mardi 16 août 2016

faire le point


J’adore faire le point. Malmené par les tempêtes, entraîné par les courants, bousculé par les urgences, englouti dans les évidences, j’émerge, je me traîne jusqu’à la rive, trempé, vidé, essoré. J’accroche mes vêtements aux branches, ils sèchent au soleil, je porte ma bouteille d’eau à la bouche, la vide à moitié, je m’essuie les lèvres et je fais le point. Faire le point, c’est replacer la flèche de Google Maps dans son environnement universel. Mettre mon village sur la mappemonde. Chercher dans le musée de systèmes, la bibliothèque de mes souvenirs, chercher ce qui peut être compris par le facteur de Kiev, le rabbin de Lublin, l’universitaire de Queen’s, la journaliste de Casablanca, le médecin de Belgrade, le marin de Llandudno, le maraîcher d’Almeria, l’étudiant du Cap, le pharmacien de Pondichéry,   chercher ce qu’ils peuvent entendre sinon partager.

Parmi les idées qu’ils peuvent peut-être entendre, est qu’il vaut mieux pour toutes ces personnes de vivre dans une région du monde où une économie de marché est régulée et protégée par une démocratie parlementaire. Là où l’économie de marché n’est pas régulée par une démocratie parlementaire, le facteur, le rabbin, l’universitaire, la journaliste, le médecin, le marin, le maraîcher, l’étudiant et le pharmacien ont en commun de chercher un endroit où s’est développée une démocratie parlementaire. Là où a été anéantie l’économie de marché, les mêmes recherchent un endroit où elle s’est développée. Les richesses du Quatar ne se heurtent jamais à un état de droit et malheur aux étrangers démunis. Le Venezuela pense qu’on peut fonctionner sans démocratie parlementaire et l’économie s’écroule. Et Cuba. Et la Russie et a Chine qui cherchent un équilibre entre démocratie et marché et qui ne l’ont pas trouvé. Et tous ces pays émergents qui sont à la recherche éperdue d’une rencontre conflictuelle mais urgente entre économie de marché et démocratie parlementaire.

Je ne dis surtout pas que nous vivons au paradis, au contraire. Nous vivons dans des régions du monde où les conflits ne cessent jamais, avec des vainqueurs, des vaincus, des matches nuls, des catastrophes et des emballements heureux. Des endroits du monde où personne n’est jamais tranquille, où les malheurs individuels sont politisés, où les politiques sont individuelles. Des régions du monde où personne n’est jamais satisfait et cette insatisfaction nourrit les prophètes et les laboratoires pharmaceutiques.

Dans ces régions du monde où personne n’est content, ou le mécontentement est le trait central de l’identité politique, naissent régulièrement des prophètes de la simplicité. Chassez les étrangers, étranglez les banques, fermez les aéroports et tous vos problèmes seront résolus. Trump et Mélenchon mènent campagne ensemble et séparément contre les traités internationaux, contre toute tentative de réguler l’économie mondiale, contre tout ce qui introduit dans les relations internationales les régulations conflictuelles qui sont le propre des démocraties occidentales. à bas le FMI, à bas l’OMC, à bas tous les traités commerciaux, À bas l’Europe, disent Brian Johnson, Mélenchon, Marine le Pen, Trump, Farage, Erdogan. Retirons-nous à l’intérieur des murs, disent Trump, Le Pen, Mélenchon. Protégeons nos frontières sacrées, remplaçons les froides cartées d’identité par une analyse de sang.

Mes adversaires sont ainsi clairement désignés. Les champions de la régression sont mondialement connus. Mais chaque village a les siens. Ils ne veulent pas d’abris pour les migrants dans leurs murs. Ils veulent des structures administratives qui correspondent à des définitions ethniques, appellent « peuples frères » tous ceux qui luttent pour l’enfermement des Corses, des Basques, des Bretons. Ils portent d’autres noms que Trump, Le Pen, Farage, Erdogan, mais sont portés par les mêmes torrents de boue.

Bon. Ça va mieux. Mes vêtements ont séché. Je peux me rhabiller. J’ai fait le point.

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