dimanche 6 février 2011

rap GO

Rap go

La rencontre avec Guillaume Huet, coresponsable local de la politique de la ville, le jeudi 3 février 2011 a permis d’échanger des informations et des réflexions.

L’évolution sociale du quartier. La Goutte d'Or n’est pas un ghetto fermé, mais à l’intérieur de ce non-ghetto peuvent se constituer des ghettos, des groupes fermés, ayant peu de contacts avec l’extérieur, privilégiant les relations endogamiques : endogamie sociale, culturelle, religieuse ou ethnique. Les évolutions sont contradictoires. Les écarts se creusent alors même que la mixité sociale se réalise. Le fossé se creuse entre la misère et la précarité de ceux qui se sentent coincés et les privilèges apparents ou réels d’une bourgeoisie qui s’installe dans le quartier pour rester. Les plus pauvres, lorsqu’ils deviennent moins pauvres, quittent le quartier. Reste un face à face entre une extrême misère et précarité et une vie de cocagne. D’après la police, les vols avec violence sont plus nombreux, à cause de ce face à face. Plus de téléphones sophistiqués, plus de difficultés à joindre les deux bouts, on approche une allumette et ça explose.

La Goutte d'Or n’est pas un ghetto fermé, ni socialement, ni géographiquement. Socialement mixte. Y compris pour les Descendants d’immigration récente (les DIR), qui font commerce. Les primo-arrivants (PAR) trouvent ici des relais de solidarité et des modes de vie ou de survie légaux ou illégaux, vente à la sauvette, prostitution. Les consommateurs de drogue trouvent des produits ou des lieux où ils peuvent consommer en groupe. Les Descendants d’immigration lointaine (DIL), intégrés socialement par un métier et culturellement par une scolarité nationale, y trouvent des logements relativement moins chers qui leur permettent de vivre en plein Paris dans des conditions de confort acceptables ou plus. Les cinémas, les théâtres, les activités de loisirs, sont tout près : soit à l’intérieur de la Goutte d'Or, bibliothèque, centre Barbara, LMP, Olympic Café, Echo musée, soit à la frontière : théâtre des Bouffes du Nord, de l’Atelier, des Abesses et un peu plus loin, les cinémas de la place Clichy, des quais de Loire ou de Seine, du Quartier Latin.

Les DIL, en achetant ou en louant dans le quartier, savent d’avance ce qu’ils vont y trouver. Avant d’acheter ou de louer, on vient faire un tour et on voit des marchands ethniques, les commerçants à la sauvette, les usagers de drogue, les prostituées. C’est très différent de concevoir le commerce légal ou illégal, la drogue et la prostitution et ce côtoyer des marchands, des commerçants, des usagers, des prostituées. Une fois installés, les DIL présentent des exigences qui sont mesure leur intégration dans le quartier. Les enfants qui n’ont pas choisi de vivre ici, mais qui accompagnent leurs parents, remarquent vite que les rues sont plus sales que dans d’autres quartiers de Paris et que sont tolérées ici des pratiques qui sont interdites ailleurs. Ils le disent tout haut : les rues sont sales dans mon quartier. Pourquoi ? Ils disent, pourquoi les couloirs du métro sont encombrés de vendeurs qui gênent le passage ? Ici et pas au métro Odéon ? Les intégrés français ou étrangers ne voient plus la quittance de loyer ou l’acte de vente, ils voient l’envahissement des trottoirs par des étals de carton que chasse de temps en temps une patrouille de police, les acheteurs et les fumeurs de produits interdits, la prostitution. Après avoir accepté de louer ou d’acheter dans un quartier particulier, ils veulent vivre dans un quartier moins particulier. Ce qui est parfaitement légitime. Après avoir conquis des territoires sauvages, les conquérants de l’Ouest américain ont voulu détruire les maisons de passe, construire des écoles, des églises et des prisons.

