vendredi 7 mai 2010

Je rêve

Je rêve. Je suis nommé comme enseignant, ce n’est pas tout à fait clair, mais comme quoi d’autre puis-je être nommé dans un établissement aux murailles grises, pas comme plombier polonais, je ne suis ni l’un ni l’autre. On me montre mes quartiers, mon logement, il s’agit d’une pièce moyenne où quatre ou cinq collègues occupent des matelas posés à même le sol. Ils sont tous plus jeunes que moi, mais d’âge mur. Des hommes, figures d’intellectuels qui montrent intelligence, détachement des choses matérielles, sans étonnement d’être ainsi relégués dans une chambre où traînent des matelas et des draps douteux. Ils m’accueillent poliment, sans chaleur excessive. Je cherche un matelas pour m’y allonger, l’un d’eux, une barbichette de scientifique et une voix grave, me conseille de ne pas m’inquiéter. Les matelas sur le sol cachent d’autres matelas et il suffira le soir venu de glisser un matelas de dessous un autre matelas pour que je puisse m’y allonger. Je ne vois aucune salle d’eau, aucune toilette, aucune armoire de rangement. Les valises traînent dans les couloirs marqués par les matelas sur le sol et vomissent des chemises froissées et des slips de modèles et de tailles diverses. Je tire un matelas et je m’y allonge. Tout habillé. Une porte s’ouvre et révèle une autre chambre, avec d’autres matelas rangés parallèlement, alors que dans ma chambre à moi assignée, les matelas sont rangés n’importe comment. Dans cette chambre voisine, des jeunes collègues, masculins et féminins, sont couchés à trois ou quatre par lit, ils se touchent d’une façon ludique, rien n’indique la partouze, mais quand même je suis jaloux. Les corps sont délimités par des dentelles et des chemises vibrantes, et je ne vois pas pourquoi. Les jeunes collègues me regardent et leur regard me réveille.

Me voici donc revenu au point de départ. Enfant, j’enviais les parents des autres qui me paraissaient tous plus intelligents et plus attentionnés avec leurs enfants mes camarades de jeux. Étudiant communiste, j’enviais la facilité d’élocution de mes camarades de combat et l’intelligence de leur analyse de la situation mondiale. Marié, j’ai envié les femmes des autres que je trouvais toutes plus jolies et plus intelligentes. Journaliste, j’ai envié les écrivains. Écrivain, j’ai envié les autres maisons d’édition. Grimpant la hiérarchie universitaire grâce à un travail régulier et reconnu par mes pairs, j’enviais ceux qui travaillaient plus, qui étaient plus reconnus. C’est sans fin. On peut se satisfaire de ce qu’on a ou envier ce qu’on n’a pas. Si on se satisfait de ce qu’on a, évidemment, on n’a plus de motivation pour continuer à travailler, c'est à dire à étonner le monde. Si l’on ne se satisfait pas de ce que l’on a, on conserve de puissantes motivations de travailler c'est à dire d’étonner le monde et l’environnement humain. Mais voilà que je me retrouve dans une chambre avec des collègues qui dorment sur un matelas jeté sur le sol, sans sommier. Et moi, je dis non, je refuse de travailler dans ces conditions. Prof de fac, je dois être reçu dans de meilleures conditions. Je range ma valise et je m’en vais. Quand je me réveille. Dans mon rêve, je reste, j’accepte les matelas jetés à terre, la grisaille, l’inconfort. Une fois réveillé, c’est trop tard. Je me trouve dans une chambre confortable, un matelas solide, un sommier de bonne tenue, un corps qui me tient chaud, une salle de bains voisine, le tout digne d’un prof de fac retraité, mais malgré tout. Il n’y a plus rien à envier, plus rien à regretter. C’est tout de suite, dans mon rêve, parmi les matelas honteux, indignes, que j’aurais du rebrousser chemin et dire à qui de droit que dans ces conditions. Je ne l’ai pas fait. Qui est le vrai moi, celui qui ne proteste pas contre d’infâmes conditions de travail, contre d’indignes conditions de logement, ou celui qui proteste une fois réveillé contre le confort et des conditions de vie et de travail qui ne méritent pas de protestation ?

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