mercredi 3 juin 2009

Capbreton-Biarritz

Un centre de soins et d’accueil de Franche-Comté organise pour ses patients, surtout des handicapés sportifs, ou des sportifs handicapés, un « défi » qui consiste à parcourir quelques centaines de kilomètres sur des pistes cyclables. Les handicapés sportifs, ou les sportifs handicapés, ont des machines adaptées. Par exemple, l’un des participants qui a une jambe coupée, pose son moignon sur un vase en plastique et pédale avec une seule jambe, un système de ressort remontant la pédale, et pour démarrer il lui faut un point d’appui, soit une personne solide, soit un arbre, ou une barrière. Mais solide. Un jour, il s’est appuyé sur une barrière de chantier qui s’est écroulée sous son poids et il s’est retrouvé dans un trou plein de boue. Un autre porte une prothèse pour remplacer une jambe coupée, mais au bout de quelques jours, la randonnée avait fait fondre les graisses et la prothèse ne tenait plus. Il a fallu l’adapter. Les autres, la majorité, n’ont plus l’usage de leurs membres inférieurs et ils roulent allongés sur des vélos dont le dérailleur, les freins, le guidon, sont tous regroupés sur la roue avant, tandis qu’à l’arrière, deux roues suivent sans être motrices. Certains modèles sont très sophistiqués, de véritables machines de course. Le handicap a frappé les participants généralement lors d’un accident routier. Quand les motocyclistes chutent, leur machine broit les membres inférieurs. Ce sont des suppositions, car on ne parle pas des circonstances de l’accident avec eux, comme on ne parle pas des raisons de l’emprisonnement quand on donne des cours à des prisonniers.
L’arrivée de ce défi étant à Biarritz, les organisateurs ont envoyé une lettre à la mairie, le maire a transmis cette lettre à la déléguée chargée du handicap et cette déléguée, qui se nomme Hélène, a réfléchi et trouvé des modes d’accueil de cette troupe d’une quinzaine de personnes, participants et accompagnants. Oui, Hélène, que vous connaissez déjà, que je connais aussi et c’est la raison de ce récit parce que sinon, pourquoi voulez-vous que je vous raconte un voyage de sportifs handicapés, ou de handicapés sportifs, j’ai ai déjà ras la musette avec les terroristes irlandais et basques et avec les drogués de la Goutte d'Or.
Hélène a réfléchi et voici ce qu’elle a proposé. D’abord, comme elle-même est randonneuse, elle a proposé de faire la dernière étape Capbreton-Biarritz à vélo avec le groupe, et elle m’a demandé si ça me plairait de l’accompagner, ça supposait de partir la veille, faire Biarritz Capbreton, dormir à Capbreton face à la mer, dans un hôtel trois étoiles et revenir à Biarritz avec le groupe le lendemain. J’ai acquiescé parce que je suis moi-même randonneur et je connais les pistes le long du Boudigo qui sont confortables et roulantes, à la différence du Canal du Midi. Donc, j’ai dit d’accord.
Hélène a ensuite proposé à une association cycliste, dite association Bibi, d’accompagner le groupe des handicapés sportifs ou revers, plus les accompagnants : personnel d’encadrement, médecins et infirmiers, plus la déléguée au handicap de la ville de Biarritz plus son compagnon randonneur. L’association Bibi a répondu à la demande avec enthousiasme, parce que souvent on parle de leur association comme une association de copains qui se font plaisir en pédalant et ils avaient l’occasion là de montrer qu’ils sont socialement utiles, et ils l’ont saisie. Eux étant des rouleurs expérimentés ont quitté Biarritz le vendredi matin et ont fait le chemin de retour le même jour, alors qu’Hélène et son compagnon, moi, sont partis la veille. C’est moi qui raconte.
Hélène a aussi proposé un accueil par un danseur traditionnel basque, malheureusement son musicien était pris par un mariage et il ne pouvait pas danser sans musique. Elle a demandé et obtenu un buffet sur l’esplanade du phare, des boissons fraîches, des amuse-gueules.
La journée du jeudi a été bonne. Le temps s’y prêtait, la piste déroulait son ruban sous des pneus bien gonflés, les ponts en bon état, le banc nous tendait ses planches pour le pique nique salade de jambon et eau plate. Nous avons trouvé l’hôtel sans difficulté, la chambre nous attendait. Si je devais chercher la petite bête dans la perfection de cette journée, je la trouverais dans l’accueil, une jeune femme qui nous a longuement présenté les codes d’accès aux différents services : le code pour ouvrir la porte de la chambre, le code pour entrer dans et sortir du, garage, le code pour allumer la télévision, le code pour accéder à nos codes, le code pour réserver le petit déjeuner le matin, mais franchement, le code n’a pas abimé le déjeuner face à la mer, les surfeurs surfant ni les bananes que les enfants écrasaient contre la vitre du restaurant. Je n’aurai pas mentionné l’histoire des codes, je le fais par honnêteté, pour ne rien masquer de la vérité, il n’y avait pas que du bonheur, cette dame de l’accueil m’a franchement gonflé, elle a failli gâcher ma journée et quand j’y pense à nouveau, le sang me monte à la tête.
