mercredi 3 juin 2009

Le canal du Midi (18 mai-25 mai 2009)


Nous étions attirés par le Canal du Midi. Canal d’abord, parce que Canal implique un terrain peu vallonné, un agréable chemin de halage et des ombres propices aux terrasses des guinguettes. Nous avions cette expérience avec le canal de l’Ourcq, les canaux du Nord, les canaux du Pays flamand, le Danube. Nous étions attirés par le Canal du Midi, parce que nous avions vu des images de cyclistes heureux, pédalant sur une belle piste au soleil, tout sourire, genre cadres supérieurs en bonne santé, avec deux petits enfants qui pédalaient derrière et un enfant plus jeune dans une poussette attachée au cycle de l’homme. Nous étions attirés par le Midi avec son assurance de soleil au mois de mai. Chaque année à la même saison, nous sommes attirés par l’appel de la randonnée, l’appel du large, les montures piaffent, elles veulent quitter les trajets coutumiers, les routes goudronnées, la lutte quotidienne avec les automobiles pour se lancer à l’aventure. Comme chaque année, nous répondons présents à l’appel du vent et nous nous lançons dans une nouvelle épopée.
Nous, c’est moi et une autre, Hélène, un nom assez courant pour que la personne porteuse du prénom ne soit pas reconnaissable.
Le voyage commença le mardi 19 mai 2009. Hélène eut d’étranges appréhensions nourries par de précédentes épreuves. Coincée sous un vélo en bas d’un escalier mécanique, hurlant de terreur, happée par le tapis métallique. Les difficultés à hisser les vélos dans les trains, les efforts pour les descendre. J’avais beau dire et répéter que nous formions une équipe tellement unie, tellement efficace que si Napoléon nous avait confié la campagne de Russie, on parlerait aujourd’hui français à Moscou, rien n’y fit. Hélène passa les jours précédant le voyage dans les toilettes car ses émotions prémonitoires liquéfiaient les rares aliments qu’elle parvenait à ingurgiter. L’inquiétude est contagieuse et je passai une nuit blanche la veille du départ.
Nous avions décidé de tout organiser nous-mêmes, le transport des vélos, la location des chambres d’hôtel, la réservation des billets de train, le choix des étapes. On pourrait croire qu’après des dizaines d’années de randonnées vélocipédiques, nous aurions une certaine expérience, une sagesse, des connaissances, des ruses, une attention vigilante aux traquenards. Rien n’est jamais acquis. Nous pensions nous engager dans une randonnée, ce fut un cyclo-cross. Tout est devenu si compliqué que désormais il faut des codes et agences spécialisées pour la moindre promenade. Nous refusions l’idée d’être dépendants. Nous nous disions, quand même, avec un bon vélo, des jarrets entraînés, bon pied bon œil et une carte bleue, il n’y a pas de raison. Si, il y avait des raisons. Si vous entrez les paramètres : lieu de départ, lieu d’arrivée, train qui accepte les vélos, l’absence de rampes dans les gares, vous vous rendrez compte qu’il vaut mieux louer des bicyclettes sur place, voyager léger car.
Car dans les trains qui acceptent les vélos, il faut les hisser en haut des marches, puis les accrocher comme des pièces de viande. Nous savions, mais nous avions oublié. Certains trains ont des lieux pour vélos, d’autres non. Certains trains ont des sas mais n’acceptent pas les vélos, d’autres acceptent les vélos, mais n’ont pas de sas. On pose les vélos contre les portes et il faut rester près d’eux pour dégager selon les besoins la place pour descendre ou monter des voyageurs normaux. Ceux qui regardent nos vélos avec des regards de haine, comme une nuisance. Que font des vélos dans un train, demandent les yeux. Mais certains voyageurs sont de toute manière mauvais coucheurs et se demandent ce que font les autres qu’eux dans le même train.