Tant que les habitants vivent seuls ou en couples sans enfant, les choses ne se passent pas trop mal. Leurs amis habitent ailleurs admirent l’exotisme du quartier ou s’étonnent du courage qu’il faut pour vivre dans l’insalubrité et l’insécurité. Les habitants sortent et rentrent par des itinéraires qui évitent les zones considérés par eux comme les plus glauques ; Ils assistent aux réunions publiques des conseils de quartier où ils se plaignent des nuisances. Ils réclament des solutions d’urgence, et acceptent mal les réponses des politiques ou des administratifs qui leur disent qu’il n’y a rien à faire, ou bien qu’on fait beaucoup, mais pas pour eux. La quantité d’actions pour l’aide à l’insertion des jeunes, pour l’aide sociale, l’aide scolaire, est impressionnante. Mais elle reste invisible, notamment à la moyenne bourgeoisie urbaine dont le nombre grandit dans le quartier. Ce qui est visible, ce sont les constructions nouvelles, la médiathèque, le centre Barbara. Inconvénient réel : les habitants sont un peu fatigués du bruit des marteaux-piqueurs.

Tout est en place pour le pire. La colère monte contre les difficultés à se déplacer, le non-respect des règles et des lois, ce commerce à la sauvette qui est à la fois un mode de survie et une nuisance extrême. L’évolution des écoles n’est pas bonne. Tout est en place pour le pire, mais le pire n’arrive pas. Ou encore, on peut trouver que le pire, c’est ce qui existe.

Il n’y a pas de solutions rapides. Il y a de lents glissements de terrain. La prostitution se cachait dans des immeubles squattés insalubres. Ils sont graduellement détruits et la prostitution devient plus visible. Si demain s’ouvre, pas trop loin, une salle de consommation de drogue, on verra moins les consommateurs dans la rue. L’ouverture d’un marché du monde du côté de la Porte de Clignancourt et en projet. Dans combien d’années ? Mais pourquoi dans notre quartier, toujours ici et pas ailleurs ? Parce qu’ailleurs, les loyers sont très élevés, les habitants manifestent et se révoltent quand on veut construire des logements sociaux ou ouvrir des centres d’accueil pour personnes en difficultés, parce qu’ailleurs les habitants trouvent la solution dans un enfermement qui brise la société. La politique consiste pour eux à construire des barrières et installer des gardes. La Goutte d'Or n’échappe pas complètement à ce repli et certains endroits sont des ilots pas trop mal protégés. Mais la pression est trop forte et l’enfermement ne peut pas être une politique. Nous sommes aux premières lignes du front. Pour mener quelle bataille ? Une bataille qui consiste à dire qu’il est de l’intérêt de tous, donc aussi des moins démunis, de maintenir à flot la partie de la population qui se noie. Et qu’il est de l’intérêt des plus démunis, notamment, mais pas seulement, de vivre dans des sociétés et dans des quartiers où une classe moyenne éduquée, salariée, entreprenante, accepte de partager l’espace. L’égoïsme du repli c’est la guerre civile. La recherche constante de compromis sociaux, culturels, c’est la politique au sens le plus noble. Qu’est-ce qui est le plus facile ?



Compte-rendu rédigé par Maurice Goldring. Lundi 7 février 2011

1 commentaire:

  1. Bonsoir,
    Très intéressée par votre article. J'habite la goutte d'or depuis 10 ans. Il est vrai que je n'aurais pas fait cette démarche si j'avais encore des enfants en âge d'aller à l'école. En tant que grand-mère je suis souvent inquiète de l'errance des plus petits à des heures avancées, traversant la rue, sans surveillance. Combien de fois ai-je raccompagné un gamin de 3 ou 4 ans seul dans le square et qui ne savait pas comment rentrer ? Parfois, un peu d'agacement ou de lassitude de voir encore une fois le square Léon détérioré, privant ainsi beaucoup d'habitants d'un havre de paix et de verdure. Ce quartier est à la fois attachant et désespérant...mais c'est aussi un village. Aucun contact n'est neutre, il y a une réelle solidarité même si elle n'est pas générale. Je suis toujours rentrée le soir, même tard, sans crainte ni ennui. Je me pose souvent la même question : pourquoi ouvre-t-on toujours dans notre quartier des locaux d'aide aux toxicomanes, par exemple, à 50 mètres d'un lieu de deal connu de tous (devant le square Léon) et qu'il est envisagé de créer un centre où il sera possible de se droguer, certes avec un maximum de sécurité.

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