vendredi 25 décembre 2015

biarritz bordeaux


Voyage Biarritz  Bordeaux.


 

Brigitte a oublié sa carte senior et cherche le contrôleur pour l'avertir afin de ne pas payer d'amende. Le train est parti, rempli de familles, d'enfants, de paquets gonflés de cadeaux. Un seul bébé braille de temps en temps et suffit à occuper l’espace sonore. À Dax, une femme d'âge moyen, jean noir et pull sombre, voix forte, jaillit de la voiture numéro neuf, franchit le sas, hurle: « Y a-t-il un médecin ou une infirmière dans le train ? ». (Le sexe est respecté, un médecin, une infirmière). Elle traverse la voiture huit où nous sommes confortablement installés et se dirige en répétant patiemment la même question vers la voiture sept. Quand elle reprend son souffle, on entend nettement, venu de la voiture neuf, un gémissement d’une personne qui manifeste ainsi une forte douleur. Dans la voiture huit, il n'y a ni médecins ni infirmières. Il y a des sœurs et des tantes et des nièces de médecins, des beaux-frères par alliance de médecins, une grand-tante de médecins mais pas de médecins directs. Une personne gémit de plus en plus fort dans la voiture neuf. Dans la voiture huit, le bébé braille, tranquillement. La fille ou l'amie ou la sœur ou la tante de la personne qui gémit de plus en plus fort revient delà voiture sept, d'un pas décidé, un air inquiet lui mange le visage, elle est suivie d’un contrôleur qui prend un air de circonstance, professionnel, sang-froid, on voit (nous les voyageurs) qu'il attend ce moment depuis qu'il est contrôleur, depuis une quinzaine d'années et il ne va pas louper la scène. Le malade gémit de plus en plus fort et on entend enfin l'annonce attendue (y a-t-il dans le train, dans ce train-là, de Biarritz à Bordeaux, mercredi matin, rempli de cadeaux de Noël et de récipiendaires. Y a-t-il un médecin ou une infirmière, dans le respect du genre que des imbéciles refusent et pourtant, le genre est bien là dans le haut-parleur, un médecin, une infirmière. Tout à coup, de la voiture sept jaillit une jeune femme d'une trentaine d'années, sobrement vêtue d'un jean et d'un pull sombre, on dirait la femme qui réclamait tout à l'heure un médecin, elle avance et elle dit "je suis médecin", comme une voiture de pompier fait pim pom, elle avance en criant, je suis médecin pour que les gens s'écartent et la laissent passer. Voici encore le genre chamboulé. Une femme médecin, et vous allez voir que bientôt on va voir arriver un homme infirmière. Et chamboulement suprême tout à l'heure, un agent de sécurité qui sera femme ou transgenre. D'où l'inquiétude des familles catholiques qui manifestent contre le genre.         Avec les évangélistes, les orthodoxes et les sunnites.

Nouvelle annonce: à la suite d'un incident voyageur, le train partira avec quinze minutes de retard. Sur le quai, nous voyons arriver des pompiers, des contrôleurs, des infirmiers, des brancardiers. Une manifestation s’organise : « le Samu, c’est un médecin et une infirmière ! » disent les pancartes. « Retrait du genre dans les TGV ! ». Nous ne voyons pas l'incident voyageur, il ne gémit plus, le bébé arrière cesse ses cris car il s'est rendu compte qu'il n'intéressait plus personne. Ne reste plus sur le quai qu'un contrôleur qui siffle le départ. Le train s'ébranle. Nouvelle annonce: suite à un incident voyageur, le train...Les portables s'allument, et on entend un murmure universel, chéri, maman, papa, François, Xavier, mon amour, monsieur, ma tante, nous arrivons à Bordeaux avec quinze minutes de retard. Puis les haut-parleurs annoncent l'ouverture de la voiture bar. 

 

De l'autre côté du couloir, un sac à dos est posé sur le sol, sans étiquette. Une dame âgée, qui lit un roman en livre de poche, lève les yeux de son livre, regarde le sac, recommence à lire, lève les yeux. Elle ne dit rien pendant l'agitation de l'incident voyageur désormais placé sous la protection d'un service d’urgence et sans doute ne voulait-elle pas ajouter un drame au drame. Mais maintenant, tout est calme. Elle regarde encore le sac. Et demande: à qui est ce sac? Personne ne lève la main. L'air se glace. Par les temps qui courent, n'est-ce pas? Le bébé a recommencé ses braillements. À qui est ce sac? Finalement, un voyageur, la quarantaine, genre baroudeur sans peur se penche vers le sac, ouvre la fermeture en un éclair et découvre des bouteilles d'alcool et des sandwichs apéritifs.  Prévenu par un autre voyageur, un contrôleur arrive suivi d'un agent de sécurité qui est une femme, assez forte, genre transgenre, il fallait s’y attendre. La confusion est extrême. Le sac est ouvert, tout le monde regarde, tranquillisé, on va boire un coup. Le propriétaire arrive et dit c'est à moi. Vous pourriez mettre une étiquette et un nom quand même nous sommes en état d'urgence.  Nous avons quitté Dax. À ce moment, exactement, j'entends nettement "jingle bell, jingle bell ". Je cherche le coupable, une sonnerie de téléphone, un film sur tablette sans oreillette? Tout le monde cherche. Finalement, on trouve. C'est un cadeau de Noël, une poupée chanteuse quand on la secoue, qui chante des airs connus et les répète inlassablement. Sans se lasser. En posant le sac à cadeaux dans la soute à bagages, l’acheteur de l’infâme jouet a déclenché le mécanisme. La poupée ou le père Noël est enfermé dans une boîte en carton, protégé par une enveloppe en plastique, puis décoré de papier fleuri maintenu par des rubans tressés. Pour réduire au silence l’instrument de torture, il faut dénouer les rubans, déchirer le papier cadeau, ôter les bulles protectrices, impossible. Il se tait. On reconnaît le coupable à son silence, à ce qu’il est le seul à ne pas demander d’où vient le bruit, à ce qu’il est le seul à s’intéresser aux forêts de pins. Nous sommes condamnés, voyageurs de la voiture huit, témoins d'incident voyageur, traqués par des sacs anonymes, entourés de bébés hurleurs, à entendre jingle bell jusqu'à Bordeaux. Le contrôleur arrive pour le contrôle des billets et Brigitte lui dit qu'elle a oublié sa carte senior qui lui donne droit à une réduction. Il sourit: vous croyez qu'avec tout ce qu'il s'est passé aujourd'hui, j'ai le temps de me soucier d'un oubli de carte senior. Vous ne pouvez pas avoir le sens d'une certaine hiérarchie ? Un peu de pudeur? Un peu de décence? Un homme agonise dans un hôpital de Dax, un sac nous menace des pires dangers, nous sommes condamnés à la pire des tortures, qu'on utilise pour faire parler les terroristes: enfermé dans un local clos, écouter jingle bell pendant des heures et des heures et vous voulez que je m'occupe d'un oubli de carte senior? Franchement.... 

Jingle bell couvre les cris des manifestants : « Un SAMU c’est un médecin et une infirmière ! ».

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