Ne comptons pas sur une aide extérieure. Les autres voyageurs considèrent que si nous voyageons avec des bicyclettes, c’est en toute connaissance de cause, et les cheveux blancs ne leur tirent aucune larme, aucun soupir. Moi-même, qui suis plutôt le genre aideux, quand je vois des dames dans le TGV avec une valise qui pèse une tonne et qui me demandent de les aider à la placer dans le porte-bagage, je me dis (intérieurement, et ce que je fais, extérieurement est une autre affaire, mais je me dis) que si cette dame a bourré sa valise de vêtements pour se changer tous les jours, plus des produits de beauté et des livres de la collection Harlequin, elle n’a plus qu’à se les chuquer et pourquoi elle ne laisse pas la valise dans le coffre prévu où il suffit de déposer la valise lourde sans problème, et si elle a peur qu’on lui pique sa valise, elle n’a qu’à prendre une bonne assurance, moins de vêtements, moins de produits de beauté, plus d’assurance, et les vaches seront bien gardées, je me dis. C’est comme les enfants, pour un peu, certains parents vous demanderaient de les amuser, de leur raconter une histoire pendant qu’ils vont prendre l’apéritif au wagon restaurant, ah ça pour les faire, ils n’ont pas demandé qu’on les aide, je pense. En soulevant la valise malgré ma sciatique. Pour les mêmes raisons, les autres voyageurs, jeunes, vigoureux, cheveux noirs, nous regardent sans pitié nous débattre avec nos vélos, car non seulement les vieux gagnent deux fois ou trois fois plus que nous, ils ne sont pas précaires, ils ont une retraite assurée, ils passent leur vie à sillonner le monde et ils voudraient en plus qu’on leur porte leur vélo, ils rêvent ou quoi ? Des jeunes cagoulés nous regardaient faire, nous prendre les doigts dans les rayons. Juste une fois, un jeune Africain, enfin, africain, sans doute français avec carte d’identité, mais pas très assimilé parce qu’il croyait que c’était nécessaire d’aider les cheveux blancs, mais il apprendra bien vite nos usages. Quant aux contrôleurs, à qui Hélène demandait ingénument s’ils pouvaient donner un coup de main, ils répondaient le doigt plongé dans la joue droite gonflée d’air. Nous ne sommes pas payés pour ça. À Toulouse, le contrôleur avait un lumbago et la contrôleuse dit qu’ils n’avaient pas d’assurance au cas où un accident se produisait, par exemple, un vélo coincé dans les escaliers mécaniques et qui va payer les dégâts ? Les raisons de ne rien faire sont multiples, les raisons de faire sont rares. Il faut enlever les sacoches, les remettre, en haut des marches, les enlever, les garder, descendre les vélos, remonter prendre les sacoches. Louer les vélos c’est cher, mais nous transporter avec nos vélos, c’est cher aussi. Sans compter les soucis qui n’ont pas de prix.
Nous avions toujours nos vélos en gare de Béziers et il fallait changer les billets parce que le 26 les cheminots faisaient grève et nous devons arriver à Biarritz le mardi pour repartir vers Capbreton pour une autre balade. Impérativement. Naïvement, je tends mes billets vers le guichetier en demandant les mêmes billets pour lundi au lieu de mardi. Puisqu’il y a grève, lui dis-je, sans exprimer mon opinion sur cette grève qui pourtant a du être prise comme une condamnation par le guichetier puisqu’elle m’obligeait à changer mes projets, mais ce n’est pas ma faute si les cheminots avaient décidé de nous empêcher de rouler avec des handicapés de Capbreton à Biarritz. En un sens, pourrais-je dire, ce sont les cheminots qui expriment par leur mouvement social une opinion négative sur mon action de solidarité avec les handicapés. Mais les arguments ne s’échangent pas puisque je n’ai rien dit sur la grève, l’employé n’a rien entendu, mais il n’a rien dit non plus, il aurait pu exprimer son sentiment, dire, j’en ai assez de toutes ces grèves qui me font engueuler par les clients au guichet, ou bien, la grève est parfaitement justifiée, on n’en peut plus, les salaires stagnent, les conditions de travail sont épouvantables, voyez la queue qui s’allonge devant mon guichet et il me faut changer six billets, Béziers Toulouse, puis Toulouse Bordeaux et enfin Bordeaux Biarritz, deux adultes sans compter les vélos, jamais je n’y arriverai. En plus, ces imbéciles, voulant faire couple moderne genre on partage tout, ils ont payé chacun leur billet avec leur carte bleue individuelle et il faut que je leur rembourse à chacun leur contribution avant de pouvoir encaisser pour les nouveaux billets qu’ils paient quand même avec une seule carte. Derrière la queue s’allonge, je me retourne vers les gens qui attendent et qui s’impatientent et je leur dis « je comprends que vous soyez agacés, il m’est souvent arrivé d’être derrière un client de la SNCF à me demander pourquoi il restait vingt minutes pour un malheureux billet, désormais, je leur ai dit aux contrariés, je ne m’énerverai plus. Ils ont tous fait semblant d’avoir bon cœur et ont bredouillé que c’était normal, chacun ses difficultés, il faut comprendre. Parler aux gens transforme les crispations en sympathie. Le lendemain, lundi, veille de la grève, nous avons pris un train à Agde, à six heures du matin, nous nous sommes trompés mille fois et heureusement il y a des éboueurs qui travaillent tôt ils nous ont renseignés et nous avons pu monter les vélos dans le train, puis à Toulouse le TER avait du retard et nous aurions manqué la correspondance de Bordeaux à Biarritz et nous voyons sur le panneau annonciateur qu’un train transporte des voyageurs et des vélos de Toulouse à Bayonne en passant par Pau et Lourdes et nous le prenons avec un piquenique, en passant par des escaliers, voir plus haut mode d’emploi. En arrivant à Bayonne l’idée était de pédaler de Bayonne à Biarritz, tranquille, mais un orage se déferle, nous décidons de prendre un taxi il nous faut deux taxis, un pour nous deux un autre pour les vélos et c’est promis juré, la prochaine fois, nous louerons les vélos.
