dimanche 24 mars 2013

démissions


Démissions
               Qu’aurais-je fait pendant l’occupation ? J’aurais résisté ou collaboré ? De même, si les communistes étaient parvenus au pouvoir est-ce que j’aurais dénoncé mes parents, mes amis ? On se pose souvent la question. La réponse est bien évidemment impossible. C’est une question absurde. J’ai écrit un livre qui s’appelle La République populaire de France où j’imaginais que le PCF avait pris le pouvoir à Paris. Ce livre a été écrit au moment où j’avais déjà rompu avec le parti dont j’avais été longtemps membre (35 ans), bien évidemment et ne m’a fait perdre aucun ami puisque les amarres étaient déjà lâchées. Georges Marchais y apparaissait comme le Rakosi français et la terreur s’installait dans mon pays. Implicitement et grossièrement, j’insinuais dans ce livre qui traîne encore chez des boutiquiers que j’aurais été dissident si le stalinisme s’était installé en France. Dissident au moindre coût. En écrivant ce livre, je répondais à la question du début. J’aurais résisté.

De là à me tresser des lauriers, fichtre. Pourtant, en réfléchissant, je me dis ceci : j’ai résisté là où il y avait occasion de résister dans le domaine public. Dans le domaine privé, relations avec les femmes et avec mes enfants, j’ai plutôt dans l’ensemble succombé aux modèles de domination traditionnelle. Jusqu’à un âge assez avancé où rompre avec les modèles de domination traditionnelle ne coûtait plus rien, au contraire, c’était même devenu un puissant instrument de séduction.

A l’intérieur du PCF, dont j’étais un membre actif et engagé, j’étais discipliné. Mes modèles étaient les résistants français, les partisans soviétiques, qui jamais ne parlaient sous la torture, mais s’ils avaient survécu, se comportaient comme des satrapes avec leurs camarades. Donc, j’essayais de me conformer. Puis, dans les années 1970, j’ai participé à la révolte des communistes contre le stalinisme rampant et avec quelques dizaines de milliers d’autres, j’ai contribué à la chute du communisme en France et à la destruction du mur qui empêchait la gauche d’accéder au pouvoir. Là, j’étais content et fier. Je levais la main dans les réunions et je disais tout haut ce que tout le monde pensait tout haut, mais je le disais parfois avec une demi-seconde d’avance, ce qui me tressait une auréole d’intrépidité.

Je m’étais entraîné auparavant pendant le mouvement de mai 68. J’étais alors membre du PCF en responsabilité à la fédération de Paris. Les dirigeants nationaux savaient quoi dire et quoi faire pendant ce mouvement social qui avait rangé leur parti dans un coin, mais ils hésitaient à venir défendre leur point de vue devant les étudiants et dans les assemblées générales qui poussaient comme champignons après l’averse. Je courais partout, de la Sorbonne au théâtre de l’Odéon et je défendais le syndicalisme ouvrier et le parti communiste devant des assemblées houleuses, le président criant « laissez-le parler, camarades, tout le monde a le droit  à la parole » et je défendais les positions du PCF avec un plaisir renouvelé. J’ai continué ainsi à l’Université de Vincennes à défendre des positions à contre-courant et je cherchais les lazzis et les insultes plus que les applaudissements, était-ce pathologique ? L’avantage, c’était qu’à force, on me connaissait et dès que je levais la main, le silence s’installait, car personne ne savait ce que j’allais dire, ils se préparaient à huer, mais ils ne savaient pas encore sur quoi et du coup, ils m’écoutaient attentivement et je disposais toujours d’une plage de quelques minutes où je pouvais exposer des idées si contraires aux leurs avant d’être emporté par la tempête des protestations.

J’ai continué à nager à contrecourant dans ma vie universitaire. J’avais choisi ou ce sujet m’a choisi, peu importe, de me spécialiser dans l’étude du nationalisme et des mouvements armés irlandais. J’identifiais ces mouvements à l’idéologie léniniste des avant-gardes et je combattais la terreur nationaliste avec la même fougue que je combattais désormais la terreur communiste. Comme cette terreur disposait d’un capital de sympathie dont la terreur rouge était désormais démunie, je retrouvais les mêmes affrontements, les mêmes huées, les mêmes insultes. Je me suis ainsi promené dans des salles de cinéma ou des amphis d’université pour défendre mes idées après projection de films comme Bloody Sunday ou Hunger. J’ai provoqué des mouvements divers dans des réunions au Pays basque sur le même terrain. A Bayonne, j’ai souvenir, devant une estrade de sympathisants à la terreur verte et rouge, de demander candidement si cette terreur n’était pas au nationalisme basque ce que le goulag avait été en son temps pour le PCF, un terrible fardeau à porter. On m’avait hué, bien évidemment, et à la sortie, des militants furieux m’avaient dit qu’ils me connaissaient, que j’étais payé par l’État français et qu’ils sauraient me retrouver. J’étais aux anges. Puis sur le parvis de la Gare du Midi à Biarritz, des abertzales manifestaient pour demander la libération des prisonniers basques, et j’ai sorti une affichette « je demande pour les prisonniers basques les garanties que l’ETA a refusé à ses victimes ». Ils étaient furieux, m’ont arraché l’affichette, m’ont un peu bousculé, mais il y avait du monde et ils se sont calmés. Je jubilais.

Je me rappelle aussi dans mon université des exemples de résistance obstinée. Quand il y avait un mouvement de grève, l’usage était d’accorder les examens puisque les étudiants en faisant grève, avaient d’une certaine manière étudié un mouvement social  et méritaient d’obtenir leur unité de valeur. Je n’étais guère convaincu par ces arguments et je n’accordais jamais d’unité de valeur sur cette seule base. Le comité de grève le savait et ils envahissaient mon cours en me disant : il faut que tu accordes l’UV aux étudiants, parce que la grève etc. Je répondais ceci : « chers amis, chers camarades, nous allons discuter calmement. J’entends votre requête. Je n’accorderai pas l’UV sans travail de l’étudiant. Comment allez-vous faire pour m’obliger ? Je vous suggère certaines méthodes : par exemple, si vous me torturez, je vous signe immédiatement tout ce que vous voulez. Si vous me tapez en me faisant mal, je signe, j'accorde  l’UV à tout le monde. Si vous me menacez de kidnapper mes enfants, je signe. Mais si vous n’êtes pas prêts à utiliser ces méthodes, dites-moi comment vous allez m’obliger à rendre une feuille de résultats ? » Ils repartaient sans insister.
J’ai démissionné de revues diverses parce qu’on me refusait des articles pour des raisons politiques. Ou pour manifester une autorité inutile. La liste s’allonge. France nouvelle, la Nouvelle Critique, Révolution, Etudes irlandaises, Alter EGO.

Tous ces actes de résistance ont en commun de ne comporter aucun risque. Pas de menace de prison, de torture, de sévices physiques. D’accord. Mais ils m’ont coûté des réseaux, des amitiés, des contacts utiles, des carnets d’adresse. Au PS, j’ai voté contre la candidature de Daniel Vaillant parce qu’il refusait de renoncer au cumul des mandats. Ça m’a coûté de ne plus faire partie de son réseau, d’être grondé par Lionel Jospin parce que je ne me ralliais pas à son meilleur ami.

Quand je m’oppose à des adversaires, je suis heureux. Quand je romps avec des amis, je suis triste.  Mais je ne sais plus faire autrement.

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