Bien que cette promenade sans difficulté et sans incident eût toutes les apparences d’une sortie de loisirs, elle fut colorée par la mission qui était la nôtre, celle de rencontrer le lendemain le groupe des handicapés sportifs de Franche Comté. Malgré tous les aspects agréables, le temps, la piste, les bancs pour le repos, mentalement, nous n’étions pas dans la situation de randonneurs de fins de semaine, mais plutôt dans la peau de missionnaires ou d’humanitaires. Je ne me plains pas, au contraire. Parfois, les mêmes gestes et les mêmes comportements prennent plus d’importance quand la motivation est noble. C’est parfois plus beau quand c’est utile.
Le lendemain, nous avons raccourci le temps qui nous séparait de la rencontre avec les rouleurs de Bibi et les handicapés sportifs par différents moyens, petit déjeuner, promenade sur la digue, préparation des sacoches, etc. À onze heures, le groupe de Franche Comté est arrivé avec les monitrices, les médecins, les chauffeurs de camion et leurs drôles de machines. Quand ils arrivent, ils s’installent sur des fauteuils roulant et d’autres personnes rangent leur machine parce que si on laisse ces vélos allongés n’importe où, ils gênent le passage. Hélène s’est présentée et a devisé. Ils sont allés visiter un centre de réinsertion de handicapés sportifs, un centre privé, avec une piscine et des machines coûteuses. Nous avions deviné l’existence de ce centre grâce au grand nombre de béquilles appuyées sur les murs et les buissons autour des terrasses où ces jeunes gens et ces jeunes filles prenaient bruyamment l’apéro hier soir. En discutant avec les responsables du groupe, à l’heure du déjeuner collectif où tous étaient mêlés, nous avons appris la différence entre un centre de rééducation et un centre de réinsertion. Rééducation, à la suite d’un accident ou d’une maladie, mais plus souvent accident, l’hôpital reçoit des patients quelques semaines au plus et leur fournit des soins pour retrouver l’usage de leurs membres grâce à des machines chères, une piscine, des kinés. On voit plus de béquilles que de fauteuils roulants. Un centre de réinsertion est un véritable hôpital, où les accidentés sont accueillis dés la sortie de leur coma ou de leur anesthésie et pris en charge parfois pendant des mois ou une année jusqu’à ce qu’ils soient en état d’autonomie, si possible c’est. Là, il y a plus de fauteuils roulants que de béquille et l’aspect service public l’emporte sur l’aspect lucratif.
Puis nous partons, après le café, le code pour sortir du garage, le code pour payer, le code pour dire au revoir, le code pour la bagagerie et le code pour la facture. Le groupe s’est partagé en deux. Un groupe plus sportif que handicapé, un autre plus handicapé que sportif. Hélène et moi nous nous sommes retrouvés dans le groupe plus handicapé que sportif ce qui confirme ce qu’Hélène a appris dans un colloque où elle s’est rendue malgré ma formelle interdiction, parce qu’excusez-moi, les colloques, j’en ai une très longue expérience et je sais ce que c’est. Elle a expliqué que c’était nécessaire et la preuve, m’a-t-elle dit, elle a appris à ce colloque qu’il n’y a pas de handicap, mais que des situations de handicap. Si l’accident qui vous frappe vous plonge dans un univers où tout est organisé pour mener une vie normale, vous ne serez pas un handicapé. Mais si rien n’est fait pour vous aider à vous déplacer, à travailler, à bouger, vous serez à chaque instant en situation de handicap. Tenez, moi qui vous parle, je peux affirmer que l’accompagnement d’un vélo dans les gares et les trains de la SNCF transforme des gens qui ne sont pas handicapés en handicapés, parce que le vélo les met dans une situation de handicap. Grâce à la participation d’Hélène à ce colloque parisien malgré mon interdiction qu’elle n’a pas du tout prise au sérieux, nous avons appris cette chose importante. Et effectivement, pour rouler sur la piste entre Capbreton et Biarritz, il y avait deux groupes : les sportifs qui roulaient à plus de vingt à l’heure et nous deux, Hélène et moi, à douze de moyenne, en situation de handicap sans être handicapés. Nous sommes arrivés hachés menu à Biarritz, et en plus, Hélène devait prendre la parole pour souhaiter la bienvenue et pour dire aussi que la prochaine fois, elle fera le trajet avec des vrais handicapés, parce que des handicapés sportifs, elle ne pouvait pas suivre le rythme. On échangea des maillots et des casquettes comme à la fin d’une compétition, on but, on se serra les mains. Dans l’ombre des tamaris sur l’esplanade du phare de Biarritz, on se serait cru à une garden party s’il n’y avait pas eu autant de vélos couchés et de fauteuils roulants.

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