samedi 9 mai 2015

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Pour Clémentine Autain, membre de Front de gauche, la comparaison de François Hollande entre le FN et le PCF est une attaque contre tous les tenants d’une « gauche de transformation sociale » (le monde, 23 avril 2015). Elle a raison. L’histoire de la gauche radicale oscille entre deux pôles : ou bien elle se maintient dans une opposition vociférante contre les injustices ou bien elle s’allie à d’autres courants réformistes pour gouverner. Clémentine Autain fut un temps composante d’une majorité de gauche à Paris conduite par Bertrand Delanoë, mais elle n’a pas supporté la patience des réformes, elle a rompu pour être minorité d’une minorité d’un Front de gauche. Elle a conservé de forts liens avec les catégories populaires puisque partout où elle se présente, elle obtient un score qui s’arrête généralement au tout début des nombres premiers.

Partout où le réformisme est parvenue au pouvoir, les gauches de « transformation sociale » deviennent des machines à détruire. Rien ne trouve grâce à leurs yeux. Blum, Jospin, Mitterrand, Brandt, Zapatero, Lula, citez-moi une décision que vous estimez positive. Aucune. Jamais. Quand la gauche radicale gouverne, qu’elle détruit l’avenir, clive la société, réduit les libertés, elle trouve des soutiens résolus. La révolution culturelle de Mao était un mouvement populaire. Le front de gauche trouve spontanément, facilement, des mesures louables chez Mugabe, Chavez, Castro. Chez Mandela et Blair, jamais. On tape, on creuse, on détruit et les gravats du bulldozer valent programme.

Dans l’entreprise de démolition, la manifestation du 11 janvier 2015, après les massacres de Charlie Hebdo et du magasin kasher, est un obstacle de taille. La France dont rêve la gauche était dans la rue, sans le Front national, qui manifestait sur une placette de province, et avec Nicolas Sarkozy qui tentait de se faufiler au premier rang à coup d’épaulettes. Ça ne dure pas longtemps, mais le temps que ça dure, il faut prendre. Qui tient ce plaisir immense pour un flash totalitaire, qui analyse cette manifestation comme une manifestation d’exclusion des catégories populaires et des immigrés, qui ravale ses émotions et ses enthousiasmes sous une cartographie dérisoire, celui-là se prive d’un rare moment où l’on peut à la fois comprendre et participer.

Je n’avais pas besoin des cartes d’Emmanuel Todd pour constater qui était présent et qui était absent. Quand des manifestations syndicales rassemblent cent ou deux cent mille manifestants, Todd ne fait pas de cartes pour étudier qui est présent et qui est absent. Pourtant, ce sont des manifestations qui crient les mêmes slogans, sur la trahison des couches populaires par le parti socialiste. Ces discussions ne sont pas neuves. Elles ont opposé Jaurès et Guesde sur l’affaire Dreyfus. Elles ont opposé suffragettes et syndicalistes pour qui la revendication du droit de vote était une revendication des femmes de la bourgeoisie. Les révolutionnaires refusent les réformes parce que dans une société divisée en intérêts opposés, elles profitent d’abord aux plus favorisés. Ils disent que la démocratie est un luxe de riches. Que la laïcité est un privilège de privilégiés. Que les libertés occidentales sont des illusions, des dictatures déguisées. Ils disent qu’il faut admettre, comprendre, les préjugés, les haines des étrangers, les engagements religieux, qui sont la seule richesse des démunis de tout. Elles disent que la dictature populaire vaut mieux qu’une démocratie bourgeoise. Ils disent qu’une émeute vaut mieux qu’une grande manifestation pacifique.

Faites l’expérience. Allez dans les conseils de quartier, dans les réunions municipales, les associations de parents d’élèves, vous constaterez l’absence des couches populaires. Des plus pauvres, des exclus. Vous verrez la présence de militants politiques, de couches moyennes, de responsables associatifs, de commerçants, d’artistes. Ils sont ensemble et influencés par les cris de Mélenchon, de Todd, d’Autain, ils déplorent l’absence des couches populaires de leurs réunions. L’absence des immigrés récents, des jeunes précaires, des familles monoparentales, des plus pauvres, des plus marginaux. Enseignants, assistantes sociales, médecins, soignants, ils passent leur temps, ils consacrent leur énergie à maintenir leur quartier et ses populations en difficulté à flot, à combattre le scepticisme. Ils étaient tous dans la rue le 11 janvier et on leur dit maintenant qu’ils représentent la France catholique réactionnaire. Des Vendéens. Des bobos. Des Pétainistes.

Faisons l’expérience inverse. Supprimons de la France d’aujourd’hui les quatre millions de manifestants, la gauche réformiste, il reste une société divisée, morcelée, en guerre civile larvée ou ouverte où les slogans péremptoires l’emporteront sur la réflexion et dont Todd, Mélenchon, Autain, nous feront la cartographie.


1 commentaire:

  1. Pour une fois, je suis tout-à-fait d'accord avec Maurice Goldring ! Mais comme il a l'habitude de censurer mes commentaires, laissera-t-il celui-ci ?

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