vendredi 4 septembre 2009

orléans tours

Orléans Tours lundi 31 août 2009


Brigitte pleure comme chaque fois que la randonnée se termine parce qu'une randonnée, dit-elle, c'est quelque chose de fort et chaque fois qu'une randonnée se termine, elle pleure la fin d'une randonnée. Elle ne pleure pas pour une raison précise. Comme la randonnée de Biarritz au Fouilloux où elle a appris que son frère Pierre était atteint d'un cancer à l'estomac. Elle pourrait pleurer pour le cancer de Danièle. Ces nouvelles font partie des randonnées comme elles font partie de la vie. Non. Elle pleure pour rien d'autre que la fin de la randonnée. Comme les ados pleurent à la fin d'une colonie de vacances. Je lui dis qu'elle est sentimentale. Elle dit non, qu'elle n'est pas sentimentale, mais que la randonnée, c'est quelque chose de spécial, rien qu'à nous deux et qu'après et avant une randonnée, il y a plein de plaisirs partagés, alors que la randonnée, ce n'est pas un plaisir partagé, c'est un plaisir à nous. que nous deux. Isolés. égoïstement. La piste est loin du monde. loin des villes. loin de la campagne. pas d'estaminet, pas de marchands de journaux, pas de radio, pas de télévision, nous ne croisons personne. Nous sommes deux seuls.

Deux seuls, tout seuls, nous prenons le métro Château Rouge direction gare de l'Est, puis ligne Porte d'Italie. Seuls, nous descendons Gare d'Austerlitz. La salle des billets est déserte et nous allons directement acheter deux allers Paris Orléans à 15 heures 48. Tarif senior. Nous avons une heure d'avance. Nous nous installons à la terrasse déserte d'un café, Brigitte commande un Nestea, un énorme verre de 35 centilitres, moi un café comme d'habitude. Je lis pour la dernière fois le Monde, Brigitte lit le supplément hebdomadaire consacré la semaine dernière à l'érection masculine et cette semaine aux personnages du film de Jacques Audiard, le Prophète. Comme nous avons vu le film hier soir samedi, ça tombe bien, les personnages sont encore frais dans notre mémoire parfois défaillante et nous pouvons en parler calmement, sans tension portant sur l'absence ou la présence d'un détail vestimentaire ou psychologique. Le train est annoncé à quai avec quarante minutes d'avance, nous terminons tranquillement café et Nestea en lisant qui le Monde qui le supplément, nous savons que pendant la semaine qui vient, nous ne lirons plus la presse, peut-être la trouverons nous, mais rarement, car dans les petites villes traversées, la presse nationale est rare sur les présentoirs. Même si nous l'achetons, ce qui arrive, entre la fatigue de la randonnée et les visites obligatoires aux monuments imposés, il ne reste plus de temps pour lire. Brigitte a faim, elle va acheter un croissant et mange son croissant en terminant la lecture du supplément. Nous prenons les valises roulantes par la poignée, plus un sac piquenique, et nous dirigeons vers le numéro du quai qui s'est affiché sur le tableau des horaires. Le quai n°17 ou 18. Un contrôleur conseille à Brigitte qui a encore quelques miettes du croissant sur son blouson, je lui fais remarquer, amicalement, avec tendresse même et elle ne m'en veut pas, car souvent elle me signale sur ma tenue tel ou tel morceau de viande ou une miette de biscotte ou une salade qui se colle et ce sont des services que nous nous rendons mutuellement depuis des années sans que ces remarques puissent être assimilées à des remontrances ou à des récriminations dont nous avons souvent été témoins dans les trajets Paris Biarritz surtout dans les wagons des seconde classe, parce qu'en première, les couples se haïssent autant qu'en seconde, mais le patrimoine les empêche de récriminer; la conseille sur le wagon qui se trouvera face au train de correspondance.

