lundi 5 mai 2014

irlande

Gerry Adams a été rattrapé par l’un des meurtres les plus abominables de la période dite des « troubles » en Irlande du Nord. Jean Conville, veuve et mère de dix enfants a été abattue par l’IRA qui la soupçonnait d’être une informatrice à la solde des Britanniques parce qu’elle avait soigné un soldat anglais blessé, à la porte de son domicile. La guerre est terminée depuis 1998 mais elle laisse de graves séquelles, qui se révèlent dans les recherches historiques, dans les interminables procès comme celui de Bloody Sunday. Pourquoi Gerry Adams est-il ainsi convoqué pour une affaire qui remonte à plus de quarante ans ? Le cessez-le-feu n’était-il pas fondé sur l’amnistie et la libération de tous les protagonistes ? Ou bien certaines atrocités ne souffrent-elles pas d’être prescrites ?

Ce qui se passe sous nos yeux n’est pas un épisode d’un feuilleton policier sur les affaires classées. C’est une affaire politique. Pour tenter de comprendre, il faut remonter aux origines du conflit. En 1969, le mouvement pour des droits civiques nord-irlandais demandait la fin des discriminations que subissaient les catholiques. C’était un mouvement pacifique, qui demandait l’intégration d’une minorité discriminée dans la démocratie britannique. Pour les républicains, ces revendications étaient trahison des idéaux des ancêtres qui demandaient réunification de l’île et le départ des Britanniques. Par des actions militaires ciblant les policiers et les soldats, l’IRA  recréa le conflit militaire éternel et la province s’enfonça dans trente ans de guerre civile. Trente ans plus tard, 3500 morts plus tard, des milliers d’années de prison plus tard, aucun des objectifs affirmés n’était atteint et la guerre s’est arrêtée. Une minorité de républicains se rappelaient les engagements fondamentaux et clamaient que 3500 morts pour une voiture de fonction était un coût exorbitant.  

Les dirigeants républicains sont pris dans cette contradiction. Pour justifier le cessez-le-feu, il faut reconnaitre que la voie de la lutte armée fut une tragique erreur. S’ils poussent la réflexion jusqu’au bout, ils verront que les revendications autonomistes sont les plus avancées là où le mouvement  national a refusé le recours à la violence armée, au Quebec, en Ecosse, en Catalogne.  Ils doivent alors admettre que toutes les victimes étaient « innocentes », tous les assassinats étaient dramatiques, toutes les prisons des temples de l’inutile.

Parmi les dirigeants républicains, très peu ont eu ce courage. Ceux qui l’ont eu ont été dénoncés comme des traîtres, des repentis. Ils ne sont guère écoutés. Allez dire aux familles des morts, des emprisonnés, que toutes les grèves de la faim, les milliers d’années perdues dans les cellules de Long Kesh, les années de cavale, que tout ça n’était pour rien.

Contrairement donc à ce qui apparaît  l’affaire de Jean Conville ne révèle pas un  jugement négatif sur les années de plomb. Jamais Gerry Adams n’a exprimé aucun regret sur le choix tragique de la violence armée. L’affaire Jean Conville le confirme. Si certains assassinats sont particulièrement abominables, c’est parce que la plupart des exécutions ne l’étaient pas.


Maurice Goldring professeur en études irlandaises. Auteur de l’Irlande, histoire, société, culture, éditions La découverte.

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