Il y a plus malheureux. Pendant que je me débrouille avec le guichetier, Hélène surveille les sacoches et un touriste espagnol s’approche. Je ne manque jamais une occasion de pratiquer l’espagnol car trouver des gens m’est difficile. Je cherche en vain une personne pour parler espagnol, une autre personne pour jouer du piano à quatre mains. J’interroge le net sans succès. Chaque fois que je tape « cherche à parler espagnol » ou « cherche partenaire pour jouer piano à quatre mains », je tombe sur des sites de rencontre, monsieur de cinquante ans cherche pianiste de vingt ans pour jeux de mains. J’espère toujours trouver une personne qui joue du piano et parle espagnol, un homme de préférence. Je saute donc sur le touriste espagnol qui a rencontré de plus grandes difficultés que nous alors qu’il n’a même pas de vélo. Non, il ne joue pas du piano. Mais il parle espagnol. Il est arrivé à Béziers avec ses valises. Il avait réservé une chambre d’hôtel. À l’accueil, son nom n’apparaissait nulle part. Comme nous à Toulouse, je lui ai répondu, dans la même langue. Sauf, qu’on nous a, à moi et à Hélène, trouvé une chambre sur place alors que l’hôtel de mon hispanophone était complet et qu’ils lui ont trouvé une chambre d’hôtel minable dans un hôtel sans étoile et le lendemain, il va sortir et demande comme il est d’usage de laisser ses deux lourdes valises pour venir les reprendre dans l’après-midi. Ça se fait dans tous les hôtels, il faut quitter la chambre vers onze heures, mais vous pouvez laisser vos bagages (maletas) dans une bagagerie. Le gérant de l’hôtel lui a dit que son établissement fermait à onze heures pour toute la journée et que lui personnellement il avait un repas de famille et qu’il n’allait pas manquer un important repas de famille pour deux valises castillanes. Il parait très vite, le voyageur en détresse et je comprenais tout et je répondais dans la même langue. Il était en gare de Béziers, sans parler français, et il cherchait un employé pour laisser ses deux valises en consigne. Il a fini par en trouver un et l’employé lui a dit non bien sûr « est-ce que vous voulez que je règle l’heure de l’explosion aussi ? ». Il me raconte tout, je lui suggère une brasserie, il met dit c’est risqué. Pendant ce temps, le guichetier se démenait devant un écran et il marmonnait : sans un mot de travers, il y a en qui circulent mais ne prennent pas de vélos et ceux qui prennent des vélos ne circulent pas. Finalement, il a trouvé un train qui part d’Agde à six heures il faudra se lever à cinq heures. Le touriste espagnol est toujours à côté de moi et puisque que je suis si aimable et que mon espagnol est si bon, est-ce que je pourrais traduire pour lui des questions qu’il voulait poser au guichetier.
