mercredi 23 janvier 2013

ZSP




Courrier
            Notre groupe a reçu un échantillon de lettres des habitants de la Goutte d'Or, soigneusement anonymisées. Le vendredi 18 janvier 2013, nous discutons de ce courrier. Certains réagissent de manière vive, comme si tous ceux qui se plaignent étaient des ennemis de l’Eldorado. Des prostituées ? Où ça ? comment les reconnaît-on ? Elles ont un grand P cousu sur leur poitrine ? Des jeunes inquiétants ? Il suffit de leur dire bonjour, ils vous embrassent. Regard violent sur ceux qui considèrent qu’ils ont le droit de critiquer parce qu’ils ont investi. Parce qu’ils ont acheté, parce qu’ils ont loué. Parfois cher.  Regard affectif sur le courrier, regard qui mène à l’impasse familière : il y a plusieurs quartiers dans la Goutte d'Or et seuls ceux qui adhèrent à l’une des visions sont légitimes. Les autres sont des étrangers. Pas légitimes. Ils voient des prostituées partout et tous les jeunes les inquiètent. Les critères qui divisent peuvent changer et les frontières sont mouvantes. La présence de la police est l’un de ces critères. Pour les uns, elle est nécessaire, jamais suffisante, toujours en retard, pour les autres, elle est arme de guerre contre les pauvres, les sans-papiers, les malheureux qui tentent de survivre en vendant des babioles sur le trottoir. Ces réactions ne mènent nulle part, elles bloquent la réflexion. Certains se sentent bien dans ce quartier et en louent les qualités. Leurs réactions doivent être admises, comme les réactions de ceux que beaucoup d’aspects de la Goutte d'Or indisposent gravement.

            L’une de ces visions s’appuie sur l’idée que la mixité sociale est en fait la guerre aux pauvres. (citation d’une affiche collée sur les murs du quartier). Le quartier cosmopolite et multiculturel, refuge des pauvres et lieu de solidarité, est menacé par les opérations de rénovation qui servent des intérêts privés et sous couvert d’un objectif d’intérêt général : la mixité sociale, mène la guerre aux plus pauvres, aux marginaux, aux immigrés, pour laisser place nette à une population parisienne aisée, diplômé, salariée.

            Cet objectif a comme moyen privilégié la sécurité. Assurer la sécurité du quartier, c’est d’abord la tranquillité de ceux qui ont les moyens de l’habiter, de s’y investir. Certains habitants le disent clairement dans leur courrier. Un propriétaire écrit : j’ai payé mon logement six mille euros le mètre carré et à ce prix, il me faut un quartier propre, tranquille, bien entretenu. Les habitants dont les appartements donnaient sur le Bois de Boulogne ne disaient rien d’autre sur la prostitution. On peut s’indigner de cet égoïsme qui voudrait qu’une population intégrée socialement et culturellement achète à prix raisonnable un logement dans un quartier difficile en faisant le pari qu’à force, ce quartier difficile deviendrait une nouveau Marais. Il faudrait aussi nuancer : d’une part, les efforts pour « gentrifier » la Goutte d'Or ne cessent pas depuis une trentaine d’années, avec des résultats mitigés. Les gens s’installent puis comme ils constatent que le quartier prend du temps à se stabiliser, à se tranquilliser, ils déménagent. Surtout quand il y a des enfants et qu’ils grandissent. Les écoles et les échecs à les déghettoïser jouent un rôle majeur dans défaite relative de la gentrification.

            Une autre vision, non moins  politique que la première, considère que les efforts des nouveaux arrivants pour maintenir le quartier à flot, avec l’aide des pouvoirs publics, ne servent pas seulement des intérêts égoïstes, mais permettent le maintien et le développement d’institutions publiques (éducation, culture, santé, aide sociale) qui profitent aux plus démunis. Ils permettent aussi à une petite (et moins petite)bourgeoisie commerçante de poursuivre ses activités, à s’intégrer davantage et de moins déserter le quartier dès que possible, car quand même, la Goutte d'Or c’est le quartier de leur galère. Du coup, le quartier qui ne sombre pas continue de jouer à attirer les nouveaux arrivants à la recherche de réseaux, de ressources, de solidarité.

            Concrètement : le comité de suivi de la Zone de sécurité prioritaire est composé pour partie d’habitants et de commerçants en colère, qui sont invités à collaborer, à indiquer les zones chaudes (prostitution et buveurs pisseurs, commerce illicite et ses nuisances) et à créer ainsi un climat général qui va renverser la vapeur. Au lieu de sentir en insécurité, ce sont les marginaux, les sans papiers, les commerçants à la sauvette qui vont se sentir menacés, poursuivis. Les voyous ne feront plus la loi, ils la subiront. Pour « calmer cette colère », pourquoi ne pas faire participer les habitants les plus énervés, les plus militants, (associations droit au calme, chateaubouge). Ces habitants les plus militants ne sont pas toujours d’accord entre eux, car les intérêts divergents. Action Barbès est une association qui sort de la Goutte d'Or et donc n’accepte pas volontiers que le balai policier repousse la poussière sous les tapis du bd Magenta. Mais dans l’ensemble, les lettres se tiennent. Pas de stigmatisation ouvertement ethnique ou raciale. Les jeunes voyous, les bande de racailles, les buveurs pisseurs, pour qui traîne un peu dans les rues du quartier, ont généralement une origine visible, mais ils se sont pas stigmatisés, ni dans les réunions ni dans le courrier, pour leur appartenance ethnique.

                Avant de s’irriter du classement de la Goutte d'Or en ZSP, se poser la question de l’effet à moyen terme. Si les colères les plus extrêmes se calment avec ce classement, peut-être, soyons optimiste, ce calme permettra de politiser les interrogations sur le quartier. Actuellement, cette politisation peut conduire à droite, à l’extrême droite ou l’extrême gauche, investisseurs contre prophètes.

            Le suffrage universel n’a pas supprimé le suffrage censitaire. Ceux qui votent, ceux qui décident, sont toujours propriétaires de quelque chose. Soit de biens matériels, logement, commerce, soit de leur environnement, du territoire, de leur avenir ou de ceux de leurs proches. Ceux qui ne sont propriétaires de rien ne votent pas. Faire de la politique consisterait pour un parti de gauche à rendre propriétaire de quelque chose ceux qui n’ont actuellement rien, ni papier, ni travail, ni logement, ni avenir. Il ne faut pas stigmatiser l’engagement de ceux qui sont propriétaires, il faut rendre possible l’engagement des autres. 

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