Le train est Corail, un TER intercity, avec des compartiments de six places. Nous choisissons un compartiment vide, mais un jeune homme viendra s'y installer, puis un autre. Des intrus. Nous disposons les valises et les sacs après être passés sans regret devant les wagons où s'accrochent les vélos, il faut grimper des marches, je ne vous dis pas. Le jeune homme colle son oreille à un téléphone portable. Allo maman, ne t'en fais ça ira, je ne prends pas de risque. Tout ira bien. J'ai pris toutes mes précautions. Au début, je croyais que c'était le fils de Ma Baker ou de Ma Dalton qui allait braquer une banque à Orléans, quelle idée de prendre le train pour un braquage de banque, à Orléans en plus et un dimanche où les banques sont toutes fermées. Puis, en écoutant, oui j'ai écouté, mais c'était à lui d'aller téléphoner dans le couloir et pas à moi à sortir pour ne pas entendre sa conversation, ce serait le monde à l'envers, non? Donc j'ai entendu qu'il avait perdu tous ses papiers, carte d'identité, carnet de chèques, tout. Non, pas volé. Perdu. Avec son billet de train. Perdu carte bleu aussi. Il n'a pas pu acheter son billet. Il lui fallait payer soit en liquide, soit par chèque soit par carte bleu. Trois modes de paiement. Il n'avait pas de liquide et n'a pas pu en retirer car il n'avait pas de carte bleu et au guichet de sa banque, on lui a dit qu'il fallait, pour qu'il retire de l'argent, un carnet de chèque et un papier d'identité. La déclaration de perte qu'il avait faite au commissariat ne valait pas document officiel. Non, il ne va pas prévenir les contrôleurs, car s'il les prévient avant le départ du train, maman, ils vont me faire descendre et je n'ai pas envie de passer une nuit de plus à Paris. Je vais attendre que le train ait démarré et ensuite j'irai les voir, ils ne sont pas loin. De ne pas avoir pris nos vélos personnels, d'attendre l'hôtel d'Orléans pour monter en selle nous éloigne peut-être du vélo et nous rapproche de récits non cyclistes. Je ne risque rien , maman, au pire, une amende. Je vais raccrocher,, maman, je n'ai presque plus d'unités. Si tu veux tu me rappelles. D'ordinaire, dans un train, quand quelqu'un passe du temps au téléphone, je fais remarquer le logo portable endormi ronfleur alors que dans le couloir, le logo est un portable aimable qui pète le feu en souriant. Tout le monde comprend, non, ou devrait comprendre. Mais en entendant ce pauvre jeune homme qui avait perdu tous ses papiers confier le récit de ses épreuves à sa maman, quand on a perdu ses papiers, à qui on téléphone, hein, on téléphone à sa maman, là il n'y a plus de copains qui vaille. Donc en entendant ce récit tragique, je n'ai pas eu le cœur et je l'ai laissé terminer, en me disant si sa mère rappelle, alors là oui, je lui montrerai le logo, mais la mère n'a pas rappelé, elle est peut-être près de ses sous. Le jeune homme d'à côté a passé les trois quarts d'heure du trajet à pianoter des SMS ou c'était peut-être un jeu, je n'ai pas pu voir. Dehors, le paysage était plat, des grands champs de céréales. Aux Aubrais, nous prenons la micheline dix minutes, nous sommes au centre d'Orléans et un taxi.nous emporte vers un hôtel en bord de Loire ou une hôtesse rayonnante nous accueille. Nous reprenons le vélo pour visiter la ville qui contient surtout la statue de Jeanne d'Arc et une cathédrale dont les deux tours se terminent en couronnes. Dîner, coucher tôt, déjeuner, en route le long de la Loire dont les chemins dans l'ensemble sont plutôt confortables. Nous croisons de promeneurs, des coureurs, des marcheurs, quelques cyclistes, peu de randonneurs. Meung sur Loire est lourd d'histoire et de passé. Beaugency aussi. Le château de Dunant, lieutenant de Jeanne d'Arc, est fermé pour travaux de rénovation. Nous nous promenons dans les rues de la ville, des rues pavées très anciennes qui nous arrachent des cris d'admiration. Le soir, une pute épouse un milliardaire.

