mort. Les états les plus développés ?
Après la conférence, je me suis approché de Loïc Wacquant, je me suis présenté et je lui ai posé cette question : « si vous êtes usager de drogue et que vous avez le choix de la résidence, quel lieu et quel pays choisiriez-vous ? La Corée du Nord, Cuba, l’Arabie Saoudite, la Chine, le Soudan, la Russie ou la Goutte d'Or ? ». Il m’a répondu sans hésiter : la Goutte d'Or, bien sûr. Une telle réponse aurait pu introduire une passionnante réflexion sur l’État et la réduction des risques. C’eût été une autre conférence.
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