Staline est mort le 5 mars 1953. Tomasz Kizny et al publient La Grande terreur en URSS, 1937-1938, Editions.
Noir sur blanc. Un supplément du Monde
daté 6 mars présente ce « livre événement ». Arseni Roguinsky, l’un
des auteurs du livre écrit qu’en Occident, la « place du crime du
siècle » est occupée par les crimes nazis. Une attention trop grande à
l’égard de la terreur stalinienne était perçue comme une tentative d’amoindrir
les crimes nazis.
Le jour où j’achète ce numéro du Monde,
je rends visite à ma sœur qui vit désormais dans une résidence pour personnes
âgées dépendantes. Sur dix résidents, neuf sont des femmes. Elles dorment,
elles bavardent. C’est l’heure du goûter. C’est aussi le jour anniversaire pour
deux ou trois pensionnaires. L’animatrice pousse un chariot avec deux grands gâteaux
où brûlent deux ou trois bougies minces comme un déporté. Elle chante « Joyeux
anniversaire ». Quelques pensionnaires reprennent les paroles. Pour les
encourager, l’animatrice place un disque qui souhaite à son tour « joyeux
anniversaire ». Les parts de gâteaux sont distribués et la chaîne diffuse
le répertoire d’un thé dansant. Tangos et rumbas. Toi qui entre ici abandonne
toute espérance.
Toi qui entre ici abandonne toute espérance, pouvait s’inscrire à
l’entrée des camps et des prisons soviétiques. C’était ma vie. J’avais vingt
ans et j’attribuais le rapport à Khrouchtchev, car nous n’étions pas certains
que ce rapport n’était pas une invention de l’impérialisme américain. Je l’ai
lu, dans le Monde, que je n’achetais
pas régulièrement, même pas du tout, je lisais l’Huma et France nouvelle.
Et les Lettres françaises. J’avais
demandé une minute de silence pour la mort du camarade Staline, dans l’amphi de
la rue de l’Ecole de médecine. L’amphi s’était levé et a fait une minute de
silence. Expérience inoubliable, cet entraînement à forcer l’histoire, à créer
des événements. Et puis j’ai lu le rapport attribué à. Puis je suis allé
manifester carrefour Châteaudun contre les fachos qui voulaient incendier le
siège du Comité Central. En 1956. J’avais 23 ans.
Nous discutons sans fin sur les ressemblances et les différences entre
système nazi et système soviétique. Nous, militants communistes, étions-nous
complices des crimes du stalinisme ? Si l’on tente de quitter le terrain
des passions, nous pouvons distinguer des différences. Dans le cas de l’enfer
du nazisme, les historiens allemands font leur travail d’historiens, les
gouvernements font leur travail de mémoire, les administrations allemandes
versent des pensions aux familles survivantes. Des déportés vont dans les
écoles expliquer l’enfer des camps. Dans le cas de l’enfer bolchevique, les
historiens russes ne font pas leur travail d’historien. Ceux qui font des
recherches sur les camps en Russie sont très mal vus et les archives tardent à
s’ouvrir. Les pensions aux victimes tardent. Les communistes français sont à la
traîne sur le sujet et non seulement ils sont à la traîne, mais ils traquent
les historiens qui font le travail à leur place, le travail qu’ils devraient
faire, et disent que ce sont des adversaires de la gauche. Des gens de droite.
Voilà, les communistes français devraient aller dans les écoles expliquer
comment ils ont été complices d’un système monstrueux. Là, on pourrait commencer
à les prendre au sérieux. Mais c’est le contraire. Si une école invitait un
déporté du goulag à parler devant les élèves, ils dénonceraient une manœuvre de
la réaction.
Cette discussion-là va s’éteindre avec les derniers survivants. Il
reste de cette époque une méfiance de la gauche radicale à l’égard des
libertés démocratiques. Une espèce de sympathie résignée devant les régimes qui
prennent des mesures sociales anticapitalistes au prix d’une restriction des
libertés dites « formelles ».
À l’égard de Cuba. A l’égard du Venezuela. La Corée du Nord, on n’ose
plus, c’est exagéré. Mais pour vous rendre compte, justement. Prenez la Corée
du Nord. Le culte de la personnalité dans les pays communistes, était de même
nature. Les communistes français envoyaient des cadeaux pour l’anniversaire de
Staline. Comme si aujourd’hui, un parti politique organisait une campagne pour
envoyer des cadeaux à Kim Jong Un. Impensable, n’est-ce pas ? Et bien, nous
l’avons fait. Pour l’anniversaire de Staline. C’était nous. Quand même, les communistes ont fait
des progrès.
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