À Toulouse nous avons tourné autour et visité l’église Saint-Sernin, un joyau de l’art gothique, une porte classée monument historique par l’UNESCO et la place du Capitole où des tentes étaient dressées pour protester contre le manque de logements. Nous avons passé une soirée agréable avec des amis et leurs enfants. Nous reprenons la route le lendemain, jeudi 21 mai, jeudi de l’Ascension. Nous suivons un chemin de halage mal entretenu, mal balisé, mais il enfin, il fait beau, le soleil brille dans le ciel et dans nos cœurs. Au bout de quatre ou cinq kilomètres, Hélène pousse un cri. Je m’arrête, car il est exceptionnel qu’Hélène pousse un cri, pour qu’elle pousse un cri, il faut qu’un événement grave se fût produit, genre deuil familial ou crevaison. « J’ai oublié ma carte senior ». Et pour ça tu pousses un cri ? Quelle importance, tu en referas une autre. Mais j’ai les billets de train du retour dans la pochette. Ah ! oui, là ça vaut la peine de pousser un cri. Tous les billets de retour que nous devrons changer plus tard à Béziers. Hélène dit avec détermination, tu m’attends ici, je retourne à l’hôtel. Je dis, non, moi je retourne à l’hôtel. Non, dit Hélène, c’est à moi de refaire le chemin que j’ai rendu nécessaire par mon étourdissement. Étourderie corrigè-je. Étourdissement, c’est quand on a un vertige ou un sentiment d’évanouissement. Tu n’as pas oublié la carte senior et les billets de train du retour à la suite d’une vertige ou d’un évanouissement, mais à la suite d’un oubli, d’une étourderie. Enfin, dit Hélène, d’une certaine manière, tu es responsable de cet étourdissement parce que tu m’as dit hier soir que ce n’était pas la peine de me promener à Toulouse avec les billets de train et obéissante et docile, j’ai sorti la carte et les billets de mon sac à main et ce matin, j’ai tout oublié. Donc, dis-je, si c’est ma faute, je vais les chercher. La discussion a duré, les heures coulaient ainsi que l’eau du Canal du Midi. Étourderie, pas étourdissement.
Es-tu certaine de les avoir oubliés à l’hôtel ? J’ai pris mon téléphone portable tout neuf et je me suis rendu compte à quel point un instrument dont j’ai longtemps nié l’utilité dans une vaine résistance à la modernité pouvait être utile. J’ai téléphoné à l’hôtel, la réception a appelé la femme de chambre et je me suis rendu compte à quel point tous les maillons de la chaîne étaient nécessaires et m’a rappelé au numéro qui s’était inscrit sur l’écran et ce qui permet de pister un escroc ou un assassin permet aussi de retrouver des billets de train. La réception me rappelle. Nous avons retrouvé vos billets, nous les mettons dans une enveloppe, ils vous attendent à la réception. Vous rappelez-vous il n’y a pas si longtemps quand vous aviez oublié vos billets de train dans une chambre d’hôtel il fallait trouver une cabine, puis de la monnaie et comment les cartes de téléphone s’étaient rendues utiles. Hélène revient triomphante avec la carte senior et les billets de train qu’il faudra changer à cause de la grève.
La piste se composait de grosses pierres, de ravins, de racines d’arbre et parfois se rétrécissait en un mince ruban où le pneu passait tout juste et les genoux frôlaient les épines, les arbres. Pour croiser un cycliste, il fallait s’arrêter, marcher dans les hautes herbes. Dépasser, n’en rêvez même pas. Dans ces conditions, les crevaisons s’imposent. J’ai regonflé, j’ai eu beau, je sentais les cailloux de plus en plus et les racines de plus en plus et le pneu dégonflé dérapait dans les crevasses de boue séchée. Il a fallu s’arrêter et dans ces épreuves, nous mesurons la solidité de l’équipe. Pied à terre. Retourner le vélo. Scalpel. Ciseaux. Enlever la roue. La roue est encore trop gonflée pour passer l’obstacle des freins. Elle est à la fois trop dégonflée pour rouler et trop gonflée pour être réparée. Nous voilà beaux. Pas une plainte, pas un énervement. Quand l’angoisse monte, une goulée d’eau fraîche. J’appuie sur le pneu pour dégonfler davantage, mais la crevaison suffit à m’empêche de rouler et ne suffit pas pour réparer. Finalement, par hasard, j’ai appuyé sur le clitoris de la chambre à air et le koutchou s’est dégonflé, la roue a passé l’obstacle, scalpel, gorgée d’eau, changement de chambre à air, remise de la roue, mains couvertes de cambouis, chemise maculée conception car c’était le Jeudi de l’Ascension.
