Humor ist wenn man trotzdem lacht
Mon père m'a légué cette citation. L'humour, c'est quand on rit malgré tout. Par exemple, quand on a mal aux jambes, mal aux dents, mal aux yeux, mal à la tête, mal à la poitrine, mal au tru, mal en drain, quand la testostérone chute, quand la fatigue ralentit, quand le souffle court, quand la cheville ouvrière, quand l'huile se coude, quand la main chaude, quand l'oreille bave, quand la semelle glisse, quand l'œil se couvre, quand le cheveu tombe, mais les vêtements doivent rester propres. Quand l'informaticien meurt d'une crise cardiaque au moment où la connexion wifi donne des signes de faiblesse, quand la patte d'oie. Malgré tout ça, on rit. Trotztdem.
Attention. La distance entre dire qu'on rit, entre écrire qu'on rit, et le rire, cette distance là est énorme. Ce n'est parce qu'on l'écrit ou qu'on le dit qu'on le fait. Le rire n'est pas un exercice, comme la marche ou le vélo. Le rire est une explosion involontaire, un concert improvisé, une chute brutale. Ce n'est pas comme être un imbécile, car nous savons depuis la cour de récréation de la maternelle que c'est c'ti qu'y dit qu'y est. Le dire, c'est l'être. Pas le rire. Le rire n'est pas un concept qu'on peut mettre en action, un programme qu'on peut réaliser en étant porté au pouvoir par une alliance majoritaire, le rire ne peut pas être mis en programme.
L'origine de cette citation est une carte postale venue de Suisse ou mon père était interné militaire, sans doute dans la Suisse allemande et l'image de la carte postale était celle d'un bonhomme pris dans une averse et une tempête, il est trempé, il a froid, son parapluie est cassé et ne le protège plus et la légende de l'image est "humor ist wenn man trotzdem lacht". Je n'ai plus aucune idée de ce que mon père avait écrit sur la partie de la carte réservée à l'écriture. Ça devait être quelque chose dans le genre, je pense beaucoup à vous, je vous embrasse, j'espère vous revoir bientôt, ou bien, j'espère que tu travailles bien à l'école, enfin, moi personnellement, si j'étais interné militaire en Suisse allemande, c'est ce que j'écrirai à mes enfants s'ils étaient d'âge scolaire, mais je ne suis pas mon père.
Chaque fois que ma mère recevait une carte postale de Suisse où mon père était interné militaire, elle la lisait en pleurant. J'imagine et je suis certain qu'en recevant cette carte particulière (un homme pris dans la tempête, son parapluie retourné, son chapeau qui s'envole, son imperméable arraché), elle s'est mise à pleurer. Ma mère ne comprenait pas l'allemand.
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