Au départ de Beaugency, il pleut. Nous partons malgré le mauvais temps parce que nous sommes attendus à Blois. Enfin, attendus, c'est une façon de parler, je vue dire qu'une chambre d'hôtel a été retenue à Blois. Le chemin de Beaugency à Blois est superbe. Vue sur la Loire, sur des petits villages, sur des champs de mais, sur des vignobles. Il n'y a personne d'autre que nous dans les forêts traversées, sur la chaussée goudronnée ou les chemins de terre. Il pleut. La pluie de bruine. Qui pénètre. Qui monte par capillarité. Qui mouille partout. D'abord les genoux, puis l'humidité monte et envahit les poches de devant, l'intérieur des sacoches, l'intérieur du contenu des poches, les billets de banque s'alanguissent, l'humidité efface le montant en francs et en euros des tickets de carte bleu, la ceinture trop serrée n'empêche pas le flot de monter jusqu'aux épaules. Mais on s'en fout parce qu'il ne fait pas froid et qu'une douche habillée reste une douche. Ensuite, dès que la pluie cesse, en été, le soleil et le vent font merveille et en quelques minutes, tout est sec, sauf les reçus de carte de bleu et les billets de banque qui ont du mal à retrouver leur consistance normale. J'oubliais le mouchoir en papier qui est devenue une boule informe de cellulose mal digérée, mais le mouchoir n'importe, car on le jette alors que les billets de banque, même humides, même avachis permettent d'acheter des chemises ou des lunettes de soleil puisque je profite de l'occasion pour annoncer ici que j'ai oublié de mettre dans la valise à roulettes des chemises à manche courte et une paire de lunettes de soleil et donc que j'ai acheté des lunettes de soleil à Beaugency et des chemises à manche courte à Blois. Cet oubli m'inquiète. Est-ce l'âge? C'est le premier voyage où j'oublie l'essentiel, c'est à dire une paire de lunettes de soleil et des chemises de rechange. Est-ce la bruine du temps qui passe, les secondes qui tombent drues qui ont fini par pénétrer les cellules du cerveau et seraient-elles dans le même état qui mes reçus de carte bleu et mes billets de banque, dont le reçu des lunettes de soleil achetées à Beaugency, pas celui des chemisettes de Blois puisque je ne les avais pas encore achetées. Je rentre dans la boutique, puis-je vous aider, je voudrais des chemisettes à manches courtes, la vendeuse me toise, littéralement, comme une toise et me dit « il ne nous reste pas grand chose en XXL. Elle ne m'a pas demandé quelle taille. Elle m'a imposé ma taille. XXL, c'était à moi de le dire. Pas à elle. J'achète deux chemisettes, une grise et une blanche à motifs, et le reçu de la carte bleu va se blottir contre les autres reçus pendouillant de pluie et à son tour se pénètre des gouttes du Loir et Cher. Quand Brigitte arrive, je suis en train de payer et elle regarde la chemisette grise sans dire un mot.

De Beaugency à Blois en passant par Chambord. Étape obligatoire. S'il n'y a le temps que pour une château, Chambord s'impose. Les escaliers à double hélice. Les tourelles, le parc. Déjeuner dans le parc. Vélo jusqu'à Blois, achat des chemisettes, pluie, château de Blois, fermé à six heures, mais nous en voyons assez pour retrouver le style renaissance, avec des escaliers en colimaçon mais pas de double révolution comme à Chambord, irremplaçable. Les rues historiques, dîner au Monarque. Les habitants de Blois sont des blésiens. Les habitants de Tours étaient des turons et des turones, mais désormais ils s'appellent comme les habitants de Touraine, les tourangeaux et les tourangelles.

