vendredi 25 décembre 2009

même pas peur

Cher Stéphane, j'espère que nous nous verrons bientôt. En attendant, comme la discussion qui a commencé sur un ton de dérision devient plus sérieuse, je veux te donner mon sentiment sur la question de l'Islam en France.

Dans les pays que je connais, les démocraties occidentales se créent avec une grande régularité de grandes peurs à l'égard d'une partie de la population. Dans l'Angleterre du 19ème siècle, ce fut la peur des catholiques irlandais. Leur religion, leurs mœurs, leur refus de la laïcité et du système démocratique les rendaient inassimilables. Dans la France du début vingtième, la grande peur se porta sur les Juifs. Leur religion, leurs mœurs, leur refus du modernisme, les rendaient inassimilables. Dans la France du XXIème siècle, la grande peur se porte sur les musulmans. Leur religion, leurs mœurs, leur refus de la laïcité et du système démocratiques les rendent inassimilables. Cette grande peur a des effets, dans le domaine de l'emploi, de l'habitat, des contrôles dans les lieux publics, des remarques, des regards. Cette grande peur doit être combattue car elle est porteuse de guerre civile et de clivages. Qui ne voit chaque jour des stigmatisations insupportables pour les intéressés, le voile, la burqua, les minarets sont autant d'occasions non pas de trouver des solutions à des difficultés réelles, mais à porter un jugement d'ensemble sur les Arabes et la religion que pratiquent assidûment une minorité d'entre eux?
Quand j'énonce des principes généraux, on me dit, c'est bien beau, mais tu n'as pas à affronter toutes les agressions contre la république et la laïcité. Le hasard m'a fait habiter rue Polonceau, où tous les vendredi la rue est occupée par des musulmans qui prient sur des tapis. L'espace ainsi pris par les fidèles va jusqu'au sommet de la rue, et parfois dépasse le 38 où j'habite. Généralement, les responsables de la mosquée préservent un passage pour les habitants. Il est arrivé (une fois) que ce passage n'ait pas été aménagé. Je me suis avancé en disant que j'habitais plus haut, et qu'il fallait me laisser passer. On m'a dit que je pouvais passer à condition d'enlever mes chaussures. Que je ne pouvais pas marcher sur les tapis. J'ai dit une première fois doucement que la rue était un espace public et que j'avais le droit de passage, et que s'il vous plaît, laissez-moi passer, et qu'il n'était question une seule seconde que j'enlève mes chaussures. On m'a dit de me taire. J'ai dit plus fort que j'avais le droit de parler dans un espace public et que la République leur donnait le droit de prier et à moi le droit de passer sans me déchausser et de parler dans la rue. J'ai ainsi fait un cours sur la laïcité, de plus en plus fort, jusqu'à ce que des membres de la sécurité arrivent et demandent aux fidèles de se pousser pour qu'ils puissent replier les tapis et ainsi me laisser passer. Je connais beaucoup de gens à qui il est arrivé la même histoire et qui n'ont pas osé demander le droit de passage. Mais ils ont ensuite raconté l'anecdote pour prouver que les musulmans ne pouvaient pas être intégrés dans la république. Quelle est la différence entre eux et moi? C'est qu'ils avaient peur et que moi je n'avais pas peur. Ces gens ne me faisaient pas peur. Je me suis adressé à eux comme à des citoyens et en tant que citoyen, et ils ont fini par comprendre, par relever le tapis et me laisser passer.
Ce qui fait le fond de commerce du front national, d'une droite agressive et raciste, ce n'est pas le racisme, c'est la peur. De ce point de vue, l'anecdote que tu racontes, d'un cinéaste qui voulait filmer les gens en prière et s'est fait insulter et menacer, cette anecdote me semble tout à fait extraordinaire. Tu as le vendredi des fidèles dont la mosquée est trop petite pour les contenir tous, qui doivent prier dans la rue ( tu penses vraiment que c'est pour attaquer la république qu'ils prient dans le froid et sous la pluie?) et quelqu'un passe et veut les filmer. Mais si tu veux, tu me présentes ton cinéaste et je lui explique que pour filmer les gens, souvent ça aide de leur demander s'ils ont d'accord. Je connais des cinéastes et des photographes qui sont allés voir les responsables de la mosquée pour leur demander de pouvoir filmer et photographier les prières dans la rue. N'importe quel étudiant de premières année en anthropologie est au courant. Mais ton cinéaste, que voulait-il, faire un film ou prouver qu'on a raison d'avoir peur des Arabes?

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