dimanche 9 décembre 2012

veillée funèbre


La maman de Juliette est morte au Cameroun. Une messe et une veillée en son honneur se dérouleront dans une église évangéliste du 15ème arrondissement rue Quinault. Juliette est l’auxiliaire de vie de ma sœur Marcelle qui à 89 ans et a besoin d’une auxiliaire de vie. Juliette nous accueille quand je vais voir ma sœur et quand sa mère est morte, elle nous a envoyé une invitation, à moi et à Brigitte, en signe de sympathie à notre égard. Nous avons décidé de répondre à l’invitation car nous pensions cela lui ferait plaisir.

La soirée est prévue de 18 heures à 23 heures. Nous consacrons l’après-midi à la vision d’un film roumain, Au-delà des collines, qui dure deux heures et demi, un beau film sur la folie religieuse dans un couvent orthodoxe. En sortant du cinéma, nous nous dirigeons vers l’arrêt du bus 80. La Place Clichy est complètement bouchée, tous les véhicules sont à l’arrêt, aucun bus 80 à l’horizon. Nous attendons, nous discutons, faut-il prendre le métro ou encore attendre ? Nous n’avons pas d’heure fixe, la cérémonie dure jusqu’à 23 heures, nous attendons, dans le froid. Il ne pleut pas, nous avons de la chance. Au moment où nous nous lassons et nous dirigeons vers le métro place Clichy, la place se débloque et nous apercevons le numéro 80 sur un autobus double. Nous rebroussons chemin. Nous montons dans le bus. IL avance lentement, très lentement, descend la rue que j’ai connue jadis sous le nom de Leningrad et qui porte maintenant le nom de Saint-Pétersbourg comme si on pouvait effacer l’histoire. Pourquoi cet acharnement contre Lénine alors que le métro Stalingrad conserve le nom d’un homme qui a fait plus de mal que Lénine ? L’embouteillage permet le long déroulement d’une réflexion politique et historique. La gare Saint-Lazare se passe sans encombre, mais à l’approche des Champs-Elysées, décorés pour les fêtes de fin d’année, nous roulons au pas. Non seulement nous roulons au pas, mais quand l’une de notre groupe va vérifier sur la plan où se trouve la station Peclet, où nous devons descendre, selon l’invitation (ou station de métro Commerce), la personne désignée pour rechercher l’arrêt constate avec mélancolie que l’itinéraire affiché est celui de l’autobus 95 et non pas de l’autobus 80. Quelques paroles échangées nous mettent d’accord : il est évident qu’il y a eu détournement d’autobus, qu’à l’origine ce bus était un 95, un commando s’en est saisi, a affiché les chiffres 80 qui se commandent manuellement, mais n’a pas eu le temps de remplacer l’itinéraire par celui du 80 que de toute manière, il ne possédait pas, on ne se déplace pas avec des itinéraires de bus dans la poche, surtout pour les détourner. Confirmation de notre inquiétude. Avant même de traverser l’avenue des Champs-Elysées reine des lumières, paradis des appareils photo brandis à bout de bras pour apercevoir l’Arc de Triomphe souligné de leds clignotants,  le chauffeur nous annonce tout de go que le terminus du bus ne serait pas Porte de Versailles, cela nous le savions déjà, le terminus devait être Mairie du 15ème, mais qu’il ne serait pas non plus Mairie du 15ème, mais Ecole militaire. Et qu’à Ecole militaire il ferait demi-tour et que ce serait le terminus. Les passagers protestent, s’exclament, se plaignent, téléphonent à tout va pour dire leur déception, mais le chauffeur a le pouvoir et il le sait. Il répète, terminus, Ecole militaire. Puis sous la pression, il dit, bon d’accord, une station de plus, je vous amène à la Motte Piquet Grenelle, où se trouvait jadis le Vel d’Hiv que tout le monde connait. Ou connaissait. Ce qui nous rapproche de la station Peclet et de la rue Quinault. Nous avons quitté le cinéma des cinéastes à 19 heures 15, il est vingt et une heures, une heure trois quart de bus 95 déguisé en 80. Je consulte sur mon téléphone intelligent l’itinéraire pour se rendre rue Quinault et le trajet se dessine, rue de la Croix Nivert, à gauche, puis à droite. Malgré la netteté de la carte, nous nous arrêtons plusieurs fois pour demander notre chemin car nous avons du mal à imaginer qu’un petit écran sans prétention puisse à lui tout seul, sans aide extérieure, nous indiquer le chemin. Mais l’écran avait raison. Nous nous trouvons devant le 6 de la rue Quinault devant une porte qui reste fermée malgré les tambourinements d’un couple avec enfant qui désire comme nous participer à la veillée funèbre en l’honneur de la maman de Juliette. Je téléphone à Juliette avec mon téléphone intelligent et elle me dit qu’il faut rentrer au numéro 4. Le mystère s’épaissit. Pourquoi envoyer une invitation à l’adresse du 6 rue Quinault alors que l’entrée est au 4 ? Pourquoi nous transporter dans un bus 95 qualifié de 80 ? Juliette nous accueille, nous dit qu’elle est ravie de nous voir, nous entrons dans l’église où des gens chantent des cantiques que ma compagne reconnaît car entre protestants et catholiques s’est constitué malgré les haines et les guerres de religion un terreau culturel commun qui permet aux et aux autres de chanter ensemble ou de mourir ensemble quand ils s’entretuent. Le pasteur dénonce vivement Nietzsche qui avait écrit que « Dieu est mort ». Nous nous levons et nous rasseyons, nous nous levons pour chanter, et nous nous rasseyons pour écouter le sermon. Je pourrais me dispenser de me lever puisque je ne chante pas les cantiques, mes cantiques à moi ne correspondent pas, ceux que j’ai appris dans ma jeunesse, se levaient les partisans dans l’ombre immense de Lénine, et la Jeune Garde sur le pavé, le sang des prolétaires, nous ne sommes rien soyons tout, aucun de ces cantiques ne figure dans la brochure distribuée aux présents. L’église n’est pas chauffée, les pieds se glacent les chants s’en ressentent. La cérémonie se termine avec « plus près de toi seigneur » dont mon accompagnatrice me rappelle qu’elle figurait dans le film Titanic et que tout le monde, catholiques et protestants chantaient ensemble en sombrant dans les eaux glacées du calcul égoïste.

Le repas fut convivial et nous fûmes traités comme des invités d’honneur en l’honneur de la couleur de notre peau, je ne vois aucune autre raison. Mais si les blancs sont positivement discriminés dans un enterrement noir, et que les noirs sont négativement discriminés dans les société blanches, comment arriverons nous à l’égalité entre les hommes ?  

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