Après les minutes et les efforts passés à réparer une crevaison, le redémarrage est une infinie jouissance. Remonter en selle, appuyer sur les pédales, ne plus sentir les cailloux, les racines d’arbre, les ravins, survoler les obstacles. C’était compter sans le vent. Le vent de la mer, la tramontane, le mistral, selon les endroits, les hommes marchent courbés, les herbes se couchent sous un râteau géant. Parfois un rideau d’arbre, une grange, nous protège du vent. Un cycliste passe en nous disant « qu’est-ce que ça muffle ! ». Le restaurateur nous dit que le vent qui souffle souffle généralement deux ou trois jours, on en a comme ça jusqu’à lundi, jusqu’au dernier jour de cette randonnée et donc il faut s’habituer à rouler vent debout épuisés, pédaler comme on monte une côte mais sans côte, une côte infinie. Et parfois, oui, nous sommes épuisés, pas toujours en même temps, pas toujours ensemble, mais on s’arrête et l’autre s’arrête par solidarité, pour boire une gorgée d’eau, grignoter un reste de petit déjeuner, du fromage enveloppé dans du plastique transparent ou un biscuit enveloppé dans du plastique transparent, et pour l’un comme pour l’autre, le vent souffle et il est impossible d’arracher l’étui transparent du fromage ou du biscuit, la pellicule résiste. On finit par arriver, on finit toujours par arriver, mais dans quel état, on range les vélos dans un garage en traînant les pieds, on s’écroule sur le lit de la chambre, on dort, on mange une salade, on n’a pas vraiment faim car à un certain degré de fatigue, la fatigue efface la faim. Les mains tremblent, les jambes ploient, le vélo pèse lourd avec les sacoches. Et toujours en arrivant à la ville d’étape, la montée. Les villes sont ainsi faites. Pour partir, dispos, frais, reposé, on descend vers la piste. En arrivant épuisé, traînant les kilos, il faut monter. Le canal est en bas. L’hôtel est en haut. Aucune ville n’échappe. En bas ; la ville basse, en haut la ville haute. Entre les deux, une grande avenue serpente et nous poussons les vélos. L’hôtel est en haut. Toujours.
La ville basse est pauvre, abîmée, habitée par des Turcs, des Arabes, des Roms, le linge pend aux fenêtres, les enfants jouent au foot sur le trottoir. Aux terrasses, des hommes sirotent leur thé avec une seule moitié de l’humanité. Les femmes sont voilées. Quand nous demandons un renseignement, on s’empresse. Il fait pauvre, il fait chaud, il monte. Selon l’heure, la ville basse est déserte ou pleine d’une foule colorée. La ville haute est la ville forte, elle a été construite par des Gaulois, puis par des Romains, puis par les Cathares pour se protéger contre Saint-Louis et Simon de Monfort qui a tué les Cathares. Dans la ville haute circule une foule énorme, comme au Mont Saint-Michel ou à Lourdes ou sur la butte Montmartre, Place du Tertre. Les enfants se promènent avec des panoplies en plastique du parfait guerrier du Moyen Âge, l’épée, le bouclier, le heaume et ils se battent avec les épées qui se vendent dans les rues piétonnes où nous nous asseyons pour prendre un verre de vin rouge et nous regardons les gens passer. Le petit train fait le tour des remparts pour sept euros, avec huit langues disponibles, dont l’occitan. Une affichette demandent aux touristes de ne pas confondre le 1 et le 7 parce qu’en anglais, le 1 s’écrit I et le 7, 7. Donc si un Anglais lit le 1 avec son auvent, il comprend 7. Le 3 est espagnol. Les villes hautes ont été restaurées par Viollet le Duc et depuis leur restauration, elles ne désemplissent pas. Les historiens sont sévères avec Viollet le Duc, ils disent qu’il a restauré au goût du jour, de manière anachronique et que ce n’est pas du tout comme ça que les villes étaient bâties. Mais tout le monde doit reconnaître que sans Viollet le Duc, beaucoup de villes hautes du Midi de la France, des bords de Loire et d’autres, seraient des villes mortes. Sans Viollet le Duc, peut-être que les villes hautes seraient devenues les quartiers pauvres et le long du Canal du Midi se déploieraient les quartiers riches, les villas avec jardins et piscines et nous aurions trouvé un hôtel sans avoir à grimper dans la ville haute, un hôtel le long du Canal qui s’appellerait par exemple l’hôtel des randonneurs.
La ville haute semble avoir pompé toutes les ressources de la ville, le commerce, le tourisme, le petit train, l’argent et dans la ville basse, les murs sont lépreux.
Au restaurant de Béziers, un couple de Flamands roses nous interroge sur notre randonnée et en retour, nous les faisons parler de la Belgique, des problèmes linguistiques. Ils n’y sont pour rien. Ils ont appris à parler français alors que les francophones n’apprennent jamais le flamand.
Nous avons passé la dernière nuit à Agde, dans un nouveau quartier avec un seul restaurant proche, la cafétéria du supermarché où toute la nourriture est passée dans la moulinette, tout a le même goût, poissons et viande, légumes et purées, pâtisserie et salade de fruits. Nous n’irons pas y manger le soir parce que quand même il ne faut pas exagérer. Je note pour notre prochain voyage : louer les vélos, faire transporter les bagages d’un hôtel à un autre hôtel, s’assurer de l’état de la piste.
Raconter aux amis, à la famille, aux enfants et aux petits-enfants les épreuves que nous avons traversées pour essayer de balancer les efforts musculaires et financiers investis par des cris de sympathie, d’encouragement et d’admiration.

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