dimanche 8 avril 2012

fiction

Pour créer des personnages de fiction, il faut des compétences, une générosité, qui ne sont pas miennes. Quand j'imagine, j'imagine bien ce qu'a été la réalité, j'imagine mal ce qui ne s'est jamais passé. Je suis capable de lire le Petit chaperon rouge en mettant le ton, mais imaginer qu'une petite fille transporte la galette pour la porter à sa grand-mère en traversant une sombre forêt, et qu'ensuite un loup aux grandes dents prenne la place de sa grand-mère et que la petite fille ne la reconnaisse pas, est au dessus de mes forces. Jean Valjean qui passe toute sa vie à se sacrifier pour Cosette sans jamais éprouver de désir pour elle est inimaginable. Je ne pourrais pas l'imaginer. Pas plus tard qu'hier, dans le métro, j'étais assis auprès de ma blonde, avec ma canne. C'était l'heure de pointe. Une dame entre dans le wagon avec un enfant d'un an environ dans les bras. Tout autour, de solides garçons et de robustes jeunes filles étaient assis et regardaient la mère et l'enfant le regard vide et le cœur sec. J'ai attendu trente secondes et je me suis levé en m'appuyant avec ma canne, et j'ai laissé ma place à côté de ma blonde. Je sais bien pourquoi je l'ai fait. Le panache. Un vieux monsieur avec une canne qui laisse sa place à une ravissante mère de famille africaine qui n'arrêtait pas de me dire merci, je me rengorgeais. Je bichais. Les jeunes assis se sont rendus compte, évidemment, et ils se sont levés pour me laisser la place. Trop tard, je leur ai dit, c'était pour la dame avec son bébé qu'il fallait se lever. Ensuite la dame avec le bébé est descendu et m'a rendu ma place et j'ai dit à ma blonde: je suis Jean Valjean, sauf, que moi, je sauterais Cosette. Je lui ai dit, vous pouvez lui demander,  Si je ne l'avais pas dit, si je ne l'avais pas fait, je suis certain que j'aurais été incapable d'imaginer la scène. Conclusion: pour que j'écrive des romans, il faut que mes journées soient des scènes de romans que je peux le lendemain raconter. Si je passais seize heures par jour devant un écran pour écrire, je n'écrirais rien. L'inconvénient, c'est qu'il faut trouver le temps. Le temps de vivre le roman et le temps de l'écrire. Certains vivent leur vie comme un roman et l'écrivent la nuit. Je dors six à huit heures par nuit, c'est trop.

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