De Blois à Amboise, la piste quitte souvent la Loire pour s'égarer dans les collines de vignoble d'un raisin très noir, qui pend en bas de la pousse et dont la couleur se confond souvent avec le noir de la terre, le noir du sol, et nous nous arrêtons plusieurs fois pour vérifier que des raisins il y a, car si des raisins il n'y a pas, à quoi bon appeler cette route route des vignobles et grimper des côtes dont on pourrait franchement se passer en l'absence de raisins. Le temps est variable, des nuages, quelques gouttes, des éclaircies, la piste est bonne souvent goudronnée et bien signalisée. Heureusement, parce qu'il n'y a personne dans les champs ni dans les vignes ni nulle part, parois nous voyons une vache, un lapin, une biche, un chat qui traverse la route plus nous deux et des fils électriques qui indiquent un pays développé ainsi que des cuves de purification de l'eau sale, de la merde en centrifugeuse prise dans de gros bouillons, mais tout est automatisée et aucune présence humaine ne justifierait de se perdre, de s'arrêter pour demander notre chemin. Pas d'estaminets, bien entendu, pas de restaurant, et quand nous arrivons à Amboise, le premier restaurant qui passe devant nos yeux déclare que l'heure du dernier service est dépassée et le patron, après nous avoir regardé, a jugé que nous pouvions attendre un peu, que deux heures et demie, ce n'est quand même pas la catastrophe alimentaire du siècle. A-t-il pensé. Mais quand même. Même regard, même commentaire silencieux d'une serveuse qui nous laisse utiliser les toilettes sans consommer « vous n'avez pas besoin de consommer vous pouvez utiliser les toilettes », une gentillesse qui nous redonne de l'énergie pour emprunter une rue semi piétonne, est-ce la rue Louis XII? Une rue Joyeuse, je me rappelle, une rue Jean-Jacques Rousseau, et toutes ces rues qui portent des noms de rois guillotinés à cause de l'auteur du Contrat social. Sur la terrasse de la brasserie qui n'avait de brasserie que le nom puisque le service n'y était pas continu, nous nous rappelons brusquement, en même temps, que lors de notre première randonnée ensemble, nous nous étions arrêtés à Amboise, près d'une tour historique, et nous avons ensuite continué vers Poitiers, mais là, nous avions pris un demi panaché, peut-être, ou un chocolat chaud, et nous avions glissé la roue avant du vélo dans la même grille à vélo qui il y a dix ans était neuve et aujourd'hui rouillée, nous n'avions pas pris la rue qui menait au château d'Amboise et c'est dommage, car le château de l'extérieur est vraiment impressionnant et plusieurs restaurants profitent de la foule de touristes japonais, britanniques, allemands, italiens, pour restaurer sans arrêt de dix heures à vingt-deux heures et nous prenons un complète et une médicis, la crêpe des assassins de protestants. Les appareils numériques permettent aux Japonais de prendre des photos de mitrailler, les cartes comprennent dix mille photos peut-être et ils mitraillent et ensuite ils montrent leurs victimes sur l'écran. La fatigue s'installe, hôtel, nous nous endormons devant Nestor Burma et il est trop tard pour visiter le château d'Amboise, nous irons demain. Le soir, Mao prend le pouvoir en Chine. Nestor Burma joue du saxophone après avoir résolu une énigme policière complexe.

Amboise Tours. La piste est belle, le vent souffle. Nous avons visité le château d'Amboise avant de prendre la route, la guide est enrouée, mais pédagogue, compétente, nous apprenons plein de choses sur l'histoire de France, sur la famille royale, sur Léonard de Vinci qui est enterré ici, sur Abd el Kader. Tours est notre dernière étape et Brigitte se prépare à pleurer, mais elle ne pleure pas encore, elle pleure quand on arrive au dernier hôtel de la dernière étape, elle pleure de la fin de la randonnée et j'ai beau lui dire qu'il y aura d'autres randonnées, peut-être la traversée du désert de Gobi, elle me dit que ces futures randonnées ne l'empêcheront pas de pleurer. La cathédrale de Tours. Les rues piétonnes, les cyclistes. Nous achetons les billets à la gare de Tours, nous calculons le temps qu'il nous faut pour aller de l'hôtel à la gare, nous rendons nos vélos sans remords ni regrets, nous pensons à la prochaine randonnée qui doit être inédite, Brigitte remplit le questionnaire de satisfaction et refuse, dans la colonne suggestions, d'organiser une randonnée dans le désert de Gobi, la perspective d'une telle traversées s'estompe, car ce n'est quand même pas dans vingt ans que je traverserai le désert de Gobi. Ni même dans dix ans, ni même l'année prochaine. C'est la rentrée des classes les jeunes filles en fleurs discutent des qualités de leurs enseignants, surtout de leurs enseignantes, et elles téléphonent dans leur portable, le cauchemar des profs, paraît-il. Un couple se dispute tout bas. Comment s'appellent les habitants de Tours? Les Tourangeaux. Bien. Mais les habitants de la Touraine se nomment aussi les tourangeaux. N'y a-t-il pas confusion possible? Le directeur de l'hôtel l'admet.

Tout est tellement bien organisé que rien à raconter il ne reste. Randonnesquement. Il reste les relations entre nous, qui sont tellement régulièrement dans la colonne de satisfaction très bien, que là non plus, il ne reste rien à raconter encore que disséquer le bonheur ça ferait peut-être un malheur. Il reste à imaginer les romans des personnes croisées à la terrasse d'un café, d'une mère seule en décolleté avec une petite fille qui pleure, imaginer pourquoi la fille pleure et pourquoi une mère sort en décolleté. Il reste à imaginer pourquoi Brigitte pleure à la fin des randonnées.

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